Cours de lettres en classe de seconde au lycée
Eugène-Delacroix, à Maison-Alfort (Val-de-Marne).
Enfin les vacances ! De l’année scolaire qui
s’achève, nombre d’élèves ne garderont que le souvenir d’un profond ennui. Le
phénomène n’a rien de nouveau. En 1879, Jules Vallès dédiait son livre
L’Enfant « à tous ceux qui crèvent d’ennui au collège ».
En 1882, dans le Dictionnaire de pédagogie et
d’instruction primaire coordonné par le philosophe et éducateur Ferdinand
Buisson, on pouvait lire : « Qui n’a été frappé, en pénétrant dans la cour d’un
de nos grands établissements d’enseignement secondaire, de la mine maussade,
éteinte et ennuyée d’un grand nombre de jeunes garçons ? »
Plus près de nous, en 2003, lors d’un colloque sur
« la culture scolaire et l’ennui », le sociologue François Dubet avait fait
état de « l’ennui épais » qui régnait quand il était au lycée. Dans les
colonnes du Monde, le philosophe Luc Ferry, alors ministre de l’éducation,
avait même reconnu qu’il s’était « énormément ennuyé » pendant sa scolarité.
« De mon temps, nous étions 80 % à nous ennuyer comme des rats morts »,
précisait-il. Comme si ennui et école allaient inéluctablement de pair.
« Rendre le savoir attrayant »
Est-ce si vrai ? « Chez les tout-petits, l’ennui
n’existe pas, rappelle François Dubet. A chaque étape de l’école, l’enfant a
l’impression de grandir. En revanche, l’intérêt pour les apprentissages
scolaires est beaucoup plus relatif chez les adolescents, car ils n’y trouvent
pas d’avantage immédiat. » C’est donc vers 13-14 ans que, souvent, tout se
gâte. Faut-il s’ennuyer pour bien apprendre ? « On a tendance à considérer que
l’ennui fait partie du bagage scolaire, c’est le tatouage tribal de ceux qui
ont fait des études, remarque Gilbert Longhi, ancien proviseur et président de
l’Observatoire déontologique de l’enseignement. Et certains professeurs
estiment qu’ils ne font pas classe pour distraire, qu’ils ne sont pas des animateurs
du Club Med. Or, on peut rendre le savoir attrayant. »
Si l’on compare la France avec ses voisins européens,
on constate en tout cas que l’ennui est un mal bien français – ce qui laisse
penser qu’on peut s’en passer. Les études PISA (Programme international pour le
suivi des acquis des élèves) sur le niveau scolaire des élèves de 15 ans,
menées dans 65 pays ou économies de l’Organisation de coopération et de
développement économiques (OCDE), confortent cette analyse – même si les
questionnaires utilisés pour ces enquêtes ne comportent pas le mot « ennui ».
« Dans certains pays, notamment en Asie, ce mot est
beaucoup trop négatif. Nous avons voulu être plus positifs et avons opté pour
le mot “plaisir” », explique Sophie Vayssettes, analyste à la direction de
l’éducation et des compétences de l’OCDE. Ainsi, l’étude sur la lecture et le
plaisir de lire menée en 2009 montrait que 38,8 % des élèves français ne
lisaient pas pour leur plaisir. Un chiffre pas vraiment catastrophique puisque
légèrement au-dessus de la moyenne internationale (37,4 %), mais très mauvais
comparé à ceux d’autres pays comme la Grèce, Singapour ou encore le Mexique (de
18 % à 24 %).
En mathématiques, en revanche, la France a de quoi se
féliciter : selon une autre étude, réalisée en 2012, 65 % des élèves
s’intéressent à ce qu’ils apprennent, contre 53 % en moyenne pour les pays de
l’OCDE, et 42 % ont répondu « oui » à la question : « Faites-vous des
mathématiques par plaisir ? », contre 38 % en moyenne. Ces deux bonnes
nouvelles étaient toutefois atténuées par la réponse à la question suivante :
« Attendez-vous votre cours de maths avec impatience ? » Car ils n’étaient que
24 % à répondre « oui », contre 36 % en moyenne pour l’OCDE. Ce qui indique,
selon Sophie Vayssettes, que « les cours sont moins porteurs que la matière
elle-même ». Qu’il s’agisse de la lecture ou des mathématiques, ces deux
études ont également mis en relief une corrélation positive entre le plaisir et
les résultats scolaires. Autrement dit : plus on s’ennuie, moins on est bon.
Les causes de la maladie
Dernier signe donné par PISA de ce sentiment très
français d’ennui : nos élèves ne seraient que 47 % à dire qu’ils se sentent « à
l’école comme chez eux », contre 81 % en moyenne (la Finlande, championne
toute catégorie, atteignant le score de 84 %). Journées trop longues, cours
magistraux, élèves écoutant en silence… Les causes de la maladie sont connues.
A commencer par la pédagogie très verticale de notre système scolaire, qui
induit la passivité dans la classe. « Dans certains pays, comme la Finlande,
précise François Dubet, on considère que la motivation scolaire n’est pas
acquise : la pédagogie vise à mettre les élèves dans l’activité. Beaucoup le
font aussi en France, mais cette démarche s’oppose à notre tradition scolaire
qui repose sur l’autorité. » Pour lutter contre le manque d’intérêt de ses
élèves, l’école a introduit les nouvelles technologies, réinventées les
programmes et parfois les pédagogies. Il n’empêche : les jeunes s’ennuient
toujours. Pour légitimer sa réforme du collège, Najat Vallaud-Belkacem, la
ministre de l’éducation nationale, a dû ressortir une enquête de 2010 montrant
que 25 % des élèves de l’école primaire s’ennuient souvent, voire tout le
temps. Et ils seraient 71 % à être dans ce cas au collège.
Mais, au fond, est-ce si grave ? L’ennui semblerait
propice au développement de l’imaginaire de nos enfants. Il est source de
créativité, répètent à l’envi psychologues et psychothérapeutes, qui nous
vantent les bienfaits de l’ennui à la maison. En 1984, une publicité mettait en
scène le petit Guy Degrenne, devenu plus tard un industriel de renom. « Ce
n’est pas comme ça que vous réussirez dans la vie ! », lançait le proviseur à
l’enfant, lequel passait son temps en cours à dessiner des couverts dans les
marges de ses cahiers. « Guy Degrenne, aujourd’hui, il est premier »,
concluait la publicité… omettant de préciser qu’il était diplômé de l’Essec !
Plus sérieusement, on peut méditer les propos de
l’historienne Mona Ozouf, qui écrivait, dans un numéro de la Revue
internationale d’éducation de Sèvres consacré au plaisir et à l’ennui à l’école
(n° 57, septembre 2011) : « Au moins peut-on suggérer aux parents et aux
maîtres de ne pas craindre l’ennui ; de cesser d’en faire l’emblème de l’échec
: celui de leur éducation, pour les premiers ; de leur enseignement, pour les
seconds ; d’abandonner la tâche écrasante et chimérique de faire advenir un
monde sans ennui. Au lieu de rêver de chasser tout ennui de l’école, mieux
vaudrait se mettre à l’école de l’ennui. » Si ce n’est que derrière les portes
de cette école-là se cache la démotivation, qui fait elle-même le lit du
décrochage scolaire.
« Un dégoût de l’école »
« L’ennui fait partie de l’expérience de la vie. Mais
il pose un problème lorsqu’il crée un dégoût de l’école », affirme Gilbert
Longhi. Le pédagogue Philippe Meirieu ne dit pas autre chose, qui souligne que
l’ennui est « consubstantiel à la formation du sujet ». « Il faut des moments
d’attention flottante, des passages à vide, qui peuvent parfois permettre des
associations d’idées et suggérer de la créativité, précise-t-il. Mais
attention ! Cela n’est vrai que pour les élèves qui ont un bagage culturel et
sont capables de reconstituer la trame du cours à partir de quelques éléments.
Les autres vont inévitablement décrocher et cet ennui va se transformer en
agitation et en échec. »
L’écueil est encore plus dangereux lorsque l’enfant
est précoce ou, au contraire, en difficulté scolaire. Les premiers comprennent
trop vite, doivent attendre que leurs camarades aient terminé leurs exercices
et finissent par s’ennuyer parce qu’ils ne sont pas assez « nourris
intellectuellement », pour reprendre le mot de Philippe Meirieu. « Cet
ennui-là peut être une véritable souffrance pour certains élèves », insiste
Gilbert Longhi. Pour les seconds, ceux qui sont à la traîne, les apprentissages
apparaissent trop difficiles. L’ennui s’installe, ils finissent par décrocher.
La réponse est donc claire : l’ennui scolaire est
plus néfaste que bénéfique. La mise en place, à la rentrée scolaire 2016, des
enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) et la plus grande autonomie
pédagogique donnée aux établissements qu’instaure la réforme du collège
permettront-elles d’atténuer le mal ? On peut l’espérer… ou pas du tout. « Ce
sera peut-être pire qu’avant, s’inquiète Philippe Meirieu, car on aura
institutionnalisé les cours assommants et les cours sympathiques. Mais si les
EPI permettent de ne plus s’ennuyer durant le cours de maths ou d’histoire,
alors cette réforme sera une vraie réussite. »
A lire
« Le plaisir et l’ennui à l’école », dossier
thématique de la Revue internationale d’éducation de Sèvres, n° 57, septembre
2011.
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