« A quelle température faut-il chauffer le logement ? », « De combien peut-on réduire la facture d’énergie en baissant le chauffage d’un degré ? », « Douche ou bain : qu’est-ce qui est le plus économe en eau ? », questionne Aurélie Robache. La conseillère en économie sociale et familiale d’Emmaüs Solidarité anime un atelier de préparation à la vie en appartement, destiné aux personnes accueillies en centre d’hébergement et probables futurs locataires HLM. « Ce qui m’a été le plus utile, c’est apprendre à mettre de l’argent de côté pour les imprévus », confie Yanou Olga Nyomy, jeune mère d’origine camerounaise. Ce jeu, le Kijoulou, créé par Emmaüs Solidarité et le bailleur social Le Logement français, sera suivi par des ateliers de bricolage, montage d’étagères, remplacement de joints de robinet…
Cet accompagnement parfois très personnalisé des locataires HLM est une nouvelle mission pour les bailleurs sociaux, « qui ne peuvent plus se contenter de construire et gérer des immeubles », comme l’a martelé Christian Baffy, président de la fédération des entreprises sociales pour l’habitat, lors de son assemblée générale, à Paris, jeudi 4 juin. Signe des temps cette fédération proche du Medef, l’une des deux grandes familles HLM, s’engage, d’ici à 2020, à racheter cinquante hôtels en Ile-de-France pour accueillir les personnes à la rue, à n’opposer aucun refus de relogement pour des raisons économiques et à créer des logements aux loyers supersociaux. « C’est une révolution culturelle pour notre mouvement, qui n’a pas l’habitude de traiter du logement d’urgence », soutient le président.
« Nos locataires sont de plus en pauvres – une réalité que beaucoup d’organismes HLM ont eu, jusqu’ici, du mal à accepter –, et nous devons nous organiser par nous-mêmes avant que l’on nous impose ces missions », suggère Hervé Leservoisier, directeur du développement social du Logement français. Cet organisme qui détient 82 000 logements, dont 30 % sont situés dans des quartiers difficiles, est très en pointe sur l’accompagnement social des locataires.
Précarité sociale
« Au début des années 2000, nous avons observé une massification de la précarité chez les candidats à un logement », raconte M. Leservoisier. « Aujourd’hui, sept demandeurs sur dix ont des ressources inférieures à 60 % des barèmes HLM et sont donc sous le seuil de pauvreté : il y a dix ans, ils n’étaient que 20 %, constate-t-il. C’est bien simple : les ressources d’une famille avec un ou deux enfants étaient, il y a dix ans, comprises entre 1 000 et 3 000 euros ; elles ont, depuis, été divisées par deux, entre 500 et 1 500 euros… Et 1 500 euros de pouvoir d’achat, c’est un bon dossier de candidature à un logement social ! »
La précarité n’est pas que financière, elle est aussi sociale. Le nombre de familles monoparentales est passé de 16,6 % du total des locataires HLM, en 2000, à près de 20 %, en 2012. Elles constituent désormais près d’un tiers des nouveaux entrants. « L’instabilité familiale, professionnelle, crée de la tension dans nos immeubles. Je suis frappé du nombre de plaintes de voisins, liées à la drogue, à l’alcool, aux violences », témoigne Yves Laffoucrière, PDG de 3F, le plus gros bailleur social en France, avec 240 000 logements. « On a aussi de plus en plus les cas que nous appelons “Diogène”, des personnes repliées sur elles-mêmes qui n’entretiennent plus leur logement, et nous cherchons des solutions d’hébergement et d’accompagnement en dehors du logement social. »
Les entreprises ont leur part de responsabilité dans cette paupérisation, en multipliant les temps partiels et les bas salaires. L’aide personnalisée au logement, qui allège la quittance, est, en outre, calculée sur le smic mensuel, et non horaire, ce qui en exclut les nombreux smicards à temps partiel. Un grand distributeur comme Auchan, via sa filiale Immochan, a ainsi demandé à Vilogia, un organisme HLM détenu par le Medef du Nord, de construire, sur des parcelles inutilisées près de ses grandes surfaces et entrepôts, des logements aux loyers très sociaux pour loger ses salariés.
Des ressources trop faibles
Les organismes HLM sont devant une équation impossible avec un parc de plus en plus inadapté à la demande, que ce soit en typologie, en localisation et surtout en prix. Les listes d’attente comptent, aujourd’hui, 1,7 million de candidats, dont 57 % ont un niveau de vie (par unité de consommation) de moins de 1 000 euros par mois. Des ressources trop faibles pour honorer une quittance moyenne, charges comprise, de 500 euros. Les 470 000 logements qui se libèrent ou sortent de terre chaque année sont au-dessus de leurs moyen.
« Le modèle économique des HLM n’est pas périmé – de grands pays comme l’Espagne nous envient ce patrimoine –, mais il faut que les trois sources de financements, Caisse des dépôts, collecteurs du 1 % logement et Etat, soient au rendez-vous », plaide Stéphane Peu, président (PCF) de l’agglomération de Plaine Commune, au nord de Paris, et de son office public de l’habitat. « Il faut en particulier que l’Etat réinvestisse, alloue à nouveau des aides à la pierre pour construire et proposer des loyers adaptés », ajoute M. Peu. Christian Baffy annonce de son côté que des solutions pourraient être trouvées pour réduire les coûts de revient de 20 % en réduisant les surfaces, en renonçant aux balcons et en recourant à des éléments préfabriqués.
« Outre les défis de construire pas cher et de loger les plus pauvres, comme le demande Sylvia Pinel, ministre du logement, nous sommes sommés d’instaurer la mixité sociale, y compris dans les quartiers populaires, par Patrick Kanner, ministre de la ville : à qui obéir ? », s’interroge Frédéric Paul, secrétaire général de l’Union sociale pour l’habitat, qui fédère les 700 bailleurs sociaux de France. « Il faut accepter que les quartiers populaires ne soient pas mixtes et accueillent en majorité des familles très pauvres, mais qu’ils soient un sas d’accueil où l’Etat assure des services publics – école, culture – de qualité. Dans tous les cas, il faut un débat public sur ce sujet », propose Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre. « Les organismes HLM doivent abandonner l’idée, née dans les “trente glorieuses”, d’une vocation généraliste du logement social », renchérit Hervé Leservoisier.
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