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lundi 16 mars 2015

Une maison à l’écoute des autistes

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 

Sur la place du village, à quelques pas d’un arbre magnifique, un petit groupe bavarde en prenant le café. Un peu plus loin, quelques personnes lisent ou font la sieste, lovées dans des sortes de chaises longues en bois aux courbes accueillantes. Une scène presque ordinaire de la vie à la campagne.

Près de Champcevrais (Yonne),  la maison d’accueil  l’Eveil du scarabée.

Presque. Le tronc de l’olivier bicentenaire se prolonge par une ramification… de chêne. La « place du village » autour de laquelle s’organise la vie de la collectivité est recouverte d’une voûte en zinc, traversée par des verrières et des puits de lumière. C’est le cœur d’un bâtiment unique en son genre où résident, depuis novembre 2014, 18 autistes âgés de 20 à 60 ans.

Agencement, courbes, matériaux, couleurs, lumière, meubles… Tout a été pensé pour adoucir leur existence, en prenant en compte leurs handicaps et, singulièrement, l’hypersensibilité sensorielle. « J’avais une obsession : que les résidents n’aient pas l’impression d’être dans un hôpital, enfermés. Alors, j’ai supprimé les couloirs, anxiogènes, et imaginé un système de voûte elliptique qui donne du volume tout en étant protecteur », raconte l’architecte designer Emmanuel Negroni, en faisant la visite guidée.


Bâtie en pleine nature, près de la petite commune de Champcevrais (Yonne), cette maison d’accueil a été baptisée l’Eveil du scarabée, en référence à la forme du bâtiment et à la symbolique de ce coléoptère, la résurrection. Pour réduire au maximum les effets d’écho et de façon générale les bruits, sources de stress, voire de souffrance chez les autistes, l’architecte a eu recours à des murs en tôle perforée (pièges à sons) doublés d’isolant acoustique, un système utilisé dans les salles de concert. Les plafonds ont été équipés de plaques de plâtre aux propriétés acoustiques. Emmanuel Negroni, qui n’avait aucune connaissance de l’autisme mais s’est documenté, a aussi beaucoup travaillé sur les couleurs et les éclairages.


La lumière pour programmer l’ambiance


Pour qui a en tête l’ambiance impersonnelle, blafarde ou verdâtre de bien des lieux de soins, c’est un choc. Ici, quel que soit l’endroit, la lumière naturelle est présente, avec une vue sur la nature environnante ou le ciel, mais elle peut être tamisée pour ne pas agresser. Quant aux éclairages artificiels, surtout indirects, ils font notamment appel à des projecteurs à LED, « qui permettent de programmer à volonté l’ambiance, souligne Emmanuel Negroni. On peut choisir une lumière dynamisante le matin et plus douce dans la soirée. Il est même possible de sélectionner des codes couleur correspondant à des moments de la journée, les heures des repas par exemple. Cette signalisation peut être utile pour ceux qui ont du mal à se repérer dans le temps ».

Autour de la place centrale et de son arbre rayonnent les pièces plus techniques (infirmerie, salle informatique, espace sensoriel avec balnéothérapie…), ainsi qu’un restaurant, avec un bar et une cuisine thérapeutique. Les espaces privés s’organisent en cinq « maisons », chacune composée de quatre chambres individuelles avec salle de bains. « L’un des défis a été de gommer les aspects médicaux, tout en restant conforme aux besoins et à la réglementation, très contraignante pour ce type de bâtiment, et sans dépasser l’enveloppe budgétaire de 2 000 euros du mètre carré », précise l’architecte.

Il y a encore quelque mois, la plupart des résidents de l’Eveil du scarabée vivaient à quelques kilomètres de là, dans une ancienne ferme. « J’ai tenu à ce qu’ils puissent choisir leur chambre, et quand ils sont arrivés, nous avons fait une remise symbolique des clés. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils ont un vrai chez-eux », souligne Jean-Pierre Sanchis, directeur de l’Eveil du scarabée ainsi que de la maison de retraite ­(Ehpad) et de l’unité Alzheimer de Champ­cevrais, situées à quelques centaines de mètres.


Un bâtiment thérapeutique


Les intéressés sont ravis de faire visiter leurs appartements. A l’instar de Dominique, qui montre fièrement son téléviseur mural et sa lampe de chevet. « Depuis dix ans, il démontait postes de radio, de télé, prises électriques… Il en a consommé un nombre incalculable. En arrivant ici, ces troubles ont disparu », note M. Sanchis.

Le directeur en est persuadé, un bâtiment peut être thérapeutique. « C’est un membre de l’équipe », insiste-t-il. Adeline Moneuse, la cadre de l’unité, témoigne aussi de changements flagrants de comportement chez plusieurs résidents : ils sont plus apaisés, ont moins de crises d’agressivité, un meilleur sommeil…

Les bénéfices médicaux de cet environnement vont-ils se maintenir et seront-ils un jour évalués objectivement ? Ce serait sans doute la plus belle des récompenses pour le directeur et pour Pierre Denis, le maire de la commune, qui ont bataillé pendant près de dix ans pour qu’aboutisse ce projet novateur, très critiqué par certains politiques locaux. Au final, il a coûté 4,2 millions d’euros, la « fourchette haute dans cette catégorie d’établissement, pas plus », selon Jean-Pierre Sanchis. Emmanuel Negroni, lui, a reçu le 3 mars un prestigieux prix d’architecture (ArchiDesignClub Awards 2015), dans la catégorie établissements de santé.

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