C'est l'un des débats les plus délicats et brûlants du moment. L'un des sujets les plus intimes et politiquement sensibles. Sans doute l'un des plus polémiques, aussi. Comment mourir dans la dignité lorsque qu'on souffre d'une maladie incurable ? Comment accompagner la fin de vie d'un être en état de conscience minimale ?
Candidat, François Hollande voulait « ouvrir pour toute personne majeure en phase avancée d'une maladie incurable » un droit à « bénéficier d'une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Devenu président, il a réaffirmé, le 14 janvier, son souhait de voir aboutir une nouvelle loi qui viendrait compléter celle du 22 avril 2005 relative aux droits des patients en fin de vie.
ENTORSE À LA LOI
Cette dernière, dite loi Leonetti car elle fut portée au Parlement par le député UMP Jean Leonetti, qui permet à tout malade, même celui qui n'est pas en fin de vie, de demander l'arrêt de tout traitement, présenterait des « ambiguïtés » qu'il faudrait « lever », assure la ministre de la santé Marisol Touraine. Saisi en 2012 sur cette question de l'euthanasie, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) préconise quant à lui le maintien de l'interdiction de « provoquer délibérément la mort ».
Une nouvelle affaire a récemment relancé le débat. Vincent Lambert, 38 ans, tétraplégique en état de conscience minimale depuis un accident de la route en 2008, est hospitalisé au CHU de Reims. Autour de lui, sa famille se déchire. Son père et sa mère ainsi que d'autres membres de sa famille s'opposent à l'arrêt de son alimentation et de son hydratation artificielle. Son épouse et une autre partie de la famille, qui y sont favorables, ont indiqué qu'avant son accident, Vincent Lambert aurait déclaré ne pas souhaiter d'acharnement thérapeutique. L'équipe médicale devait l'interrompre.
Mais le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a jugé que cette interruption constituerait « une atteinte grave et manifestement illégale du droit à la vie », donnant ainsi tort à l'hôpital. Saisi par cette affaire, le Conseil d'Etat doit rendre un avis très attendu par la communauté médicale et par tous les citoyens touchés par des situations semblables.
LA LIBERTÉ SUPRÊME
Alors que la révision de la loi Leonetti est à l'ordre du jour et que les partisans du droit à mourir dans la dignité ainsi que les militants « pro-life » se mobilisent chacun de leur côté, Le Monde a souhaité confronter les positions d'André Comte-Sponville et de Corine Pelluchon.
Philosophe, André Comte-Sponville est favorable depuis de longues années à l'euthanasie. Matérialiste et humaniste, il ne va pas jusqu'à considérer comme Montaigne, que « le plus beau cadeau que nature nous ait fait, c'est de nous avoir laissé la clef des champs ».
Car pour lui, la liberté suprême, « c'est la liberté de vivre ». Néanmois, André Comte-Sponville estime que la légalisation de l'euthanasie serait un progrès dans l'extension des droits de l'homme. Membre du Comité national d'éthique, il s'est opposé à l'avis que celui-ci a rendu sur le sujet. Il franchit même un pas supplémentaire et se déclare favorable – dans des cas extrêmes – à l'euthanasie involontaire.
Spécialiste de philosophie politique et d'éthique appliquée, Corine Pelluchon est radicalement opposée à l'euthanasie involontaire, parce que la mort est « inappropriable » et qu'« on ne choisit pas le jour et l'heure de la mort d'un autre ». Elle réfute également la plupart des arguments destinés à légaliser le suicide assisté, notamment parce que la dépénalisation risquerait d'induire une demande de mort chez des patients qui vivent dans des conditions misérables.
Malgré certaines oppositions marquées, il s'agit d'un dialogue mesuré entre deux libéraux attachés aux libertés individuelles. Mais aussi parce que Corine Pelluchon fut l'élève d'André Comte-Sponville. Et que celui-ci permit à toute une génération d'apprentis philosophes de « penser sa vie et de vivre sa pensée » dans le respect et la déprise de la maîtrise.
Que nous apprend le cas Vincent Lambert sur la situation actuelle des grands malades en fin de vie ? En quoi peut-il conduire l'Etat à faire évoluer la loi ?
Corine Pelluchon Le cas Vincent Lambert pointe les difficultés du dispositif juridique en place. La loi Leonetti fait reposer la décision de limitation et d'arrêt de traitement sur le médecin, notamment quand il s'agit de patients hors d'état d'exprimer leur volonté, comme les personnes dans le coma ou en état de conscience minimale, appelées aussi pauci-relationnelles. Qui d'autre pourrait apprécier le caractère inutile ou disproportionné d'un traitement et analyser les outils d'imagerie cérébrale puis établir un pronostic de récupération par le malade de ses fonctions neurologiques ? Cette responsabilité est liée à leur compétence.
La loi soumet toutefois le professionnel médical à deux conditions : la décision doit être collégiale et il doit obtenir l'accord de la famille, en l'absence de directive anticipée et quand il n'y a pas de personne de confiance. Or, dans le cas de Vincent Lambert, la famille est divisée, les parents contestent que les traitements soient disproportionnés et que leur fils aurait souhaité qu'on le laissât mourir. Ils ont tort, car même si Vincent Lambert ouvre les yeux, peut pleurer, le soin n'a plus de sens. La relation elle-même n'est plus signifiante pour lui. Les parents veulent que l'on s'acharne dans l'accompagnement. Or, ce n'est pas bénéfique au patient.
Ces situations de désaccord familial risquent de se produire régulièrement. L'idée est donc de soustraire le malade à l'ingérence d'autrui, fût-ce à celle de ses parents. Et pour faire basculer le dispositif juridique actuel en faveur de la volonté du patient, nous devons rendre les directives anticipées du patient contraignantes et obligatoires. Pour le moment, les médecins tiennent seulement compte de ces directives et, quand elles existent, ce qui est rarissime, elles n'ont pas de valeur juridique contraignante et ne sont valables que trois ans.
De plus, chacun devrait dire ce qu'est, pour lui, « l'obstination déraisonnable ». Tout le monde devrait rédiger une déclaration avec son médecin traitant afin de dire quelles sont pour lui les limites au-delà desquelles un traitement n'a plus de sens et n'est plus bénéfique, mais maléfique.
On éviterait une situation comme celle de Vincent Lambert. Dans cette affaire, le juge des référés a considéré qu'il n'y avait pas d'obstination déraisonnable, le patient n'étant pas dans le coma. Le tribunal a donné une réponse juridique de l'obstination déraisonnable qui relève pourtant de l'ordre prudentiel.
En effet, l'appréciation du caractère disproportionné des traitements renvoie au cas par cas. Elle s'appuie sur le pronostic, qui suppose que l'on se demande si les traitements ont encore du sens, mais la situation spécifique de la personne est également prise en considération ainsi que les examens cliniques qui témoignent chaque jour que Vincent Lambert est dans l'inconfort.
Chaque année, près de 100 000 personnes meurent après une décision de limitation ou d'arrêt de traitement. C'est un progrès ! On ne laisse plus les gens dix ans dans le coma. Les soignants ont pris conscience que la médecine est devenue tellement puissante qu'elle peut créer des cas de handicaps insupportables.
C'est pourquoi, dans un premier temps, tout est mis en oeuvre pour sauver le patient, mais si l'on constate par la suite que les traitements ne servent plus à rien, alors, suivant un raisonnement a posteriori, on juge qu'on est allé trop loin et on les arrête.
André Comte-Sponville Depuis la loi Leonetti, et sous réserve de son application effective, la fin de vie, en France, a cessé d'être scandaleuse. Cette loi autorise le patient à refuser tout traitement, impose au médecin de respecter ce refus, et donne au malade le droit de demander qu'on combatte la douleur, y compris si sa vie risque d'en être abrégée. Ce n'est pas l'euthanasie, mais c'est un progrès considérable.
Cela dit, la loi Leonetti, pour positive qu'elle ait été, ne règle pas tout. C'est ce que montre le cas Vincent Lambert. La situation de cet homme est atroce : cinq ans sans pouvoir communiquer ni bouger ! Imaginez une journée dans cet état… Alors, cinq ans ! Les experts sont incapables de statuer sur son degré de conscience. Plus il est conscient, plus c'est atroce ! Et quand une situation est atroce, nous devons la combattre.
Les juristes du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'accordent à dire que le tribunal a fait correctement son travail. Corine Pelluchon regrette qu'il ait eu une « réponse juridique ».Et alors ? On ne peut pas demander à un tribunal de faire autre chose que d'appliquer la loi !
Pourquoi le cas Lambert n'est-il pas résolu par la loi Leonetti ? Parce que, soutient l'avocat des parents, Vincent n'est ni malade ni en fin de vie ; il peut vivre ainsi quarante ou cinquante ans. Or, la loi Leonetti ne porte que sur la fin de vie et sur la maladie. Le cas Vincent Lambert prouve, après bien d'autres, qu'il faut la modifier.
Le CCNE, sans recommander une légalisation de l'euthanasie, a proposé deux avancées importantes : donner aux directives anticipées un poids contraignant, obligeant les médecins à les respecter ; et donner aux patients le droit de demander une sédation terminale pour éviter la souffrance et l'angoisse liées à une trop longue agonie.
Pour Vincent Lambert qui n'a pas laissé de directives et ne peut rien demander, la loi doit autoriser la famille et les médecins à prendre une décision. Ce qui me choque, dans cette affaire, c'est que l'avis des parents l'ait emporté sur celui de la compagne. Cet homme est adulte ; il ne dépend donc plus de ses parents, qu'il n'a pas choisis et dont il ne partage pas l'idéologie. Il a choisi sa compagne, il vivait avec elle : c'est son avis à elle qu'on aurait dû privilégier !
Comment changer la loi Leonetti alors ? Faut-il dépénaliser ou légaliser l'euthanasie ?
André Comte-Sponville Il faut une loi qui légalise ou du moins dépénalise l'euthanasie dite volontaire, celle qui est expressément demandée par le patient. Il faudra également autoriser une assistance au suicide, avec toute une série de contrôles, comme c'est le cas en Suisse. Et aussi réfléchir à l'euthanasie dite involontaire, pour les personnes qui ne sont pas en état de demander quoi que ce soit, comme c'est régulièrement le cas pour certains nouveau-nés atrocement handicapés.
Même le CCNE, pourtant majoritairement opposé à l'euthanasie, reconnaît qu'on ne peut pas nier l'existence de ces cas, ni les condamner. Mais cette réflexion autour de l'euthanasie dite involontaire peut se faire dans un second temps.
En revanche, légaliser dès maintenant l'euthanasie volontaire, qui n'est qu'une assistance médicalisée au suicide, constituerait une véritable avancée pour les droits de l'homme. Ce n'est pas une question de dignité, mais de liberté. De même que je suis maître de ma vie, je dois l'être, si je le souhaite, de ma mort. Les Français y sont très majoritairement favorables. Moi aussi. Le droit de mourir fait partie du droit de vivre.
Corine Pelluchon La question du droit de mourir ne concerne pas seulement le suicide , que personne ne criminalise, mais elle implique également une structure de soins. Pour pouvoir ouvrir la question du suicide assisté, il faudrait circonscrire le sujet aux patients ayant eu accès aux soins palliatifs et n'en voulant plus.
Sinon, les demandes de mort risquent de n'être que le triste reflet des injustices subies par ceux qui n'ont pas accès aux soins palliatifs. Il ne faudrait pas que la proposition éventuelle d'un suicide assisté occultât la question centrale de l'accès aux soins palliatifs.
Beaucoup de gens meurent mal aujourd'hui, c'est l'une des raisons pour lesquelles ils demandent le suicide. Nous nous accordons, avec André Comte-Sponville, sur plusieurs points, la sédation profonde, les directives anticipées, mais là où nous sommes en désaccord, c'est sur le fait que la légalisation du suicide assisté serait la réponse à ces problèmes qui sont liés au fait qu'on meurt encore mal en France et qu'il y a des inégalités insupportables en fin de vie. Il faut compléter la loi qui ne suffit pas, mais légaliser le suicide assisté ne réglera pas les vrais problèmes.
Renforcer le droit des malades et de tout individu à être soustraits à l'acharnement thérapeutique et à l'ingérence d'autrui est une nécessité. Mais il ne faut pas fragiliser le travail des médecins et toute la réflexion qui a abouti à encadrer les décisions de limitation et d'arrêt de traitement.
Pour les cas de coma, en réanimation anesthésie, les médecins sont obligés d'être dans une médecine de pronostic. Il ne faut pas éroder la confiance que placent les personnes dans ceux qui délivrent ces pronostics que ni vous ni moi ne pouvons établir. Il s'agit donc de trouver un équilibre entre le renforcement du droit des malades et des personnes et le maintien d'une relation de confiance avec les soignants. Celle-ci est d'autant plus nécessaire que la médecine est très technique et que le choix des stratégies thérapeutiques est vaste !
Par ailleurs, on ne peut pas blesser les gens dans l'exercice de leurs fonctions sans s'attendre à un grand désordre. C'est pourquoi, si le législateur optait pour l'assistance au suicide, il pourrait à la rigueur s'inspirer de l'Etat d'Oregon, outre-Atlantique : on donne au patient qui est en fin de vie et qui le demande un médicament lui permettant de mettre un terme à sa vie, et il est ensuite libre de le prendre ou pas. Et, à mon avis, le suicide doit se faire en dehors des lieux de soins.
Mais on ne peut décemment proposer cette assistance au suicide qu'aux personnes malades et en fin de vie ayant eu accès aux soins palliatifs et n'en voulant plus ou même à celles qui n'en veulent pas (cela ne fait pas beaucoup de monde), et non aux personnes souffrant de la vie. Au-delà, la dépénalisation de l'euthanasie et du suicide assisté risque d'induire une demande de mort chez les personnes qui sont dans des conditions de vie ou de fin de vie misérables, c'est-à-dire injustes.
André Comte-Sponville Je me bats depuis trente ans pour une légalisation de l'euthanasie, et je constate que les positions sont aujourd'hui moins tranchées. La pensée des uns et des autres s'est nuancée. Tant mieux. Je partage la modération de Corine Pelluchon. On entend souvent, chez les militants opposés à l'euthanasie, que sa légalisation entraînera la fin de la civilisation ; ou au contraire, chez quelques militants du droit de mourir dans la dignité, que le droit de mourir est la liberté suprême.
Les deux discours sont excessifs ! La liberté suprême, c'est celle de vivre. Il ne faut pas accorder à la mort plus d'importance qu'elle n'en a. Voter une loi pour légaliser l'euthanasie, ce n'est pas une révolution, juste un progrès de plus dans l'édification des droits de l'homme.
Vous nous dites « on meurt mal en France ». C'est vrai. Mais ne rêvons pas : l'amélioration des soins palliatifs ne fera pas disparaître toutes les demandes de suicide assisté, lesquelles n'émanent pas uniquement de personnes malades ou en fin de vie, mais également de très grands vieillards, par exemple, ceux qui vivent dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
J'ai beaucoup fréquenté ces endroits. Ils sont atroces, pas à cause des soignants, qui font preuve de compétence et de dévouement, mais parce que beaucoup de résidents y sont objectivement privés de liberté. Le Contrôleur des lieux de privation de liberté a d'ailleurs demandé à se saisir des Ehpad. Il a raison.
Tous les résidents n'y sont pas entrés volontairement, et beaucoup voudraient en sortir. On les en empêche, d'ailleurs pour d'excellentes raisons médicales. Or parmi ceux qui sont conscients, qui ne supportent plus d'être enfermés, incontinents, dépendants, sourds ou paraplégiques, certains demandent à mourir.
Alors, oui, encore heureux, le suicide en France n'est pas un délit ! Mais la vraie question est : comment fait-on pour se suicider dans un Ehpad ? Comment fait-on pour se suicider quand on est tétraplégique ? Tant que je suis en état de me suicider, je peux me passer de l'aide de la médecine (même si j'en voudrai toujours à la législation d'avoir obligé Gilles Deleuze à sauter par la fenêtre pour mettre fin à ses jours). Mais ceux qui ne sont pas en état de se suicider ? Ils ont le droit de demander à mourir, et je ne vois pas de quel droit on interdirait à leur médecin de les y aider.
Corine Pelluchon On dénie à ces patients le droit d'accès au jeu, à une vie émotionnelle, relationnelle… Oui, ce sont des prisonniers, mais l'euthanasie et le suicide assisté ne constituent pas la réponse à ce problème d'injustice qui porte ici sur les conditions de vie des personnes âgées. Quelle que soit la position proposée par le législateur, l'essentiel est de promouvoir plus de justice envers les personnes âgées, dépendantes et en Ehpad.
Il faut soutenir leur droit à l'existence en veillant à ne pas induire chez elles une demande de mort. Il n'est pas étonnant que, vivant mal, certaines personnes en Ehpad veuillent se suicider ou demandent le suicide assisté.
Légaliser le suicide assisté pour les personnes âgées qui ne seraient pas en fin de vie ne serait qu'une manière d'entériner cette misère de la vieillesse. Le gouvernement devra travailler sur ces points, même s'il autorise l'assistance au suicide pour les personnes malades qui sont en fin de vie et qui ne veulent plus des soins palliatifs.
L'euthanasie involontaire est-elle, selon vous, une ligne rouge à ne pas franchir ?
Corine Pelluchon Elle ne doit surtout pas être franchie. Parce que dans le cas des personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, a été mis en place un cadre législatif lié à une réflexion éthique qui était mûre. Tout cela permet aux médecins de prendre des décisions de limitation et d'arrêt de traitement qui ne sont pas arbitraires.
Or, légaliser l'euthanasie involontaire donnerait un pouvoir abusif aux médecins et à autrui : ils s'arrogeraient le droit de décider que la vie d'autrui est trop misérable pour être vécue. Au contraire, les décisions d'arrêt de traitement n'ont rien à voir avec un arrêt de vie ou de mort, mais elles découlent d'une appréciation des limites des traitements et de leur caractère disproportionné.
L'idée est, encore une fois, de soustraire les personnes à l'acharnement thérapeutique, mais aussi à l'ingérence d'autrui. Une précision : certains considèrent les personnes en état pauci-relationnel ou végétatif comme des personnes handicapées qu'il faut maintenir en vie jusqu'à la fin.
Je ne partage pas cette position pro-life. Car on ne peut pas confondre les pauci-relationnels avec les personnes handicapées qui peuvent avoir un projet de vie et dont on doit soutenir le sentiment d'existence en évitant qu'elles ne soient condamnées, en raison de leur dépendance, à une vie diminuée, à une simple survie.
Les pauci-relationnels ne sont pas en fin de vie, mais ils survivent et ne peuvent plus exister. En outre, à propos des efforts relatifs aux conditions de fin de vie des personnes âgées, il faut bien voir que, souvent, il n'y a pas d'accompagnement.
Le passage de la vieillesse à la fin de vie n'est pas parlé. Parfois la personne meurt aux urgences. C'est traumatisant. Dire que la solution au mal mourir, c'est l'injection létale, c'est refuser de voir où sont nos responsabilités. Enfin, pour moi, on ne choisit pas le jour et l'heure de la mort d'un autre, la mort est inappropriable, donc s'il y avait une assistance au suicide parce que les médecins donnaient le produit, il faudrait que cet acte reste malgré tout un acte privé.
André Comte-Sponville Il n'est bien sûr pas question d'euthanasier quelqu'un qui ne l'a pas demandé, s'il est en état d'exprimer un avis ! Mais quand il est dans le coma depuis des années ? Ou quand quelqu'un, pour de très estimables raisons, demande expressément à mourir ? Qu'il faille des contrôles, des garde-fous, c'est clair. Mais pourquoi l'interdire absolument ?
Une république laïque n'a pas de philosophie, ni donc d'avis sur la mort. A chacun de se prononcer, pour son propre compte ! Je ne demande pas à Corine Pelluchon de demander une injection létale ; mais de quel droit peut-elle m'interdire de la demander, et empêcher mon médecin de me l'accorder ?
Souvenez-vous du cas de Vincent Humbert, il y a dix ans, ce jeune tétraplégique, parfaitement conscient, qui ne pouvait s'exprimer qu'en clignant des yeux, et qui avait expressément demandé à sa mère de l'aider à mourir. Sa mère avait accédé à sa demande, et j'aurais fait la même chose.
Je ne peux pas comprendre qu'une loi puisse envisager de la condamner. Celui qui est paralysé des quatre membres, s'il souhaite vivre, il a toute mon admiration, et il va de soi que la société doit lui donner les moyens de vivre le mieux possible. Mais s'il demande de mourir, au nom de quoi le lui refuser ?
Sur le plan intellectuel, pourquoi demander une modification de la loi Leonetti ?
André Comte-Sponville Quatre raisons : la première, c'est que je suis un républicain ; or la loi Leonetti est violée des centaines de fois par an, par des médecins et des gens de coeur qu'aucun d'entre nous n'oserait condamner. Une loi inapplicable, violée par d'honnêtes gens, c'est une mauvaise loi, qu'il faut changer.
La deuxième raison, c'est que je suis un libéral : je ne vois pas de quel droit l'Etat peut empiéter sur ma liberté quand celle-ci n'empiète pas sur celle des autres. Troisièmement, je suis un homme de gauche, et je constate qu'il y a aujourd'hui une mort à deux vitesses, avec d'un côté ceux qui peuvent aller mourir en Suisse dans de bonnes conditions, dans des cliniques très confortables et très chères, et de l'autre, ceux qui meurent lamentablement dans des Ehpad ou des hôpitaux.
Une loi qui préserve le droit des riches à mourir confortablement et en prive les plus pauvres est une loi socialement injuste. Enfin, je suis un laïque. Que des religions condamnent le suicide et l'euthanasie, c'est leur droit. Mais un Etat laïque n'a pas à en tenir compte.
Il ne s'agit pas de faire du suicide la liberté suprême ! Je ne pense pas comme Montaigne que « la plus volontaire mort, c'est la plus belle » ; mais juste qu'elle fait partie des droits de l'homme. La loi actuelle condamne toute euthanasie active. Il faut donc la changer.
L'objectif n'est pas de systématiser l'euthanasie, de tuer des gens pour faire faire des économies à la Sécurité sociale, mais simplement d'aider ceux qui le veulent, quand ils sont en situation de détresse, à assumer cette liberté minimale et ultime : celle de mourir lorsqu'ils n'en peuvent plus.
Corine Pelluchon. Moi aussi, je suis libérale et en faveur du progrès pour plus de justice, et ce progrès ne passe pas forcément par l'euthanasie, encore moins par l'euthanasie involontaire.
Il faut de toute urgence développer les soins palliatifs et améliorer les conditions de vie et de fin de vie des personnes âgées. Si le cas Vincent Humbert, celui de 2003, se produisait aujourd'hui, il pourrait simplement demander un arrêt de traitement qu'il obtiendrait sans difficulté dans le cadre de la loi Leonetti.
Oui, il faut compléter cette loi, mais en trouvant un équilibre entre le renforcement des droits des individus et l'importance de la confiance dans ceux et celles qui nous soignent.
- Nicolas Truong
Journaliste au Monde
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