Certains vous racontent leurs rêves quasiment tous les jours au saut du lit. D’autres en sont incapables, et sont persuadés de ne presque jamais rêver. Pour les chercheurs en onirologie, ces deux catégories d’individus sont de bons sujets d’étude, car comparer l’activité cérébrale des premiers (dits « grands » rêveurs) à celle des seconds (« petits » rêveurs) est l’un des moyens d’explorer cette terra encore assez incognita.
DEUX ZONES CÉRÉBRALES PARTICULIÈRES
Grâce à cette stratégie, l’équipe de Jean-Baptiste Eichenlaub et Perrine Ruby (Centre de recherche en neurosciences de Lyon, Inserm) vient de confirmer le rôle clé de deux zones cérébrales particulières dans l’activité onirique. Leur étude, qui a fait appel à des examens par tomographie par émission de positons (TEP), a été publiée sur le site de la revue Neuropsychopharmacology, le 16 janvier.
Alors que de multiples activités cérébrales peuvent être observées avec précision par des techniques modernes, l’étude des rêves, activité cérébrale spontanée et incontrôlable, reste un défi. Quelques résultats spectaculaires ont récemment été obtenus. Grâce à des examens en IRM fonctionnelle couplés à des électroencéphalogrammes (EEG), une équipe japonaise a par exemple mis au point un algorithme permettant de « deviner » sommairement le type d’images perçues par des personnes en train de rêver (Science, avril 2013).
Mais le vieux fantasme d’une machine à décoder les rêves n’est pas pour demain. « Nous ne disposons d’aucun signe objectif permettant d’affirmer qu’un cerveau rêve », souligne Perrine Ruby. Selon elle, les chercheurs dans ce domaine ont même fait, ces dernières années, un léger pas en arrière sur le plan méthodologique, avec la remise en question du modèle de Michel Jouvet sur le sommeil paradoxal.
A la fin des années 1950, les travaux de ce pionnier avaient conduit à assimiler les phases des rêves à celles de sommeil paradoxal (aussi appelées phases des mouvements oculaires – PMO – ou sommeil REM, pour « rapid eye movement »). Depuis quinze ans, d’autres spécialistes, dont le neuropsychologue sud-africain Mark Solms, ont montré les limites de cette théorie, notamment en observant que des rêves peuvent advenir en dehors des phases de sommeil paradoxal.
RECRUTER DES VOLONTAIRES
« Aujourd’hui, le sommeil paradoxal reste un indicateur potentiel de rêves, mais on est obligé de prendre un peu de distance, poursuit Perrine Ruby. Enregistrer et comparer l’activité cérébrale de petits et grands rêveurs nous permet de nous affranchir de l’impossibilité de localiser les rêves dans le temps. » Encore faut-il réussir à recruter des volontaires… « Les grands rêveurs, capables de se souvenir de cinq rêves par semaine en moyenne, sont beaucoup plus faciles à trouver dans la population que des petits rêveurs, qui ne se rappellent que de deux rêves par mois. Pour inclure nos 40 sujets, nous avons dû éplucher 2 000 questionnaires », raconte la chercheuse.
Lors d’une première salve d’expériences – publiées en janvier 2013 dans la revue Cerebral Cortex –, les chercheurs lyonnais avaient établi que le temps total d’éveil pendant la nuit est deux fois plus long chez les grands rêveurs que chez les petits rêveurs (trente minutes contre quinze minutes).
L’importance des éveils transitoires au cours du sommeil pourrait d’ailleurs, selon eux, être la clé du meilleur souvenir des songes chez les grands rêveurs, le cerveau étant incapable de mémorisation pendant le sommeil. En pratiquant des examens EEG en phase d’éveil dans les deux groupes, Perrine Ruby et ses collègues avaient aussi démontré que le cerveau des grands rêveurs était plus réactif aux bruits de l’environnement, plus réceptif, que celui des petits rêveurs.
Pour poursuivre leur raisonnement, les chercheurs ont, dans une deuxième vague d’expériences, eu recours à une technique de tomographie par émission de positons (TEP). Cet examen mesure les variations locales de débit sanguin dans le cerveau, ce qui permet d’évaluer quelles zones sont actives.
« Nous avons constaté que la jonction temporo-pariétale et le cortex préfrontal médian sont spontanément plus actifs chez les grands rêveurs, pendant le sommeil et pendant l’éveil, résume Perrine Ruby. Ces résultats concordent avec ceux de Mark Solms, qui avait remarqué chez ses patients que des lésions de ces deux zones conduisaient à une cessation des souvenirs de rêves. »
JOURNAUX DE RÊVES
La jonction temporo-pariétale, zone carrefour, est impliquée dans de nombreuses tâches dont l’attention et la mémoire, précise la chercheuse. Quant au cortex préfrontal médian, il aurait un rôle dans l’attribution des pensées à autrui. Pour Perrine Ruby et ses collègues, l’hyperactivité de la zone temporo-pariétale pourrait, en augmentant la réceptivité des sujets et donc leurs éveils nocturnes, faciliter l’encodage des rêves en mémoire à long terme. Leur prochaine étape est d’étudier les moments de réveil en neuroimagerie.
Avec une tout autre approche, l’analyse de « journaux des rêves », l’équipe canadienne de Geneviève Robert et Antonio Zadra (université de Montréal) s’est, elle, intéressée au contenu des cauchemars et des mauvais rêves. Pour leur étude – parue dans le journal Sleep, le 1er février –, ces chercheurs en psychologie ont demandé à 572 volontaires de consigner leurs rêves pendant deux à cinq semaines. Ils ont ainsi étudié le récit de près de 10 000 rêves et pu analyser 253 cauchemars et 431 mauvais rêves.
« Les agressions physiques sont les thèmes le plus souvent rapportés dans les cauchemars. Les mauvais rêves, quant à eux, sont surtout hantés par des conflits interpersonnels », écrivent les chercheurs, dans un communiqué de l’université de Montréal. Les agressions physiques (incluant les agressions sexuelles, les séquestrations et les enlèvements) représentent près du tiers (31,5 %) des récits. Viennent ensuite les conflits interpersonnels (29,5 %) : hostilité, opposition, insultes, infidélité, mensonge…
Le sentiment de peur est loin d’être systématique : il est absent dans le tiers des cauchemars et presque toujours dans les scénarios de mauvais rêves. Enfin, les thèmes des mauvais rêves diffèrent selon le sexe : les hommes sont plus souvent hantés par des scènes de désastre, de calamité et d’invasion de vermine ; les femmes, plus sujettes à mettre en scène des conflits interpersonnels.
- Sandrine Cabut
Journaliste au MondeSuivre Aller sur la page de ce journaliste
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