Provocation ou authentique proposition ? Peu importe, au fond, tant ce texte incisif est riche d'arguments, de pistes et de ce qu'il faut de subversion pour résoudre un épineux problème de nos démocraties : comment débattre et décider au sujet des controverses technoscientifiques (les OGM, les ondes, les nanotechnologies...) ?
Yves Citton, professeur de littérature à l'université de Grenoble-III, apporte une réponse originale qui réconcilie les deux cultures, littéraire et scientifique... tout en ravivant la querelle ancienne entre ces deux approches !
Avant de développer sa proposition, il souligne les défauts des formes actuelles de résolution de ces conflits : les débats ou forums citoyens. Ces procédures sont perçues comme des validations de décisions déjà prises. Elles reposent sur les préjugés tenaces que le public est ignorant et qu'il a d'abord besoin d'être éclairé par une information experte. Elles font croire que le débat peut se réduire à de purs arguments scientifiques en en excluant les questions de finalités, d'intérêts divers, de responsabilités...
Yves Citton insiste aussi sur une autre caractéristique, que sa méthode corrige. Ces débats citoyens enferment la discussion dans ce qu'il appelle la philosophie analytique, c'est-à-dire un prototype d'argumentation rationnelle qui codifie l'enchaînement logique des arguments jusqu'à arriver à une solution.
SORTIR DES ÉCHANGES BINAIRES
A ces débats délibératifs, l'auteur veut substituer les débats interprétatifs, dont les études littéraires raffolent. Il s'agit d'exprimer des hypothèses sur la signification d'un texte et d'explorer ainsi différentes possibilités de lecture. Aux explications, on préférera les explicitations. Assez classiques dans l'enseignement, ces techniques pourraient s'appliquer aux débats de société. Yves Citton donne ainsi un exemple avec les textes d'un faucheur d'OGM et d'une association interprofessionnelle semencière.
Le but est de sortir des échanges binaires pour faire jaillir des positions imprévues. Utilisant une belle métaphore, il explique qu'il s'agit de révéler le mycélium enchevêtré d'où émergeront des champignons inattendus. Alors que le débat délibératif ne s'intéresserait qu'aux champignons dûment répertoriés, pointant leur nez.
Le relativisme aussi montre son nez : notion d'égalité des intelligences, reconnaissance de compétences aux incompétents ou de la possibilité pour deux personnes d'avoir raison en même temps... Tout cela irritera les rationalistes. Encore plus quand M. Citton explique que, finalement, les scientifiques eux-mêmes se livrent souvent à "l'interprétatif" dans leur travail. Ou qu'on aurait autant à apprendre d'une boule puante (lancée en protestation lors d'un débat) que d'un argument bien formé.
L'auteur reconnaît bien volontiers les limites de sa proposition (une dernière partie reprend d'ailleurs des questions posées lors d'une de ses conférences). Mais sa volonté de trancher les noeuds dans lesquels nous sommes pris méritera mieux que des anathèmes rapides. Qui tentera l'expérience ?
Pour une interprétation littéraire des controverses scientifiques, d'Yves Citton, éd. Quae, 175 p., 12,50 €.
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