C’est un chirurgien cancérologue. Et il le dit presque avec mesure : «J’ai eu une formation classique, puis à un moment, j’en avais assez d’opérer des femmes pour leur cancer du sein et de les mutiler. Je me suis dit : il faut prendre le ou la malade dans son ensemble.» Et c’est ainsi qu’il est devenu un des cancérologues français les plus partisans du jeûne… thérapeutique.
Un excité, le docteur Michel Lallement ? Nullement. «J’ai fait le constat, comme tant d’autres, que les cancers explosent. Que faire ? J’ai choisi de travailler sur le terrain de la personne, l’alimentation en particulier.» Et il n’est pas le seul. Depuis peu, se développe tout un courant pour vanter les mérites cliniques du jeûne, en particulier pour soigner de graves maladies mentales, mais aussi bon nombre de cancers. Il y aurait des dizaines d’essais en cours en Europe, aucun en France. Toute une école médicale est en train de se structurer ; un documentaire sur Arte a été récemment diffusé et, la semaine prochaine, la très sérieuse maison d’édition La Découverte publiera le Jeûne, une nouvelle thérapie ? du documentariste Thierry de Lestrade (1).

Qu’en penser ? Une nouvelle lubie ? Comme souvent lorsqu’il s’agit de médecines parallèles - le jeûne n’est pas considéré «comme une bonne pratique médicale» par l’Institut national du cancer -, il y a de tout, à boire et à manger. Le livre de Thierry de Lestrade est un bon reflet de ce fourre-tout. S’y amoncellent des témoignages sur un registre «quasi miraculeux», mais aussi une analyse historique intéressante, où l’on apprend comment le jeûne est devenu à la mode, notamment pour traiter les maladies mentales au début du siècle, pour disparaître ensuite, vaincu par les industries pharmaceutiques qui ont préféré vendre leurs molécules. Et ainsi de suite.
«Patrimoine». Reste cette question : pourquoi diable les cellules cancéreuses mourraient-elles lorsque nous jeûnons ? Le docteur Valter Longo est un chercheur italien installé aux Etats-Unis. C’est lui qui a repris le cheval de bataille du jeûne, il y a une dizaine d’années. Et le théorise :«En période de jeûne, nos cellules saines se protègent, elles vont même de mieux en mieux. Elles ont gardé un patrimoine génétique permettant l’adaptation aux circonstances extrêmes, par exemple au manque de glucide pendant le jeûne. Alors que les cellules cancéreuses, elles, ont perdu ce patrimoine génétique et sont dépendantes du glucide. Sans glucide, les cellules cancéreuses régressent, voire disparaissent.»
D’où cette nouvelle stratégie : cumuler le jeûne et la chimiothérapie pour accélérer la mort de la tumeur. Il existe des exemples de réussite en pagaille, comme l’histoire de Jean-Claude, autoguéri d’un cancer de la vessie après un jeûne de vingt-huit jours : plus il jeûnait, mieux il se sentait.«J’aurais préféré mourir que de me faire enlever la vessie, dit-il. Tout le monde doit expérimenter le jeûne au moins une fois. Cela a été le révélateur de ma vie.» Des cas étrangers viennent appuyer cette thèse. Comme celui d’un médecin russe, Yuri Nikolaev, mort en 1998 à 92 ans : il aurait multiplié toute sa vie des expériences sur le jeûne. Dans sa clinique, en Sibérie, plus de 1 000 personnes viennent jeûner chaque année. «Pour ceux qui arrivent avec une prescription médicamenteuse, leur dose est peu à peu réduite pour être retirée dès que possible.» Les résultats sont très bons pour l’hypertension, l’asthme, mais aussi les grandes maladies mentales, comme la schizophrénie. «Les Soviétiques, puis les Russes, ont constitué quarante ans d’études cliniques, établi des protocoles, des listes d’indications et de contre-indications et ont soigné des dizaines de milliers de patients», écrit Thierry de Lestrade. Valentin Nicolaïev, médecin à Moscou, pointe néanmoins les difficultés actuelles : «Sommes-nous prêts à penser le monde autrement ? A penser notre système de santé autrement, à penser notre rapport au soin et au corps différemment ?»
Vérité. Comme souvent dans ces pratiques médicales non validées, des accents de vérité émergent parfois dans le témoignage de certains patients. «Au moins, avec le jeûne, explique une malade, je reprends un peu possession de mon corps. Je n’ai plus l’impression d’être dépossédée de tout, comme dans la cancérologie habituelle.»En tout cas, en France, l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) préparerait pour début 2014 un essai sur l’effet du jeûne au cours de certaines chimiothérapies.
(1) 220 pp., 19 €.