Les enfants partent, les parents trinquent
LE MONDE |
Il fallait bien que cela arrive un jour. Quand les enfants quittent la maison, c'est une page qui se tourne. Fini les sorties en famille, les câlins, les repas chahutés, les éclats de rire, les confidences. Fini aussi les "corvées de taxis", les sautes d'humeur et claquements de portes.
Passé un temps d'adaptation, la plupart des parents s'en accommodent, voire sont soulagés. Ils ont le sentiment du devoir accompli. Heureux d'avoir conduit leurs adolescents, devenus de jeunes adultes, aux portes de l'autonomie.
Mais cette transition n'est pas toujours facile à vivre. A la peur de lâcher leurs grands ados dans un monde de plus en plus incertain, s'ajoute l'angoisse, parfois, de se retrouver face à soi-même et, le cas échéant, face à son conjoint.
Laura Martinez est la petite dernière d'une famille de deux enfants. Elle a quitté la maison il y a trois ans. Ses parents, dit-elle, n'ont eu de cesse de la "culpabiliser". "Quand j'ai annoncé mon désir de quitter la région et de m'installer à 500 kilomètres de chez eux, avec mon ami, j'ai eu droit à des regards désapprobateurs, des leçons de morale". La première année fut pénible. "Pas un jour sans recevoir un SMS ou un mail de leur part pour me dire combien ils étaient tristes de mon départ", se souvient-elle. Finalement, ils s'y sont faits tant bien que mal et se sont découvert un intérêt pour la randonnée.
Auteur d'un livre sur la question (Le Jour où les enfants s'en vont, Albin Michel, 2012, 150 p., 14 €), Béatrice Copper-Royer, psychologue et psychothérapeute, reconnaît que "le départ du dernier enfant est un renoncement qui s'apparente à l'une des plus grandes difficultés de notre vie d'adulte". On appelle ce "baby blues" tardif le syndrome du nid vide.
Les deux fils de Martine Labbé sont partis s'installer loin de la maison."Dans un premier temps, j'avais le sentiment que les liens étaient toujours forts même si leur chambre était désertée. Il y avait les moyens de communication actuels, Internet, mobiles... Et leurs passages fréquents me permettaient de maintenir la relation", se remémore-t-elle. Son mari a davantage souffert de la situation, car il avait cessé ses activités professionnelles peu de temps avant le départ du dernier enfant. Mais quand son aîné a commencé une vie de couple et que son cadet est parti travailler en Polynésie, elle a accusé le coup. "L'équilibre des relations a été modifié. Je n'ose plus les contacter comme je le faisais auparavant. Je me dis que leur priorité actuelle doit être leur devenir professionnel et relationnel", se confie-t-elle.
Ni trop loin ni trop près, les parents doivent se détacher progressivement de leur rôle de protecteur. D'autres - amis, amours -, prennent peu à peu le relais. Les parents se sentent inutiles, voire jugent les adolescents ingrats.
"Ce peut être un moment à haut risque pour le couple qui se retrouve en tête à tête", insiste Geneviève Djénati, thérapeute de couple et de famille. "Avec le départ de la cadette, notre couple, qui allait mal depuis des années, a fini par exploser", témoigne Jean-Marc Fiorentino. La rupture est d'autant plus brutale que la relation est étroite, voire fusionnelle. "Mes filles ont été longtemps ma seule raison de vivre et de me battre, dit-il. A 54 ans, j'ai le sentiment de ne plus être grand-chose à leurs yeux. Je peine à faire le deuil nécessaire, l'amour fou que je porte à mes gosses m'en empêche."
De l'avis de Geneviève Djénati, il serait plus difficile pour les pères comme pour les mères de se séparer de leurs filles. "Un père admire sa fille, il est fier, avec elle à son bras. Il y a une sorte de complicité sexualisée", analyse-t-elle.
Entre mère et fille s'opère une relation en miroir. Mais alors que la fille atteint l'âge de la séduction, la mère, elle, vieillit. "Il y a parfois de la part de la mère, une rivalité inconsciente qui peut s'exprimer soit sur le mode de l'agressivité ("pars vite de chez moi"), soit sur le mode de l'inhibition ("tu es trop petite pour partir, je prends tout en charge et ce faisant, te maintiens hors du champ de la séduction")", commenteBéatrice Copper-Royer.
Les familles monoparentales - majoritairement des femmes - sont mises à rude épreuve. Brigitte A., divorcée depuis 2005, a du mal à se faire à sa solitude. Depuis l'âge de 15 ans, son fils a vécu en résidence alternée. "Profondément meurtrie par la séparation, dit-elle, je m'insurgeais en permanence contre ses conséquences : je n'avais pas eu un enfant pour être sa mère à mi-temps. Mais je vivais également cette semaine d'absence comme une préparation à son futur départ. Le plus difficile a toujours été le fait qu'il se partage entre son père et moi lors de ses retours." Quand l'enfant quitte la maison, cela peut réactiver des blessures d'abandon, ou la souffrance de la séparation."Dans ce cas, c'est peut-être le moment d'entamer une psychothérapie", conseille-t-elle.
Dans le cas des familles recomposées, le départ des enfants réactive parfois un sentiment de culpabilité, les parents se sentant responsables de la blessure qu'ils leur ont infligée. "Ce sont probablement ces adolescents qui ont le plus de mal à partir. Il a fallu accepter les éventuels enfants du beau-parent, voire un nouvel enfant du couple. Et c'est justement au moment où un nouvel équilibre a été trouvé, que l'adolescent doit partir", constate la psychothérapeute. A contrario, des parents de familles recomposées peuvent être soulagés de voir partir ce presque adulte qui prend beaucoup de place. Le risque serait alors de laisser au jeune le sentiment qu'il n'a plus sa place dans sa famille...
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