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vendredi 24 février 2012


Rapport annuel sur les lieux de privation de liberté
Le contrôleur général pointe les insuffisances de l'offre de soins en psychiatrie

22.02.12 - 16:59 - HOSPIMEDIA 
Jean-Marie Delarue a rendu publiques ce mercredi ses nouvelles recommandations pour le respect des droits des personnes privées de liberté, dont celles hospitalisées sans consentement. Suite à la visite d'une quinzaine de CH en 2011, le rapport met l'accent sur les déséquilibres de l'offre de soins en psychiatrie.
Selon le rapport annuel d'activité diffusé ce mercredi*, l'équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), Jean-Marie Delarue, a visité 39 structures de santé, dont six Centres hospitaliers spécialisés (CHS), huit hôpitaux dotés de services psychiatriques, ou encore une Unité pour malades difficiles (UMD). Le rapport détaille notamment les suites données en 2011 à certaines de ses visites, comme celles effectuées à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris ou au CH Sainte-Marie de Nice (lire notre brève du 12/05/2011). Ces visites offrent au CGLPL et à son équipe de 30 contrôleurs l'occasion de faire un état des lieux des problématiques liées à la prise en charge psychiatrique sans consentement.

Des droits "mis en péril" par le manque de professionnels en psychiatrie
Les difficultés de fonctionnement de certains établissements en raison de vacances d’emploi de soignants ou de "recrutements difficiles" de médecins liés à la démographie médicale, créant "un déséquilibre réel entre les besoins de l'hôpital public et le nombre de psychiatres qui y travaillent", sont pointées par le rapporteur. "Si le psychiatre chef de service hospitalier (...) ne peut consacrer qu'une journée et demie par semaine à ce service, compte tenu de ses autres charges, comment se feront les investigations nécessaires qui pourraient conduire à la mainlevée d'une hospitalisation sans consentement ?", s'inquiète le CGLPL. Il évoque "des unités psychiatriques fonctionnant sans psychiatre sur place", avec la "bonne volonté des soignants et même, cela a été vu, des aide-soignants", "des confrères venant le samedi signer les documents propres aux procédures de soins sans consentement, sans guère d'examen des malades". Le nombre insuffisant d'experts psychiatres judiciaires est également mis en évidence. Le rapporteur relève ainsi des délais de six mois pour qu'une personne détenue obtienne une permission de sortir ou une libération conditionnelle, subordonnée à une ou deux expertises. Ainsi, les droits fondamentaux "sont mis en péril" par ces "déséquilibres dans l'offre de soins psychiatriques", est-il conclu.

Limitations des droits proportionnées à l'état des personnes
Le rapport recense une série d'autres critiques adressées aux établissements de santé. L'accueil des enfants en pédopsychiatrie, "là du moins où il y a hospitalisation complète, est souvent inadapté en raison de moyens limités", est-il noté. "Des unités comme le CIAPA [Centre interhospitalier d'accueil permanent pour adolescents, NDLR], à Paris, font figure d'exception. Dans un établissement, il a été découvert des enfants hébergés dans une unité de déficients mentaux", indique-t-il. Concernant l'information des patients sur leurs droits, notamment celui d'un recours contre une hospitalisation, il pointe des insuffisances pouvant être palliées par "des changements simples et peu coûteux". Il met également en garde contre "les pratiques résultant souvent de consignes préfectorales, de mettre en isolement de manière systématique, et pendant toute la durée de leur séjour, les détenus admis en soins psychiatriques sans leur consentement".
Le CGLPL plaide pour une proportionnalité des mesures à la nécessité des soins requis. "Dans des établissements visités, toutes les personnes hospitalisées sans consentement sont astreintes au port du pyjama durant toute la durée de leur séjour. Ces pratiques, si elles ne sont pas adaptées à l’état du malade, sont constitutives d’un traitement pouvant être qualifié de dégradant", souligne-t-il, ajoutant que les limites générales à la liberté d'accès à des espaces extérieurs doivent faire la place à "des examens des situations individuelles et à des mesures proportionnées à l’état des personnes".
Le rapporteur a constaté des atteintes à l'intimité des personnes (intrusions dans les correspondances, visites des familles dans des locaux inadéquats, chambres doubles ou triples sans séparation entre les lits, chambres et meubles ne pouvant être fermées à l'initiative des malades, générant des "sentiments d’insécurité") et des difficultés tenant à la "sur-occupation" de lits. Au sujet de la traçabilité du recours à la contention dans les établissements de santé, il rappelle "à nouveau fermement" l'une de ses recommandations relatives au CH Esquirol de Limoges (Haute-Vienne) publiées au Journal officiel du 2 juillet 2009.

Opposition au renforcement de la sécurisation des établissements
Abordant la loi du 5 juillet 2011 sur les soins sans consentement en psychiatrie, et plus précisément le contrôle des hospitalisations par les Juges des libertés et de la détention (JLD), le contrôleur indique que "les visites d'établissement vont porter une grande attention aux conditions dans lesquelles les audiences dans les 15 jours qui suivent l'admission sont organisées et vécues". Il a déploré que "les contrôles prévus par la loi ne sont pas toujours exercés. (...) Des Commissions départementales des hospitalisations psychiatriques (CDHP) ne sont pas toujours réunies, en raison de difficultés à nommer les personnes qui doivent les composer." Reprenant son avis sur les audiences par visioconférence (lire notre brève du 09/11/2011), Jean-Marie Delarue rappelle sa préférence pour la tenue d'audiences à l'hôpital en présence du juge : "Il est certain que la seule solution qui préserve à la fois les droits des malades et leur équilibre réside dans l'installation de salles dans les hôpitaux où se tiendront les audiences".
Enfin, évoquant le contexte du renforcement des mesures de sécurité dans les établissements, le contrôleur s'oppose aux conclusions d'un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l'analyse des accidents en psychiatrie (lire notre article du 31/05/2011) recommandant l'accentuation de telles mesures. Le contrôleur a relevé "dans une étude qu'il a faite sur plusieurs centaines de fugues des établissements hospitaliers, qu'un nombre exactement équivalent d'entre elles se produisait depuis les unités "fermées" et dans les unités ouvertes". Il est préférable, souligne-t-il, "de mettre l'accent sur la manière humaine avec laquelle ces patients sont traités et de renforcer leurs activités, que d'ajouter des serrures et des cartes d'accès".
Caroline Cordier
* Ce rapport est disponible aux éditions Dalloz et sera téléchargeable sur le site du CGLPL le 4 avril prochain. Dans l'attente de cette mise en ligne, retrouvez le dossier de presse.
Soins en détention : le contrôleur préconise des conventions entre CPAM et établissements pénitentiaires
Comme les précédentes années (lire notre article du 29/10/2010), le contrôleur général Jean-Marie Delarue s'est penché sur les difficultés à accéder aux soins pour les personnes incarcérées. Il souligne qu'en Haute-Garonne "une convention entre l'administration pénitentiaire et la [Caisse primaire d'assurance maladie] CPAM a été signée pour centraliser les dossiers des personnes détenues et disposer d’une cellule de travail unique qui regroupe toutes les demandes d'affiliation" et estime qu'une "telle approche pourrait être généralisée".
"Formés à la problématique des soins en détention, ces agents de la Sécurité sociale peuvent ainsi faciliter les démarches et accélérer l'ouverture des droits" souligne le contrôleur, qui souhaite qu'en vue de cette généralisation soit rédigée "conjointement par les ministères de la Santé et de la Justice une convention type relative à la protection sociale des personnes détenues afin d'améliorer la continuité des soins avant, pendant et après l'incarcération". Il recommande également qu’une circulaire précise les "critères de prise en charge [des] dépassements d'honoraires afin que leurs taux soient harmonisés entre les établissements" pénitentiaires.
C.C.







Jean-Marie Delarue dénonce les abus du travail en prison

LEMONDE | 22.02.12

Les équipes du contrôleur général des lieux de privation de liberté ont, depuis 2007, passé "près de quatre ans et demi en prison, six ans en garde à vue et un an en psychiatrie" : elles disposent aujourd'hui d'un solide recul sur la vie pénitentiaire. Jean-Marie Delarue devait présenter, mercredi 22 février, son rapport annuel, qui comporte notamment une analyse fine du travail en prison, après avoir dépouillé plus de 1 500 bulletins de paie de détenus. Pour le contrôleur général, le mot même de "travail" engendre de la confusion, tant les conditions du travail en prison sont éloignées de celles du dehors.

Combien de détenus travaillent en prison ?
Nous sommes en désaccord avec l'administration pénitentiaire, d'abord sur le nombre de personnes employées. Nous, nous disons qu'on ne peut pas compterles gens qui relèvent de la formation professionnelle, ni ceux qui sont en placement extérieur. Ils sont certes écroués, mais ont une activité pour laquelle la pénitentiaire n'est pour rien. Le taux de 39 % de détenus au travail que nous donne l'administration nous paraît être plutôt de l'ordre de 28 %. Ce n'est pas glorieux.
De plus, parmi ces gens "classés", c'est-à-dire comptabilisés comme ayant un travail, certains n'en ont pas : l'offre de travail est extrêmement variable d'un mois à l'autre. Vous pouvez avoir 50 postes de travail et, le mois d'après, 30. On ne va pas évidemment déclasser des gens. Ils le restent, mais ils ne sont plus conviés à l'atelier.
Enfin, ceux qui sont inscrits ne travaillent pas régulièrement. Au dehors, on se débrouille pour caser les aléas de la vie dans la vie privée et pas dans la vie professionnelle. Les détenus, eux, ne le peuvent pas. Ce n'est pas eux qui fixent leur rendez-vous à l'hôpital ou au parloir. Ainsi un employeur, en détention, ne peut pas compter sur tout le monde. On inscrit comme devant venir à l'atelier un nombre supérieur au nombre de postes à pourvoir, puisque certains ne viendront pas. On fait parfois venir 10 à 15 % de plus. Ces gens sont bien classés, mais n'ont pas pour autant un travail régulier.
Et puis il y a des types de travail qui ne sont pas comptabilisés. J'ai vu dans un centre de détention des "auxiliaires d'auxiliaires", des détenus qui venaientseconder les auxiliaires en titre pour la distribution des repas. Ils n'étaient pas rémunérés.
Quels sont les types de métiers, en détention ?
C'est du non-qualifiant massivement, sauf quelques ateliers privilégiés, extrêmement minoritaires. La masse du travail est formée d'emplois peu qualifiés, de conditionnement, d'emballage, etc. Il existe aussi du travail en cellule. J'ai vu des gens lors d'une visite de nuit, il faisait chaud, ils étaient torse nu en train d'assembler de petites agrafes, au milieu de la nuit. Le travail en détention peut donner lieu à des abus, en termes d'horaires, d'hygiène ou de règles de sécurité. Il y a des fabrications de chaussures dans certains établissements pour le personnel pénitentiaire ; on a là des vapeurs de traitement du cuir pas très saines, à mon avis. Personne n'a jamais regardé ça de près.
Et le travail est rare ?
Le travail est un bien rare, et il y a compétition pour s'arracher le peu qui existe. L'administration comme les opérateurs privés sont libres de leur choix. Et quand quelqu'un se comporte mal ou ne produit pas ce qu'on attend de lui, il est déclassé d'un trait de plume. Le déclassement peut être une mesure disciplinaire, il y a des cas où il ne l'est pas, et cela induit un comportement de soumission.
Un jour, parce qu'on était là, ordre avait été donné aux auxiliaires de nettoyer les murs. Je leur dis : "Vous faites ça, d'habitude ?" Ils ont rigolé, ils m'ont dit : "Non, ce n'est pas prévu dans notre engagement de travail", ce petit papier qu'a accordé la loi pénitentiaire. Mais si on le dit, on se fait virer immédiatement. D'une certaine manière, il y a des relents de XIXe siècle dans l'administration pénitentiaire.
Quel est le niveau de salaire ?
La loi pénitentiaire de 2009 a institué une sorte de salaire minimum, le SMR, salaire minimum de référence, variable selon les tâches, et fixé entre 20 % et 45 % du smic. Ces planchers de salaire sont en réalité des plafonds. Tout l'enjeu du travail des détenus, c'est péniblement d'y parvenir. Il y a d'ailleurs un jeu un peu trouble de l'administration pénitentiaire qui, tous les ans, détermine le montant du SMR en fonction de l'évolution du smic. Elle a fait une petite erreur de calcul au départ, et en 2011, au lieu de payer 4,05 euros de l'heure, elle a trouvé 4,03. Deux centimes... Mais quand vous gagnez 70 euros par mois, ce n'est pas insignifiant.
Ensuite, les détenus sont rémunérés à la pièce, à un prix en général assez dérisoire. Il faut ensuite transformer ce montant de productivité à la pièce en salaire horaire. Les gens n'y comprennent rien. Le lien entre le nombre de pièces produites et le montant horaire n'est pas explicité. Il y a encore les gens qui sont au-dessous de la production requise, et globalement, beaucoup sont très en deçà du SMR.
Dans un centre de détention, sur 340 détenus au travail, plutôt dans des ateliers assez qualifiés donc tirant plutôt les salaires vers le haut, 38 % étaient en dessous du SMR. Dans une maison d'arrêt, sur 218 personnes au travail, il n'y en avait que 11 au-dessus du salaire minimum. De surcroît, dans les maisons d'arrêt, il y a des gens qui bougent, et donc qui ne travaillent qu'une partie du mois.
Les sommes effectivement perçues sont faibles ?
Quand on regarde les bulletins de salaire, on est absolument saisi. Vous avez des gens avec 4,52 euros dans le mois, d'autres 7 ou 15 euros. Même chez ceux qui travaillent au maximum souhaitable, il y a des variations qu'ils ne se comprennent pas bien d'un mois sur l'autre. Le salaire d'un auxiliaire tourne autour de 180 euros, ça tombe à peu près régulièrement, mais pour un travailleur de production, ça peut être entre zéro et 450 euros. Les très, très hauts salaires, rarissimes, sont de 800 euros.
Il résulte de tout cela une espèce d'aléa dans la perception des revenus : vous ne pouvez rien prévoir, parce que vous ne savez pas à l'avance ce que vous allez gagner. Même quand vous avez décroché la timbale du travail, vous êtes dans un état d'incertitude rare. Les conséquences sont multiples. Le travail est un enjeu, il crée des rivalités et on sait très bien que, dans certains ateliers, certains empochent la production d'autrui. Se greffent sur le travail tous les rapports de force de la détention.
Au fond, lorsqu'on parle de travail en prison, on se trompe. Il faudrait inventer un autre mot. Le travail pénitentiaire n'a pas les attributs habituels du travail. C'est autre chose. C'est de l'occupation, disent des détenus. Le mot travail crée, en tout cas, de la confusion.
Propos recueillis par Franck Johannès

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