La psychanalyse dans la série télé américaine
D'abord mis à l'écart, le psychiatre s'affirme de plus en plus aujourd'hui. Retour (non exhaustif) sur quand la série télé américaine passe en analyse.
Flic, avocat, médecin, politicien, journaliste… autant de professions qui ont trouvé maintes et vastes représentations à travers la petite lucarne. Si celles-ci ont toujours bénéficié d’une large couverture dans le cadre de la fiction, celle du psychothérapeute et de la psychanalyse en général est en revanche une figure encore jeune dans le paysage audiovisuel ayant attendue son heure pour s’imposer et qui tend aujourd’hui à devenir un incontournable dans le monde de la série télé. Ne serions-nous pas tous en train de suivre une thérapie sans le savoir ?
Première approche
Difficile de préciser dans quel programme ou de quand date exactement la première apparition d’un « médecin de la tête » dans un feuilleton. Probablement depuis les débuts de la télévision mais on peut être sûr qu’il ne s’agissait pas d’un rôle d’importance, ni moteur de l’intrigue. Avant les années 70, rares sont les possibilités pour le psy de voir son métier mis sur le devant de la scène autrement que dans une fonction occasionnelle ou secondaire dans le meilleur des cas. L’arrivée sur CBS de The Bob Newhart Show (1972-1978) sera l’une des exceptions qui confirment la règle puisque la sitcom se focalise justement sur le quotidien d’un psychologue (Robert Hartley incarné par l’acteur Bob Newhart) devant jongler entre sa vie de famille et ses obligations professionnelles.
Presque vingt plus tard, Billy Cristal crée Sessions qui, le temps de six épisodes, suit les entretiens entre un avocat quadragénaire et le docteur Bookman (Elliot Gould), elle aussi mettant sur la table les problèmes de la middle classe américaine sous le prisme de la comédie avec un soupçon de gravité en plus. Un mélange dont s’inspireront plusieurs confrères par la suite parmi lesquels la populaire Ally McBeal (1997-2002). Au-delà de son amusant dispositif consistant à matérialiser à l’écran les pensées retorses d’une avocate allumée (Calista Flockhart), David E. Kelley aura fortement contribué à décoincer l’image du psychanalyste, notamment grâce au docteur Tracey Clark (Tracey Ullman) et à ses pratiques peu conventionnelles. Mis progressivement en confiance par le biais de l’humour et de l’autodérision, le téléspectateur s’avère enfin prêt à passer un nouveau cap. La représentation du psychothérapeute aussi.
Promotion canapé
La série qui a tout changé, à laquelle il est impossible de ne pas se référer, c’est bien évidemment Les Soprano (1999-2007) et le Dr. Jennifer Melfi (Lorraine Bracco) chargée de consoler la conscience torturée d’un parrain du New Jersey. Hormis l’engouement critique et public pour la brillante plongée du drama de David Chase dans le monde de la mafia, celui-ci aura suscité l’admiration pour le réalisme et l’indéfectible sérieux avec lequel il traite les séances de thérapie (noyau spirituel du show), et sa description de la relation intime qui peut se nouer entre le malade et son praticien. L’identification avec des personnages aux comportements complexes et aux blessures profondes sera tel qu’en 2001, Lorraine Brasco sera l’invitée d’honneur d’un congrès américain de psychanalystes afin de discourir sur le transfert affectif et identificatoire ayant lieu des deux côtés de la barrière fictionnelle. Comme tout véritable phénomène culturel, Les Soprano suscitera bien des vocations parmi la concurrence qui recycle à toutes les sauces le protagoniste du psy : The Trouble with Normal, Tell Me You Love Me, State of Mind, Head Case, Huff, Mental… et Web Therapy et ses séances accélérées par internet. En une décennie, on ne compte déjà plus les tentatives du petit écran de nous faire allonger sur le divan, or aucune ne s’y est prise comme En Analyse.
Adapté d’un programme israélien d’Hagai Levi (BeTipul), In Treatment en VO constitue sans doute l’expérience qui se rapproche le plus d’une psychanalyse suivie : la série ne se contente pas de narrer le métier du Dr. Paul Weston (Gabriel Byrne) mais bel et bien de procéder à ce fameux « transfert » via une mise en place narrative au plus près de la réalité du traitement thérapeutique et repoussant les limites de la fidélisation du public. Diffusé tous les jours de la semaine, En Analyse octroie une journée donnée à chacun des quatre patients réguliers de Weston qui se confiera lui-même le dernier jour à un autre collègue pour mieux faire le point sur son travail et ses propres failles en tant qu’individu. Ainsi pour l’auditeur fidèle prêt à s’immerger dans des récits basé sur une inaction scénique et des échanges verbaux abordant un riche canevas de problèmes sociaux (qui pourront être les siens), l’ouvrage est un bon moyen de mettre en perspective son vécu sans se ruiner. Les consultations télévisées ne manqueront pas à l’avenir, car malgré une audience faiblarde, En analyse perdure et se décline déjà dans plusieurs autres pays du globe. Une version française est même en gestation.
C’est grave docteur ?
Comment expliquer une telle prolifération ? Il y a déjà la démocratisation croissante de la psychiatrie durant les années 90. Difficile également de ne pas faire un parallèle avec l’âge d’or de la série télé qui au tournant du siècle nouveau a permis au psychiatre de devenir une espèce d’emblème de cette nouvelle production chargée de héros ne sachant plus trop où donner de la tête : violents (Jack Bauer de 24 heures chrono) névrotiques (la famille Fisher de Six Feet Under), psychopathes (Dexter), schizophrènes (United States of Tara), toxicomanes (Nurse Jackie), troubles de l’identité sexuelle (Max dans The L Word)… le diagnostic est long dans cet éventail de fenêtres ouvertes sur une société moderne se questionnant sur ses propres démons. Analyser et comprendre est justement le premier pas vers la guérison… ou d’une possible prévention.
On ne s’étonnera donc pas de voir les professionnels du comportement humain devenir des alliés précieux des forces de police (de New York Unité Spéciale à Lie to Me, en passant par Esprits Criminels). Inévitables, les psychologues de la télé se sont même infiltrés dans d’autres domaines tout aussi spirituels (Sœur Peter Marie de Oz). Cet amalgame entre médecine et religion on le retrouve dans quelques scènes de Nurse Jackie lorsque son anti héroïne vient s’allonger sur les bancs d’une chapelle moins pour se confesser ses fautes à un ami dans le secret que pour se confier à une oreille silencieuse. Le schéma est identique pour le proxénète Al Swearengen (Deadwood) qui prenait fréquemment l’habitude de l’autoréflexion en compagnie d’une de ses filles en plein travail. Les voies de la psychanalyse sont décidément impénétrables.
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