Une unité d'hospitalisatoin en pédopsychiatrie ouvre ses portes lundi à l'hôpital de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Les besoins sont criants et la crise n'arrange rien.
La création d’un nouveau service à l’hôpital est toujours un événement. Surtout lorsqu’il est attendu depuis 20 ans. Lundi 4 janvier ouvrira officiellement le SHAdo à l’hôpital de Saint-Nazaire, plus précisément sur le site d’Heinlex. Le Service d’hospitalisation pour adolescents disposera de onze lits et d’une équipe de 28 professionnels pour aider les jeunes de 11 à 17 ans en état de détresse psychique majeure.
Des associations se développent pour recruter, former, placer et suivre les jeunes des quartiers populaires, en adéquation avec les besoins des entreprises.
Les dispositifs d’accompagnement et les programmes de lutte contre les discriminations n’y changent rien. Pour les jeunes des quartiers populaires, diplômés ou pas, les portes de l’emploi restent souvent closes. « Ce sont les discriminations liées à l’origine et à la couleur de peau des victimes qui sont les plus fréquentes (…) dans le cadre du travail ou lors de la recherche d’emploi », rappelle l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales dans une étude publiée en novembre. Avec la crise sanitaire, les phénomènes de rupture s’accentuent.
Face à cette situation, plusieurs initiatives innovantes voient le jour. Leur objectif ? Renverser le modèle existant, jugé inopérant par nombre d’acteurs de terrain. En cause, l’offre et la demande qui ne se rencontrent pas ; les structures d’accompagnement boudées par les jeunes et déconnectées des entreprises ; les pouvoirs publics qui investissent, « mais mal », « à côté de laplaque », « en décalage total avec les réalités du terrain », analyse Stéphane Gatignon, l’ancien maire de Sevran (Seine-Saint-Denis).
Le juriste Christophe Alonso questionne, dans une tribune au « Monde », les intentions du gouvernement au sujet du projet de loi sur la gestion des urgences sanitaires, dont l’examen a été repoussé.
Publié le 30 décembre 2020
Tribune. A peine déposé sur la table du conseil des ministres lundi 21 décembre, le projet de loi instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires, enregistré en procédure accélérée à l’Assemblée nationale, soulève de vives réactions. En cause, une disposition projetant d’instiller la contrainte vaccinale dans le cadre de certaines activités de la vie courante.
La disposition à l’origine de la controverse est contenue dans le point 6 de l’article L. 3131-9 qui vise à réformer le code de la santé publique. Elle prévoit que, en période d’urgence sanitaire, le premier ministre pourrait, par décret, « subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités, à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif ».
Trouver le plaisir, comprendre son corps, accepter ses fantasmes, se débarrasser de la culpabilité, se sentir libre en dépit des frontières imposées par la société ; notre désir est complexe et parfois absent, dominé par notre cerveau et nos hormones. "Psycho" explore le désir dans ce qu’il a de plus intime et sans tabou, pour le libérer de la prison mentale dans laquelle on l’enferme parfois.
"Psycho" décrypte ce qui se passe en nous lorsque nos émotions nous submergent. Maladies, accidents, agressions… : face à ces drames intimes, nous avons tous en nous une force qui nous permet d’assimiler l’événement traumatique pour mieux aller de l’avant : la résilience. Loin d’être une force de caractère innée, cette capacité se travaille.
On hésite à présenter ses voeux. Peut-être vaut-il mieux s’en abstenir si l’on pense au peu d’effet qu’ilsont pu avoir sur les événements de l’année écoulée.
Il nous reste l’humour à propos duquel Freud nous dit :« L’humour ne se résigne pas, il défie. ».
Aussi, je vous souhaite une année 2021 « good-enough » où l’humour viendra nous rappeler qu’il n’y a pas de certitude.
Un anniversaire confiné sans les copines. Melyna, 9 ans
Que retiennent les plus jeunes de l'année écoulée ? Des souvenirs plus ou moins joyeux, malheureusement toujours liés au Covid-19.
«Qu’est-ce qui t’a le plus marqué en 2020 ?» A cette question, les enfants interrogés par Libération n’ont pas eu besoin de fouiller longtemps dans leur mémoire pour en extirper leur réponse: un souvenir, à chaque fois lié à la pandémie. Un anniversaire sans les copines, des grands-parents qu’on ne peut plus embrasser, l’école à la maison, le port du masque, le décompte des victimes du Covid aux informations… les enfants racontent leur année chamboulée.
Zoé, 9 ans, Paris : «Plus tard, je dirai à mes petits-enfants que l’école à la maison, c’est pas cool»
«Le Covid m’a beaucoup marquée. Pendant le premier confinement, on était enfermés toute la journée dans un petit appartement avec mes parents et mon petit frère. Et en plus on était en plein travaux donc c’était pas pratique. On a passé tout le confinement sans canapé et ça a été un peu chaud quand même. C’était dur de pas prendre l’air et j’aime bien l’école donc ça m’a embêtée de pas y aller. Avec mon frère, on se disputait tout le temps et ça criait à la maison. Mais bon, au final, il y avait une bonne ambiance. Tous les matins on bronzait sur le balcon, ça faisait du bien et c’était rigolo.
«Maintenant ça va mieux, on prend sur nous et puis on peut sortir. Mais on peut pas voir les arrières grands-parents et les grands-parents. J’ai vu ceux du côté de ma mère cet été mais on pouvait pas leur faire de câlins et ça m’a énervée tout ça. Je me souviendrai toute ma vie de cette année avec le Covid. Plus tard, je dirai à mes petits-enfants que l’école à la maison, c’est pas cool.»
«Le premier confinement dans notre petit appartement». L’année 2020 vue par Zoé, 9 ans.
Il décrit une ère de l'individualisme où les technologies dépossèdent et donnent une fausse impression de pouvoir. Le philosophe Eric Sadin est notre invité aujourd'hui autour de son dernier ouvrage, " L'ère de l'individu tyran. La fin d'un monde commun" (Grasset, 07/10/2020).
Écrivain et philosophe, Éric Sadin s'intéresse notamment aux implications du monde numérique. Dans L'ère de l'individu tyran. La fin d'un monde commun(Grasset, 07/10/2020), il se penche sur la récente métamorphose psychique des individus qu'intensifie l’addiction au digital. Soulignant la naissance, dans les années 2010, d'un nouveau régime de l'opinion marqué par les fake newset le complotisme, il remonte aux origines du libéralisme et montre ainsi comment une idéologie humaniste a pu se changer en celle du chacun pour soi.
Arrive ce moment plus qu'inaugural, il nous constitue, marque à la fois une continuité et une rupture : (...), l'apparition simultanée (...) du téléphone portable et d'internet. (Eric Sadin)
Internet et le téléphone portable marquent de fait une rupture historique : les individus sont pris entre un impression accrue de puissance et une frustration requérant généralement des formes compensatoires de violence. On se trouve ainsi dans l'impossibilité de faire société, dans ce qu'il nomme une « ingouvernabilité permanente » où les êtres ont l'impression de ne plus s'appartenir.
Je crains que nous ne donnions pas suffisamment de profondeur historique à notre état collectif actuel. (...) Nos psychés, l'effritement de nos croyances, sont marqués par des désillusions successives. (Eric Sadin)
Au terme de l’année 2020, nous laissons derrière nous la décennie la plus chaude jamais observée. Depuis l'Accord de Paris de 2015, de nombreux pays ont montré leur ambition en matière climatique en s’accordant de nouveaux moyens pour tenir leurs objectifs. Est-ce suffisant ?
Ces dernières années, les engagements climatiques des Etats se sont multipliés de façon inédite. Mais les objectifs qu’ils assignent sont volontiers qualifiés de lointains, et l’action publique est désormais guidée par des moyens juridiques nouveaux : multiplication des cas de recours, condamnations des entreprises et injonctions faites aux Etats…
Mais les dernières mesures de relance économique adoptées par les pays pour répondre à la pandémie semblent confirmer une tendance au soutien d'une économie carbonée. Faut-il contraindre encore davantage les pouvoirs publics au respect de leurs propres engagements ?
Nous en parlerons avec Christian de Perthuis, professeur à l'Université Paris-Dauphine, fondateur de la Chaire Economie du Climat et auteur de Covid-19 et réchauffement climatique (2020, De Boeck supérieur). Il sera rejoint en deuxième partie par Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit public et droit de l'environnement.
L’expression «voyage de noces» remonte aux années 1820. De façon très révélatrice, au XIXe siècle, la destination principale des voyages de noces est la Suisse, pays pauvre, montagneux, sauvage et effrayant. Mais quel rapport avec le mariage ?
Qui dit mariage dit nouveau départ. Est-ce là l’origine du «voyage de noces» ? Pas du tout. A en croire Sylvain Venayre, historien, la lune de miel n’a pas été inventée pour que les jeunes époux signalent au monde que «dorénavant ils chemineront ensemble». Non. L’origine de la lune de miel est bien moins romantique. Elle émerge à la faveur d’une inquiétude relative aux performances reproductives du couple. Jusqu’ici, chez les personnes bien nées, les jeunes époux allaient saluer la belle-famille et ne se rendaient guère plus loin qu’à la campagne, sur les terres du mari. Parfois le voyage se résumait à des visites de courtoisie chez les parents de la branche éloignée. C’était tout.
Arrive le XIXe siècle. Dans un chapitre passionnant de l’ouvrage collectif Histoire du mariage (1), Sylvain Venayre situe l’avènement du voyage de noces dans le contexte particulier d’une pratique sexuelle délétère : l’initiation, souvent violente, des jeunes mariées qui doivent rester «pures», irréprochablement «pures», jusqu’au soir de la nuit de noces.
Face à l'augmentation des cas de violences envers les enfants pendant le confinement, la question est plus urgente que jamais. Comment à la fois prévenir ces violences ? Comment assurer ensuite un soin à la hauteur ?
Hervé Gardette reçoit Nathalie Vabres, pédiatre et coordinatrice de l’Unité d’Accueil des Enfants en Danger du CHU de Nantes.
A Kampala, en Ouganda, un représentants des autorités lance un appel sur les gestes barrière et les mesures à adopter pour réduire la propagation du Covid-19, le 24 mars.Photo Badru Katumba. AFP
Les pays riches ont préempté la majeure partie des doses de vaccin contre le Covid-19. Pour le professeur d'éthique médicale Emmanuel Hirsch, la solidarité internationale impose de repenser notre stratégie vaccinale.
Tribune. Quelle injure à l’égard des populations oubliées de la vaccination ! Parce que nous bénéficions en Europe du privilège de pouvoir exercer ce choix, nous tergiversons à propos de la liberté de se faire ou non vacciner. Nous revendiquons le droit individuel de ne pas être vacciné, là où d’autres aspireraient à être reconnus dans le droit d’être vaccinés afin de limiter leur exposition aux risques de contamination.
Les personnes vulnérables du fait de leurs conditions d’existence éprouvent le plus urgent besoin d’une vaccination : pour elles, ne pas être vacciné est un risque vital. Je pense que si nous avions anticipé le temps de la vaccination dans le cadre d’une concertation publique, chacun aurait été en mesure d’apprécier en responsabilité ce qu’il lui apparaîtrait important, juste et acceptable, pour lui comme pour les autres. La médiatisation des premières vaccinations de personnalités politiques, de professionnels de santé ou d’anonymes en Ehpad donne à penser qu’il s’agirait d’une compétition entre pays qui ont les moyens de se le permettre et s’affichent exemplaires. Quelle injure à l’égard des populations oubliées de la vaccination ! Quelle exemplarité en termes de solidarité !
La crise du Covid-19 impacte aussi l’entourage des personnes vivant avec des troubles psychiques. « Si la lumière commence à se faire sur la situation des patients, celle de leurs familles et de leurs proches reste ignorée », constate l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam), qui compte 270 adhérents en Ille-et-Vilaine et une trentaine de bénévoles.
« La stigmatisation qui entoure le handicap psychique »
« Or ce sont ces personnes, souvent épuisées, qui comblent aujourd’hui les failles du système. » Avec la publication de son premier baromètre, l’Unafam veut révéler au grand jour la situation « dramatique » de ces proches aidants. « La France compte 4,5 millions de proches aidants. Pour eux, c’est une double peine. Ils sont confrontés à la fois à la difficulté de prise en charge de ces troubles et à la stigmatisation qui entoure le handicap psychique. »
La crise sanitaire n’a rien arrangé car, selon l’étude de l’Unafam, « 40,5 % des aidants bretons estiment qu’ils ont été fragilisés économiquement et 71 % déclarent que la maladie de leur proche a eu un impact sur leur propre santé ». Les conséquences du Covid-19 se font sentir, avec un quotidien rendu encore plus difficile pour ces familles.
La salle d’attente est étrangement vide. Seule une dame, menton rentré et regard perdu, marmonne en continu, en plein épisode de délire. Elle sera hospitalisée. Puis viendra une jeune femme aux yeux vert prairie mis en valeur entre son bonnet et son masque en tissu foncé.
C’est la deuxième fois qu’elle vient consulter au centre médico-psychologique de Montreuil. « Je me suis séparée de mon conjoint pendant le confinement. Du fait de cette situation de crise, de la séparation, mais aussi de tous les traumatismes que le confinement a pu causer, la peur de la pandémie… », explique-t-elle. Parmi les symptômes ressentis, elle évoque « cette espèce de masse intérieure qui pousse les murs du corps qui amène à craquer quelque chose qu’on a solidifié sur nous. Quelque chose de totalement faux en fait… » Elle repartira du centre avec une ordonnance de médicaments délivrés pour un mois.
Vaccination dans un Ehpad de Dijon, dimanche.Photo Philippe Desmazes. Reuters
En pleine période des fêtes et alors que la campagne de vaccination a débuté dimanche, «Libération» a récolté la parole de cinq résidents de maisons de retrait
En cette fin d’année, ils sont au centre des attentions : quasiment mis sous cloche pour les protéger du Covid-19, les résidents en Ehpad (1) sont les premiers bénéficiaires des vaccins censés transformer la lutte contre l’épidémie. Comme près de 750 000 personnes en France, Daniel, Nicole, Patricia, Louise et Ernest ont passé les fêtes de Noël entre les quatre murs de leur maison de retraite. Si la plupart se disent «peu affectés» par l’isolement imposé pour des raisons sanitaires dans les Ehpad, d’autres regrettent de ne pas voir davantage leurs proches. Quant à la campagne de vaccination entamée dimanche, qui les concernera à partir de janvier, elle ne fait pas toujours l’unanimité. Ils racontent à Libération.
Daniel, 94 ans, résident de la Cité des aînés, à Montpellier (Hérault) : «Favorable au vaccin et sans états d’âme»
«Passer Noël tout seul ne m’a pas plus ému que cela. J’ai servi l’armée française pendant vingt-cinq ans, j’ai donc été habitué à vivre isolé de ma famille. Au cours de ma carrière, j’ai été amené, à plus d’une reprise, à fêter Noël avec mes subordonnés dans des situations moins confortables que celle-là. Certes, il est dommage qu’on ne puisse pas revivre les instants de joie et de plaisir avec les familles et les amis, mais j’ai suffisamment eu de difficultés dans ma vie pour relativiser et ne pas me laisser aller à des sensibleries.
Après la première vague de l’épidémie de Covid-19, Olivier Véran s’était engagé à mettre fin au « dogme » des réductions des capacités des établissements. Sur le terrain, les syndicats estiment que rien n’a changé, pour l’instant.
Les fermetures de lits dans les hôpitaux, dans le cadre des projets de restructuration, sont-elles vraiment de l’histoire ancienne ? Au plus fort de la première vague de l’épidémie, en avril, le directeur de l’agence régionale de santé (ARS) du Grand-Est, Christophe Lannelongue, a eu le malheur de défendre le plan alors en cours au CHRU de Nancy, qui comprenait des centaines de suppressions de lits et de postes. Une faute politique, en temps de Covid-19.
Le haut-fonctionnaire a été remercié, quelques jours après ses propos – un limogeage que le Conseil d’Etat a jugé irrégulier, dans une décision du 10 décembre. Le ministre de la santé, Olivier Véran, a assuré dans la foulée que « tous les plans de réorganisation » étaient « évidemment suspendus ». Il n’a cessé de le marteler depuis : c’en est fini du « dogme de la réduction des lits » qui prévalait lors des grands projets de transformation hospitalière.
Mais, huit mois plus tard, sur le terrain, l’inquiétude remonte chez les soignants, les responsables d’hôpitaux, et les élus locaux. « Rien n’a changé », estime-t-on dans les rangs syndicaux : « Les projets se poursuivent comme avant, alors que la crise a bien montré que ce n’était plus possible », clame Christophe Prudhomme, de la CGT Santé. Lui comme d’autres égrènent les plans Copermo toujours en cours à Paris, à Nantes, à Caen, à Nancy… avec 100, 200, 300 suppressions de lits en perspective.
Maux de tête, douleurs au ventre, humeur de chacal... tous les mois, ça recommence. Au moins 40% des femmes ressentent une gêne juste avant leurs règles. Mais si le gouvernement a annoncé des mesures contre la précarité menstruelle, ces 150 symptômes répertoriés ne sont pas assez pris en compte.
En exposant une collection de photographies fétichistes, le galeriste Christian Berst questionne une nouvelle fois les limites de l’art brut.
sans titre, 2002, tirage photographique d'époque, 10x15cm
À l’image des artistes qu’il défend, pour la plupart indifférents à l’égard du jugement des autres, Christian Berst écrit depuis quinze ans, l’une des plus belles pages de la scène des galeries contemporaines en proposant une lecture inédite de l’art brut, attirant un public toujours plus nombreux de collectionneurs et de passionnés. Il sait que les grands artistes, comme les meilleurs curateurs et galeristes ont souvent été seuls dans les propositions qu’ils offraient à un public souvent réticent ou pour le moins frileux. À l’instar de Harald Szeemann, parangon du commissaire contemporain, et dont les expositions firent date, tout en suscitant fréquemment l’incompréhension des institutions, et la sévérité de la critique de l’époque, Christian Berst continue de faire bouger les lignes qui président au partage du sensible au sein d’un régime de l’art contemporain ouvert à des catégories de créations autrefois confinées à ses marges : art brut, art premier, naïf, modeste... Il s’agit notamment pour le galeriste de questionner les limites de l’art brut, et les processus d’artification qui confèrent une valeur esthétique à des artefacts anciennement perçus comme étrangers au monde de l’art. Nombre des oeuvres d’art brut aujourd’hui admirées dans les musées, furent uniquement considérées à leur origine comme des documents cliniques attestant de la folie de leurs auteurs.
L’ensemble de photographies d’un fétichiste anonyme présenté par la galerie jusqu’au 24 janvier en dialogue avec une série d’œuvres ayant pour thème le visage témoigne de cette logique de mise à l’épreuve des contours de l’art brut. De cette série de 70 tirages extraite d’une collection de plusieurs centaines de photographies produites anonymement entre 1996 et 2016, on ne connait de leur auteur que cette indication lapidaire qu’il vivait en région parisienne, et qu’il se suicida à la mort de sa mère avec laquelle il vivait seul. En quoi cette répétition insistante de photographies de jambes gantées de collants, prises indifféremment dans la rue ou à la télévision peut-elle intégrer le champ de l’art ?
À quelle condition une pratique fétichiste de la photographie faite pour un usage privé et sans volonté esthétique, peut-elle rejoindre la définition de l’art brut ? Cette dernière a longtemps proscrit la pratique photographique exempt de procédures manuelles, et associée à un art réduit à une simple reproduction mécanique de la réalité. Les tenants de la pureté de l’art brut ne manqueront pas de reprendre les rengaines habituellement suscitées par l’émergence des œuvres de la modernité ou de l’art contemporain. Est-ce de l’art ? Une curiosité esthétique ou clinique ? Revient alors l’interrogation essentielle de Marcel Duchamp : « peut-on faire une œuvre qui ne soit pas d’art ? »
Et n’est-ce pas un mouvement encore plus ancien qui reconfigure sans cesse le partage entre ce qui est jugé licite en art et de ce qui est rejeté hors de son cadre ? Le philosophe Jacques Rancière a montré que la porosité entre l’art et le non-art n’a cessé de travailler l’esthétique depuis le 19ème siècle en intégrant dans son domaine des sujets et des thèmes auparavant jugées indignes. Comme Stendhal dans La vie de Henry Brulard, où, à travers, l’évocation de bruits insignifiants, les cloches d’une église, une pompe à eau, etc., brouille la distinction entre les choses qui appartiennent à l’art et celles qui appartiennent à la vie ordinaire. La pénétration du non-art dans l’art est un processus consubstantiel à l’art de l’âge esthétique. Michel Foucault étudia de son côté cette capacité de la littérature à transgresser par effractions les cadres du langage en déclinant quatre interdits de l’écriture que sont la faute, le blasphème, l’insupportable et l’ésotérisme, et dont les écrits de Sade, Bataille, ou Roussel furent les saillies les plus connues.