Ni une, ni deux, bien qu’en déshabillé et un brin décoiffée, Marguerite Steinheil presse le bouton du merveilleux appareil installé à côté de son lit. Immédiatement, une voix suave mais respectueuse, la remercie d’avoir choisi "Lifefizzz" pour veiller sur ses nuits. La procédure à respecter lui est détaillée et Marguerite peut sauver son amant de passage, un certain Félix Faure, qui ne sera pas le premier Président à mourir à l’Elysée, empêchant par ce sauvetage une litanie d’excellents jeux de mots. Quelques instants après l’utilisation du défibrillateur, grâce à la connexion wi-fi de l’appareil, un rapport détaillé de "l’incident" est envoyé sur les smartphones de l’ensemble des collaborateurs de l’aventureux chef de l’Etat. Mais de manière évidemment cryptée, respect du secret médical oblige !
Pour faire le portrait d’un objet connecté
Lifefizzz n’existe pas. Ce « défibrillateur coquin connecté » est une invention moqueuse du médecin et blogeur Jean-Marie Vailloud qui, il y a quelques semaines, a commis plusieurs posts pour moquer l’inanité de la si vantée révolution numérique en santé. L’observation attentive et ironique de l’avalanche de communiqués présentant les dernières « innovations disruptives » décrites comme incontournables et indispensables a permis à Jean-Marie Vailloud de préciser un certain nombre de règles contribuant à remporter cette guerre non pas technologique, scientifique ou médicale mais marketing.
Mille fonctions fonctionnelles
Le premier grand principe est de promouvoir des objets connectés. Sans lien Wi-fi avec le cloud et autres serveurs, point de salut. Qu’importe que ladite connexion n’apporte qu’un bénéfice très restreint. « En fait, tout est dans l’adjectif connecté. Tout repose dessus, et les promoteurs y tiennent comme à leur vie, à cet adjectif, car c’est lui qui fait toute la coolitude du projet » relève Jean-Marie Vailloud dans un post sur un défibrillateur connecté (pour sa part réellement en cours d’élaboration). Dans une autre note il s’interroge : « A quoi sert un tensiomètre…connecté? Après mûre réflexion, à rien. Prenons par exemple le tensiomètre sans-fil Withings (…). Bon, il est sobre et beau, et j’espère que pour le prix, il prend la tension de façon classe, confortable, douce, voluptueuse, fruitée, sensuelle, goûteuse, rythmée, corsée, soyeuse, aérée, raffinée… Car j’ai eu beau chercher, je n’ai pas trouvé ce que la connexion à son téléphone peut rajouter de plus par rapport à un tensiomètre non-connecté (…) Le suivi de la tension simplifié, tous les tensiomètres que je connais donnent des chiffres de tension de manière assez simple, genre 123/84. Plus simple, je vois pas. Une information immédiatement disponible, tous les tensiomètres que je connais donnent des chiffres de tension immédiatement. Toutes vos mesures en un coup d’œil. Là, Withings marque un point. En général, si les appareils d’auto-mesure ont un historique, il est limité. C’est là que je conseille à mes patients d’acheter un cahier d’écolier, de tracer 2 colonnes, une pour la date, une pour la TA et de noter leurs tensions » ironise-t-il. Sans intérêt déterminant pour la santé du patient (sauf en cas de réel programme de télésurveillance), le caractère connecté peut également être invoqué comme un gage de fiabilité, l’assurance d’une maintenance permanente. Mais sur ce point Jean-Marie Vailloud remarque encore concernant le défibrillateur connecté : « Mais qu’apporte donc la fameuse connexion? Et bien, un truc qui existe depuis des décennies sur tous les défibrillateurs entièrement automatiques, semi automatiques ou manuels, ça s’appelle l’autotest. Il suffit d’appuyer sur un bouton. En fait, même pas, car pour le Zoll pris en exemple, l’autotest se fait automatiquement selon une périodicité que l’on peut programmer ».