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mardi 10 octobre 2023

Pourquoi les punaises de lit nous font-elles si peur ?

Aurélie Haroche   Paris, le vendredi 6 octobre 2023 

Comme nous l’évoquions cette semaine dans nos colonnes (car le JIM ne pouvait échapper à la folie collective du moment), les punaises de lit ont soudain envahi tout l’espace, reléguant au second plan l’inflation, le drame des migrants ou la guerre en Ukraine.

« Sentiment » de punaises de lit

Bien sûr, nous retrouvons ici l’influence de la focalisation médiatique. Ce sont les mêmes images rediffusées en boucle de potentielles punaises dans les transports parisiens (mais en était-ce vraiment ?) qui ont inévitablement créé un sentiment d’infestation généralisée, la réalité n’ayant que peu d’importance. Ce tourbillon journalistique (qui a très largement dépassé nos frontières) convoque un vocabulaire où l’on perçoit que les éventuels problèmes dermatologique associés aux punaises de lit sont loin d’être la première préoccupation. « Psychose », « paranoïa », « stress », « dépression », « syndrome post-traumatique », « rend fou » : titres et textes sont truffés de références aux pathologies psychiatriques. Ce champ lexical n’est sans doute qu’une nouvelle illustration de la tendance majeure à la « psychiatrisation » du moindre phénomène sociétal.

Pas plus dangereux qu’une lasagne de cheval

Mais parallèlement à cette émergence de la folie incarnée par le petit insecte peu ragoutant, certaines productions médiatiques tissent également une filiation avec l’épidémie de Covid. D’abord, parce que de de la même manière que les reportages de mars et d’avril 2020 sur la saturation des hôpitaux semblaient parfois des répétitions de reportages oubliés des hivers précédents, les vidéos et autres articles d’aujourd’hui sur les punaises de lit avaient été annoncés par des dizaines d’autres au cours des mois et années passés. Mais au-delà, ce qui est parfois retenu par la presse fait largement écho avec la Covid.

Ainsi, dans un article du Monde du mois d’août, les intertitres auraient ainsi pu tout à fait aussi bien s’appliquer à un texte sur SARS-Cov-2 : « Phobie extrême », « Peur de contaminer » mettait ainsi en exergue l’auteur. Il n’est pas impossible que la punaise de lit déclenche les mêmes réflexes que l’irruption de la Covid dans nos vies, parce qu’elle (re)débarque dans un même monde où l’obsession sanitaire est de plus en plus forte.

« Ce qui rend ce virus si dangereux ce n’est pas seulement ce qu’il est. C’est la société qu’il trouve en arrivant chez nous : ses psychoses, ses vulnérabilités. Souvenons-nous de la terreur provoquée par les lasagnes de cheval et le lait Lactalis qui ne tuèrent personne » écrivait (très prématurément) le journaliste Jean Quatremer sur la Covid au printemps 2020 ; remarque qui pourrait encore mieux s’appliquer aux punaises de lit qui à la différence de la Covid ne tuent personne à l’instar des lasagnes de cheval !

Risque zéro

Beaucoup espéraient vivre dans une société aseptisée qui est pourtant sans cesse malmenée par des nuisibles invisibles ou insaisissables : virus et punaises. L’hyper technologie ne nous a pas protégé de SARS-CoV-2 (même si elle nous a finalement permis de le tenir très clairement à distance) et la même stupéfaction (surjouée) nous étreint aujourd’hui face aux punaises.

Ainsi, les punaises, comme tant d’autres « fléaux » avant elles, nous rappellent que nous vivons trop souvent dans « l’illusion de croire que tout peut être anticipé » pour reprendre l’expression de la politologue Virginie Tournay, qui évoquait alors des polémiques autour des substances chimiques. Ces discussions, poursuivait-elle, « s’inscrivent également dans un idéal utopique d’une société au risque zéro ». Là encore, l’éclairage peut s’appliquer à notre soudain irrépressible besoin de traquer les petites bêtes… et comme souvent de s’en remettre aux pouvoirs publics (implicitement considérés comme responsables).

Sauterelles

Ainsi, de très nombreux ingrédients étaient présents pour que les punaises deviennent les stars qu’elles sont aujourd’hui. D’autres peuvent être évoqués. L’invisibilité (relative) bien sûr nourrit facilement les fantasmes ; ici c’est le caractère insaisissable qui alimente les inquiétudes. Insaisissable et invérifiable : tout insecte indéfini peut devenir une punaise de lit, ce qui multiplie à l’infini les raisons de paniquer (et les reportages internationaux). En outre, contrairement à d’autres fléaux plus collectifs et globaux (la guerre, le réchauffement climatique les migrations pour certains), la punaise est une menace qui semble pouvoir nous toucher matériellement et individuellement, ce qui assurément ne manque pas d’avoir plus d’impact.

La proximité du mal (« tout le monde connait quelqu’un qui… ») a également une force majeure. Nos punaises sont d’ailleurs très facilement devenues les instruments de la peur de l’autre, qu’il n’est jamais difficile de réveiller. Peur de l’étranger (puisque les migrations seraient en partie à l’origine de la diffusion des petites bestioles) mais au-delà peur de tous.

En effet, comme au cœur de la pandémie de Covid, nous devenons tous suspects aux yeux des autres d’abriter (peut-être sans le savoir) ce qui pourrait faire basculer leur existence. La presse, encore elle, nous le rappelle d’ailleurs : « Tout le monde peut être touché », énonçait par exemple Nice Matin, tandis que le terme de « lépreuse » utilisé dans un article récent de Libération n’est pas non plus totalement anodin. Comment enfin ne pas voir dans notre mini panique (qui devrait cependant être rapidement balayée par une autre) un relent millénariste : nos petites punaises agissant comme les sauterelles de l’Apocalypse.

A moins qu’écrasés et réellement impuissants face aux vraies (mais également en partie invisibles) catastrophes qui nous menacent (guerre, réchauffement climatique, inflation…), nous préférons taquiner la petite bête.  

Sans pouvoir trancher, on relira :

Le blog de Jean Quatremer : http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2020/04/30/confinement-le-debat-interdit/

Virginie Tournay :

https://www.jim.fr/medecin/pratique/recherche/e-docs/substances_preoccupantes_a_letat_de_traces_une_communication_scientifique_sensible_173792/document_edito.phtml


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