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mercredi 11 octobre 2023

Chronique «Aux petits soins» «Pardon de te déranger, mais…» : dans un système de santé au bord de la rupture, un recours croissant aux passe-droits ?

par Eric Favereau  publié le 10 octobre 2023

Alors qu’il est toujours plus difficile de trouver un rendez-vous médical, utiliser ses réseaux semble être de plus en plus courant. De la simple recommandation de praticien au déblocage de dossier en passant par de véritables passe-droits, ces pratiques creusent les inégalités sociales.

par Eric Favereau

publié aujourd'hui à 7h00

C’est une habitude peut-être aussi vieille que la médecine : pour se faire soigner, on se sert aussi de ses réseaux, de ses proches, d’amis dans le milieu afin de savoir où aller, quel est le meilleur chirurgien ou quel est celui qu’il faut éviter. Et cela a fonctionné, hier comme aujourd’hui. Les exemples, on les connaît tous : «Dis moi, j’ai un oncle, il doit être opéré d’un cancer ORL, tu sais où il faut qu’il aille ? Chez qui ?» demande l’un. Un autre : «Ma mère a 90 ans, elle n’en peut plus, elle ne parle plus, ne mange plus, elle est presque toujours endormie. Tu ne connaîtrais pas un service de soins palliatifs qui pourrait l’accueillir ? Seul, je n’y arrive pas.»

Banal, diront certains. Mais, depuis quelque temps, ce type de pratiques explose, comme un miroir déformant d’un système de santé au bord de la rupture«Depuis quelque temps, nous dit un chef de service parisien, j’ai l’impression d’être beaucoup plus sollicité.» Tel ancien chirurgien avoue passer près d’une heure par jour à faciliter «des prises en charge».

«Même les mieux introduits dans le milieu ont du mal à se trouver une place»

Assiste-t-on à quelque chose d’inédit ? Difficile de trancher tant ce monde-là, constitué de réseaux amicaux ou professionnels, est discret. Schématiquement, il y a les simples demandes de conseil, où l’on se sert d’un ami proche médecin pour avoir son avis ou un simple réconfort. Extraits de mails échangés (1) : «Je me permets de te demander un service malgré ton emploi du temps surchargé, mais il se trouve que la fille de mon meilleur ami est hospitalisée à l’hôpital X, dans le service de néphrologie. Après un match, elle a eu un malaise et a passé deux semaines en réanimation, restant une semaine dans le coma. Ce serait vraiment adorable de ta part de passer leur dire bonjour, ils se sentiraient moins seuls.» Cela peut prendre la forme d’une consultation par mail : «Je t’ai laissé un message, je suis positif au Covid, symptômes comme une bonne crève. Fiévreux, nez congestionné, je tousse un petit peu mais rien de grave. Qu’est-ce que je prends ? Paracétamol, trois fois par jour ? Je te demande car je n’ai pas envie d’annoncer ça dans une pharmacie et d’être fiché sur mon passeport sanitaire. Je veux pouvoir prendre l’avion tranquillement…»

A côté, il y a les demandes bien plus fréquentes pour «dépatouiller un dossier qui traîne, voire pour accélérer» la prise en charge et remédier aux lenteurs du système, mais aussi répondre à l’impossibilité de joindre le médecin prescripteur d’un bilan. «Et c’est vrai, cela devient fréquent», raconte un pharmacologue, qui ne s’en étonne même plus. Ainsi : «Coucou, voici les derniers résultats de la prise de sang de X. Qu’en penses-tu ? Certains paramètres sont en baisse. Peux-tu voir le docteur Y rapidement [et lui demander] ce qu’il en pense ?» Des demandes précises : «Mon ami souffre d’une paralysie à la jambe depuis un mois qui ne guérit pas, malgré les antibiotiques et séjours en hôpital. On parle maintenant d’opération. Avant de le ramener à Paris, je voulais te demander si tu connaissais un hôpital ou une clinique spécialisé dans ce genre de maladie venue de nulle part ! Pardon de te déranger…» Dernier exemple : «Nous avons besoin pour X d’un rendez-vous en urgence pour IRM PET scan. La radio du CHU est actuellement en panne, et nous ne pouvons donc pas obtenir pour cette IRM de rendez-vous avant le 30. Tu peux me débloquer la situation ?»

Voilà. C’est le règne du coup de main qui tend à s’imposer. Ou du piston. «Moi, je réponds à tous, avoue un cardiologue, mais j’explique bien que je ne suis pas spécialiste de tout.» Et s‘il s’en plaint aujourd’hui, c’est parce que les demandes se sont multipliées. «Le système de santé connaît une tension telle que même les mieux informés et les mieux introduits dans le milieu ont du mal à se trouver une place», analyse-t-il.

«Un manque d’informations cruel et dangereux»

On objectera que la médecine est un réseau en soi, que parfois même des médecins jouissent de cette influence. Et cela se rencontre à tous les niveaux. Par exemple, c’est une des fonctions du conseiller médical à l’Elysée (ou d’un autre médecin) que de trouver des moyens pour que le Président mais aussi ses innombrables proches et collaborateurs se fassent soigner au mieux, et le plus discrètement possible. Le professeur Olivier Lyon-Caen, neurologue à la Pitié-Salpêtrière, servait beaucoup à cela sous le mandat de François Hollande, ce qui a permis de prendre en charge sa compagne au plus vite et à l’abri de tous. Plus récemment, quand un des tout jeunes enfants du ministre de l’Intérieur a dû être hospitalisé en pleine épidémie de bronchiolite et de Covid, on a trouvé un lit à l’hôpital Necker, alors que cela débordait de tous côtés.

Qu’en déduire ? C’est ce que certains appellent l’avantage du capital culturel. Reste que ce phénomène, en prenant de plus en plus de place, peut être à la source de grandes inégalités entre ceux qui ont des réseaux et ceux qui n’en ont pas. Entre ceux qui savent où aller et les autres. «Ce manque d’informations est cruel et dangereux», nous disait il y a plus de vingt ans Alain-Michel Ceretti, qui allait créer l’association le Lien, sur les accidents médicaux. «C’est pour cela que l’on est pour évaluer publiquement les médecins et les hôpitaux.» Aujourd’hui, les tensions ont peut-être changé la donne. Ce serait intéressant, en tout cas, que des chercheurs tentent de mesurer le phénomène et son évolution. En attendant, on peut se rassurer en se disant que, pour les véritables urgences, il n’y a guère de passe-droits, tant la clinique, là, impose sa logique.

(1) Mails échangés entre un médecin hospitalier et quelques-uns de ses amis.


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