Par Emilie Grangeray Publié le 20 octobre 2023
Cette série audio particulièrement sensible et documentée nous interroge sur une société qui offrirait à ses enfants des cours d’éducation relationnelle, affective et sexuelle dignes de ce nom.
BINGE AUDIO – À LA DEMANDE – PODCAST
Disons-le d’emblée, c’est un travail plus que précieux sur un sujet hypersensible et hautement inflammable : l’éducation à la sexualité en milieu scolaire. Signée Lolita Rivé, cette série audio (cinq épisodes d’une trentaine de minutes chacun) est importante à plus d’un titre, et pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’elle est précise et largement documentée. Parce qu’elle soulève des questions essentielles (consentement, violence, sexisme…). Parce qu’elle fournit un nombre de ressources incroyables tout en ayant l’honnêteté et l’humilité d’énoncer ses doutes et ses limites.
Mais rappelons quelques faits : depuis la loi Aubry du 4 juillet 2001, l’éducation à la sexualité en milieu scolaire est une obligation. Trois séances doivent être dispensées chaque année aux élèves, du CP à la terminale. Suivie de plusieurs circulaires, cette loi reste pourtant largement inappliquée, selon le rapport de l’inspection générale de l’éducation intitulé « Education à la sexualité en milieu scolaire » de juillet 2021.
Or, selon la convention de Lanzarote, adoptée en 2007 par le Conseil économique, social et environnemental,« l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle est une éducation à une citoyenneté complète promouvant des relations affectives saines, l’impératif de consentement, la reconnaissance des orientations sexuelles et des minorités de genre et la lutte contre les inégalités. Elle est en particulier un moyen de prévenir et combattre les violences et l’exploitation sexuelles des mineures et des mineurs ». Autant dire que le sujet est d’importance première.
Dire ou ne pas dire ?
Ancienne journaliste et documentariste (France 2, France 5, Arte), Lolita Rivé, 35 ans, mère aujourd’hui d’une fille de 2 ans, est devenue en 2019 professeure des écoles. Elle note alors le manque de connaissances de ses élèves sur leurs droits, mais aussi sur ce qui relève du sexisme ou de l’homophobie. Elle tente d’abord de régler, au cas par cas, des conflits qui peuvent surgir, relève remarques ou comportements problématiques.
Puis, entre mars et juin 2023, avec l’accord de la directrice de son établissement et de tous les parents d’élèves à l’exception d’une famille, elle décide d’expérimenter avec sa classe de CE1. Munie d’un petit enregistreur, elle commence par leur faire nommer les différentes parties de leur corps (épisode 1).
« Née en 1987, mon éducation à la sexualité s’est plutôt faite par le vide », confie Lolita Rivé. Et de s’interroger : « A quoi ressemblerait une société qui offrirait à ses enfants une éducation relationnelle affective et sexuelle digne de ce nom : est-ce que les relations pourraient être moins violentes, plus égalitaires ? » Autre interrogation : « Mais que faut-il dire ou pas dire à des enfants de cet âge-là ? Comment transmettre quelque chose qu’on n’a jamais appris ? »
Parce que – et alors même que le porno et ses représentations problématiques s’affichent partout sur les écrans et ce dès l’âge de 10 ans pour les Franciliens, alors même que le mouvement #metoo a démontré, s’il le fallait, la nécessité de dire et d’entendre les choses – le manque de cadre clair, de programmes, de formation et de financement spécifiques est criant.
Les ABCD de l’égalité
Mais alors, et c’est l’objet de l’épisode 2, « Qui a peur de l’éducation sexuelle ? » Ministre des droit des femmes (2012-2014), Najat Vallaud-Belkacem revient ici sur les ABCD de l’égalité, ce dispositif conçu pour lutter contre les stéréotypes et le sexisme qu’elle avait tenté de mettre en place en 2013 avant de renoncer un an plus tard à la suite des controverses et des pressions. L’une de ses premières et plus ferventes ennemies sera Farida Belghoul, disciple du polémiste d’extrême droite Alain Soral (condamné, depuis, pour contestation de l’existence de la Shoah).
Or, pour le psychiatre Serge Hefez comme pour Lolita Rivé, plus on parle, mieux c’est ; et tout le monde s’accorde ici à dire que « l’éducation sexuelle à l’école, ce n’est bien évidemment pas parler Kama-sutra. C’est ouvrir la discussion, déminer les sujets. C’est épargner à nos enfants des moqueries, de la sanction sociale, du harcèlement et des agressions ».
A l’épisode 3 (mis en ligne le 27 octobre, et les épisodes 4 et 5 les vendredis à suivre), il est question de consentement, et précieux sont les outils ici proposés : la chanson Mon corps c’est mon corps ou encore Le Loup (Editions de La Martinière, 2021), ouvrage de Mai Lan Chapiron qui signe par ailleurs la musique de ce documentaire.
Mais là encore, et comme dans tous les épisodes, la question est posée : où sont les grandes politiques publiques pour protéger concrètement les enfants ? Avec ce documentaire, Lolita Rivé espère ouvrir des discussions, donner envie à d’autres professeurs de se lancer. « Pour que, peut-être, une société plus égalitaire et plus juste advienne. »
« C’est quoi l’amour, maîtresse ? » série documentaire de Lolita Rivé réalisée par Paul Bertiaux (Fr., 2023, 5 × 30 min). A retrouver sur toutes les plates-formes d’écoute habituelles.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire