Publié le 02 août 2023
Ces drames, qui ne peuvent uniquement s’expliquer par le harcèlement scolaire, sont complexes et doivent mieux être pris en charge par le gouvernement, constatent, dans une tribune au « Monde », l’ancienne secrétaire d’Etat à la jeunesse Jeannette Bougrab et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik.
Lindsay, Lucas et Marion avaient 13 ans, Chanel 12 ans, Ambre 11 ans et Thibault tout juste 10 ans. Des enfants. Ils avaient la vie devant eux. Pourtant, ils se sont donné la mort, ils se sont auto-assassinés… Cette réalité est insoutenable. On aimerait l’enfouir dans un trou de mémoire, être sûr de l’oublier. Mais elle est là. Le suicide s’est ancré dans nos sociétés occidentales modernes.
Chaque année, une trentaine d’enfants de moins de 13 ans se donnent la mort. Selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, ce nombre pourtant élevé serait sous-estimé. Preuve de l’étendue de la souffrance de beaucoup d’enfants, matérialisée par des conduites dangereuses et des gestes suicidaires qui connaissent, depuis quelques années, une augmentation importante.
L’agence Santé publique France a d’ailleurs lancé une alerte en février en prenant comme indicateur les passages aux urgences. Parce que les enfants malheureux tendent à adopter des comportements à risque, comme ne pas faire attention en traversant la rue ou se pencher dangereusement au bord de la fenêtre, on les retrouve dans les services d’urgence pédiatrique – Boris Cyrulnik décrit ces mécanismes dans Quand un enfant se donne “la mort” (éd. Odile Jacob, 2011). Ces enfants veulent ainsi annihiler un quotidien qui n’est que souffrance, notamment à l’école.
Information et sensibilisation
Des travaux en neurosciences ont ainsi montré les liens entre l’isolement sensoriel précoce, dès les premiers mois de la vie, et le développement de ce que les spécialistes appellent un « trouble borderline » (borderline personality disorder, en anglais). Faute d’avoir pu renforcer les circuits neuronaux adéquats, un enfant venant au monde dans un milieu sensoriel appauvri devient incapable d’inhiber une émotion forte. Il ne peut empêcher le passage à l’acte. Des enfants qui ont connu une succession de petits traumatismes précoces (isolement, agressions…) peuvent ainsi se suicider très jeunes.
Ce type de crise suicidaire n’est pourtant pas une fatalité. De vraies réponses existent, au-delà de gestes médiatiques du type marche blanche : dépliant d’information ou sensibilisation au harcèlement et aux réseaux sociaux en classe, comme l’a proposé l’ancien ministre de l’éducation nationale Pap Ndiaye.
Des travaux scientifiques ont montré que l’on peut fournir aux plus jeunes les outils permettant de surmonter ces carences affectives qui les paralysent dans la gestion d’un stress profond, en prenant des mesures. Autour de la naissance, d’abord, en s’efforçant d’éviter tout stress maternel et en s’assurant d’une stabilité affective durant les interactions précoces. Ce qui implique des congés parentaux de la mère et du père de façon à structurer une niche sensorielle.
Culture des quartiers
Autour de l’école, ensuite, en ralentissant les rythmes scolaires. En Europe du Nord, particulièrement en Finlande, les enfants ont deux fois moins d’heures de cours par jour, et obtiennent des résultats infiniment meilleurs que les petits Français. En 2011, on a constaté une diminution de 40 % des suicides, et cela se poursuit.
En Corée du Sud, une politique exactement opposée avec une énorme surstimulation scolaire dans la journée mais aussi dans la famille, incluant des cours privés jusqu’à 22 heures ou 23 heures, a donné d’excellents résultats scolaires, mais à prix humain exorbitant. Désormais, les Sud-Coréens créent des postes pour vérifier le ralentissement effectif du rythme scolaire et l’interdiction de l’école du soir !
Autour des familles, enfin, il est nécessaire de développer la culture des quartiers pour permettre aux enfants de ne jamais rester seuls, l’Occident technologique se caractérisant par une expansion incroyable de la solitude.
Il n’y a pourtant pas de grande réforme à faire pour y parvenir, les Italiens et les Espagnols y sont arrivés. Dans le nord du Japon, on déplorait tellement de suicides d’enfants que des loisirs de quartier ont été développés. Certaines municipalités ont joué le jeu, d’autres ont pensé que l’argent public ne pouvait pas servir à développer le loisir. Dix ans après, les premières ont vu leur taux de suicides chuter, les secondes l’ont vu continuer à grimper. Ces mesures « autour » ont été mises en place ailleurs et ont montré leur efficacité pour lutter contre ce fléau.
Le plus important est de conserver à l’esprit qu’il suffit, c’est vrai, d’une pichenette pour passer à l’acte comme d’un mot pour se raccrocher à la vie. Car, comme l’écrit Paul Eluard, « la nuit n’est jamais complète ».
Jeannette Bougrab est docteure en droit et ancienne secrétaire d’Etat chargée de la jeunesse et de la vie associative (2010-2012) ; Boris Cyrulnik est neuropsychiatre, directeur d’enseignement à l’université de Toulon et professeur associé à l’université de Mons, en Belgique.
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