Tara Heuzé-Sarmini est cofondatrice et PDG de Commune, société de coliving dévolue aux familles monoparentales.
Publié le 05 août 2023
Mises en lumière lors des émeutes urbaines, les familles monoparentales méritent mieux que les caricatures dont elles ont été l’objet, estime Tara Heuzé-Sarmini, cofondatrice et présidente de Commune, dans une tribune au « Monde ». Il est temps de prendre la mesure de leurs difficultés et d’investir dans des politiques familiales équitables.
Interrogé sur les émeutes ayant récemment frappé le pays, le président de la République a pointé du doigt les « très jeunes » qui, « pour une écrasante majorité », ont « un cadre familial fragilisé », car élevés par « des familles monoparentales » ou par « l’aide sociale à l’enfance » [dans une interview sur France 2 et TF1 le 24 juillet depuis Nouméa].
Stigmatisation, déconnexion, méconnaissance des différentes formes de monoparentalité… De nombreuses voix de parents solos n’ont pas tardé à s’élever et à exprimer leur indignation sur les réseaux sociaux. A raison.
Hors de toute polémique politicienne, cette déclaration aura eu un mérite : celui de mettre sur le devant de la scène un enjeu sociétal majeur, encore totalement invisibilisé dans le débat public – à savoir la précarisation disproportionnée de ces foyers subissant les conséquences d’un modèle familialiste figé et dépassé. Loin des caricatures, la monoparentalité revêt de nombreux visages et est une réalité présente à travers toutes les classes sociales.
Potentiel de précarisation
Le cadre traditionnel de la famille nucléaire tel que nous l’avons connu durant des décennies n’est plus la norme et tend à devenir minoritaire. Les familles du XXIe siècle sont multiples et singulières. La monoparentalité n’en est que l’une des facettes, elle-même riche d’une multitude de chemins de parentalité différents.
Au-delà des séparations, divorces et veuvages qui viennent immédiatement en tête lorsque l’on évoque les « parents solos », de plus en plus de femmes et d’hommes se dirigent vers une monoparentalité choisie avec des parcours d’adoption ou de procréation médicalement assistée (PMA) par exemple.
Au total, rien qu’en France, deux millions de familles sont monoparentales, soit une famille sur quatre. Dans les grandes villes, cette tendance concerne presque une famille sur trois (« Les familles en 2020 », Insee, septembre 2021). Sur ces deux millions de foyers, 85 % ont une maman solo à leur tête, 15 % un papa solo. Leur potentiel de précarisation est bien supérieur à la moyenne : un an après une rupture, les familles monoparentales perdent jusqu’à 22 % de leur niveau de vie ; elles ont deux fois plus de risque d’être exclues socialement ; et leurs enfants ont une fois et demie plus de risque d’être confrontés à des difficultés scolaires.
Face à cette évolution majeure, la société n’a pas su s’adapter.
Se loger ou se reloger est une épreuve. Loin d’avoir une « chambre à soi » indispensable à chacune et chacun, de nombreuses familles monoparentales se retrouvent en situation de surpeuplement. En concurrence systématique avec des familles plus classiques ou des couples – dans les deux cas, avec deux salaires –, elles sont de facto discriminées dans l’accès à des logements adaptés, et les parents solos se retrouvent bien trop souvent à devoir dormir sur le canapé du salon.
Vies professionnelles affectées
Poursuivre sa carrière relève de l’exploit : l’impossibilité de se reposer sur un second parent, les difficultés financières et l’éloignement géographique, statistiquement beaucoup plus fréquents, font que les modes de garde deviennent difficiles à dénicher, les temps partiels se multiplient et les vies professionnelles s’en trouvent dramatiquement affectées.
Parvenir à un équilibre de vie satisfaisant relève de l’utopie : l’isolement, l’absence de temps pour soi, la charge mentale, l’absence de relais en termes d’organisation pèsent sur des millions de personnes et font de leur santé mentale un enjeu de santé publique.
Ne jetons pas l’opprobre sur ces mères et ces pères, ne tombons pas dans des caricatures stigmatisantes, et donnons-nous les moyens de traiter à la racine la globalité de ces enjeux. Notre pays s’est souvent perdu à commenter l’évolution des façons de « faire famille », multipliant indignations, peurs et jugements face à des schémas moins traditionnels.
Ne serait-il pas temps d’admettre que la notion de famille a profondément changé, et d’arrêter de hiérarchiser les compositions familiales comme cela est malheureusement encore trop souvent le cas ?
Pour des millions de familles qui font la richesse de notre pays, l’urgence est d’investir les moyens nécessaires dans des politiques familiales équitables afin que toutes ces personnes aient les mêmes chances que d’autres de s’épanouir dans la société sans être lésées par des opportunités encore conditionnées par un statut matrimonial.
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