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lundi 7 août 2023

La déliquescence de la psychiatrie annonce-t-elle les drames de demain ?

Paris, le mercredi 2 août 2023

C’est un article que vous penserez peut-être avoir déjà lu mille fois. Le décor et l’action ont en effet déjà été vus fréquemment : des psychiatres ou soignants en psychiatrie prennent individuellement ou collectivement la plume pour décrire l’enfer de la psychiatrie publique dans notre pays. C’est l’errance des familles et des patients devant attendre de longs mois avant qu’une prise en charge, prise en charge dégradée, soit enfin mise en œuvre. C’est le désarroi des professionnels, qui face à une pénurie de personnels toujours croissante, sont contraints de recourir à la contention ou à l’isolement pour assurer un minimum de sécurité dans des services débordés. C’est partout la même maltraitance institutionnalisée et la même désespérance.


Des drames sur fond de démolition de la psychiatrie publique

Bien que la répétition ad nauseam ne semble avoir eu aucun effet par le passé, relatons une fois encore. Il y a dix jours, ce sont plus d’une cinquantaine de psychiatres, psychologues et patients qui écrivent dans le Parisien. Leur point de départ, les récents terribles faits divers : l’infirmière assassinée à Reims, les jeunes enfants attaqués à Annecy, une septuagénaire et sa petite fille agressées à leur domicile.

Tous ont été perpétrés par des personnes atteintes de lourdes pathologies psychiatriques. Il sera évidemment impossible de prévenir tous les passages à l’acte, tandis qu’il est essentiel de redire que les patients atteints de troubles psychiatriques sont bien plus fréquemment les victimes de violence qu’ils n’en sont les auteurs. Cependant, cette multiplication des faits jette une cruelle lumière sur l’accueil actuel des patients.

Les auteurs du texte publié dans le Parisien s’interrogent : « Comment ne pas les mettre en regard de l’état des services publics, avec la santé et la psychiatrie aux premières loges de la démolition ? Faut-il continuer d’accepter le décuplement de violences institutionnelles, le non-accueil, la transformation de nombre de services de soin en véritable machine à broyer les personnes malades et celles qui s’en occupent ? » et décrivent plus loin : « Faute de moyens humains, faute de places et de réelle volonté politique, l’accès universel aux soins est en voie d’extinction ».

Des chiffres paradoxaux

De fait, selon les résultats d’une récente enquête de la Fédération hospitalière de France, un quart des centres hospitaliers comptant un service de psychiatrie indiquent aujourd’hui être en très grande difficulté. Bien que le nombre de psychiatres soit en France supérieur à la moyenne des pays occidentaux (22,8 psychiatres pour 100 000 habitants, contre une moyenne de 15,6 au sein de l’OCDE) la psychiatrie à l’hôpital public est exsangue. Ainsi, le nombre de lits a diminué de 60 % entre 1975 et 2018 et 30 % des postes de praticiens ne sont pas pourvus.

Conséquence de cet abandon : « Les lieux d’accueil et les services ambulatoires pour enfants et adultes sont pleins à craquer. Toute prévention s’en trouve abandonnée. Dans le même temps, des pratiques en principe exceptionnelles se banalisent à toute vitesse, contention, chambre d’isolement, hospitalisation sans consentement, et aussi cette prise en charge au rabais qu’est la seule administration d’un traitement, souvent imposé, y compris en ambulatoire (tout ceci sans réel accompagnement social). Difficile aujourd’hui de négocier un accueil à l’hôpital psychiatrique, d’exiger une aide sans médicament-isolement-contention, quand bien même les personnes viennent de leur propre gré. Certains soignants eux-mêmes dissuadent leurs patients de se faire hospitaliser et déconseillent les Urgences (quand elles ne sont pas déjà fermées) » poursuivent les auteurs de la tribune, qui lancent comme conclusion « La désespérance est-elle un projet de société ? ».

Vers une disparition de l’offre de soins dans certains territoires

C’est un énième appel et il est loin d’être unique. Le même jour, plusieurs associations d’établissements et de psychiatres adressaient une lettre au tout nouveau ministre de la santé. Leur espoir : que ce changement, avenue de Ségur, permette d’en finir avec une forme de déni gouvernemental. En effet, François Braun, qui a régulièrement essayé de minimiser les difficultés rencontrées par l’hôpital public assurait que la situation de la psychiatrie « n’était pas pire que pour d’autres spécialités ». Un diagnostic que ces spécialistes récusent, rappelant notamment que contrairement à d’autres disciplines, la psychiatrie ne peut pas se reposer aussi largement sur une offre libérale et privée. Clairement, ces responsables cités par Hospimedia, évoquent le risque d’une « disparition » de l’offre dans certains territoires.

Et il ne faut attendre que huit jours et la tribune de spécialistes de la Sarthe pour qu’une illustration concrète soit apportée à ces propos. « La pénurie médicale est aujourd’hui à un niveau extrême, mettant en péril l’ensemble de nos dispositifs de soins, tant hospitaliers qu’ambulatoires (consultations, hôpital de jour, soins de réhabilitation psychosociale…) : notre établissement n’est plus à ce jour en mesure d'assurer correctement ses missions auprès des patients en besoin de soins psychiques » écrivent les praticiens sarthois ne cessant de répéter combien la situation est « grave ».

Assises, plans : l’inefficacité, pas l’immobilisme

Combien de fois avons-nous lu cela, ainsi que d’autres tribunes appelant à un sursaut national, à une prise de conscience et un éveil collectif ? Les pouvoirs publics sont loin d’être toujours restés sourds à ces appels. Les rapports et états des lieux, gouvernementaux et parlementaires, se sont multipliés. La dernière mouture du plan psychiatrie et les Assises de la santé mentale (qualifiées par les auteurs de la tribune publiée dans le Parisien de « grande messe de communication gouvernementale ») ont conduit au déploiement de nombreuses mesures, à la libération de fonds importants (20 millions d’euros par exemple dans les centres médico-psychologiques) avec un accent mis sur la formation des professionnels et l’amélioration de la qualité de vie au travail.

Par ailleurs, un (énième) numéro vert a été créé. Surtout, la mesure phare fut le lancement de « MonParcoursPsy » à grand renfort de médiatisation. Mais si plus de 90 000 patients en avaient bénéficié fin janvier 2023 (après un lancement en avril 2022), l’outil est l’objet de nombreuses critiques de la part des professionnels. Surtout, aucune réelle réponse n’a été apportée à la désaffection mortifère que connaît la psychiatrie publique. « Ce n’est pas en claquant des doigts que nous aurons des médecins demain » répondait à ces litanies répétées, un brin fataliste, l’ancien ministre de la Santé.

Aujourd’hui, c’est plus qu’un claquement de doigts qui est attendu d’Aurélien Rousseau.

Aurélie Haroche


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