Par Elsa Gambin Publié le 09 août 2023
Si le chiffre des pubertés précoces est en augmentation, leurs causes demeurent toujours hypothétiques. Dès lors, comment réagir en tant que parent face à ces changements corporels survenus trop tôt ?
Votre fille risque d’être toute petite. » Célia1, 49 ans, se souvient que la question de la taille semblait être le point noir des médecins. Sa fille Zélie, aujourd’hui âgée de 28 ans, a vécu une batterie d’examens, dont une radio du poignet à 7 ans à peine, « pour déterminer son âge osseux », se souvient cette maman. « Sa pédiatre se questionnait sur une éventuelle puberté précoce. Elle a bien insisté sur le fait qu’elle risquait alors d’être de petite taille. » Avec le recul, Célia juge ces moments « pas cool, voire perturbants » pour sa fille, alors en CP.
Les spécialistes évoquent néanmoins un possible traitement par des bloqueurs de puberté. « On n’avait pas très envie de ça pour notre fille », se remémore Célia. La psychiatre Élisabeth Gautier Jalaguier, qui a écrit une thèse sur le sujet, souligne que la puberté précoce, qui n’est pas une maladie mais une pathologie, n’influence ni la sexualité ni la procréation, et que les bloqueurs de puberté peuvent représenter un lourd traitement pour un enfant. « Ce sont des hormones qui vont bloquer la sécrétion d’œstrogènes et ainsi intervenir sur la croissance, explique la docteure Hazart, pédiatre endocrinologue à l’hôpital mère-enfant du CHU de Nantes. Il s’agit d’une injection intramusculaire tous les trois mois, faite par une infirmière, pour une durée d’au moins deux ans. » Quand on arrête de prendre des bloqueurs de puberté, tout se remet en marche normalement. Le traitement est proposé si la puberté précoce a démarré avant 8 ans. Car en plus des effets sur la taille, certaines petites filles vont très mal vivre le fait de se sentir différentes, « en décalage » vis-à-vis de leurs pairs, constate la pédiatre endocrinologue. « Ces changements physiques peuvent avoir des conséquences psychologiques sur certaines, affirme la docteure avant de noter qu’« aujourd’hui encore, 90 % de ces pubertés sont dites idiopathiques, c’est-à-dire sans cause trouvée ».
Une société trop stigmatisante
La puberté précoce, dix fois plus fréquente chez les filles, se manifeste par l’apparition des caractères sexuels secondaires avant 8 ans chez les filles, et 9 ans chez les garçons. Une poitrine naissante, des poils qui apparaissent et une accélération de la croissance sont alors observés. Ce qu’on ignore toujours, c’est pourquoi ce message est délivré aussi tôt. Les règles, elles, vont se déclencher en moyenne deux ans et demi après. L’enfant va alors grandir brutalement entre 7 et 11 ans, puis s’arrêter progressivement. « Ces petites filles non traitées peuvent perdre 6 à 7 centimètres sur leur taille finale », analyse l’endocrinologue.
Pour sa thèse, Élisabeth Gautier Jalaguier se souvient avoir reçu en entretien 25 petites filles, avec et sans leurs parents. Des parents souvent « embêtés » par ces signes de sexualisation plus tôt que chez les autres enfants. « Je me souviens d’une petite fille qui se faisait siffler dans la rue à 11 ans », souligne la psychiatre, à qui certains parents confiaient ne pas être prêts à ce que leur enfant soit adolescente. « Mais, à 9 ans, ce n’est pas une adolescente ! Et la regarder comme telle peut créer une souffrance chez l’enfant », insiste la praticienne, qui se rappelle de parents lui ayant dit : « Je ne peux plus prendre ma fille sur les genoux, on dirait une ado. » Zélie, elle, a peu de souvenirs de cette période, si ce n’est la gêne qu’elle ressentait à être la seule à porter déjà une brassière dans les vestiaires de la piscine et le fait « qu’[elle] ne comprenait rien à ce qu’il se passait ». « C’est la fixation sur ma taille qui m’a le plus marquée. Du haut de mes 7 ans, je me disais : Pourquoi ça semble grave, pourquoi on fait tout ça ? »
Célia et le père de Zélie, Émeric, ont à l’époque surtout vécu cette période comme « une espèce de pression esthétique liée à une norme de taille ». « Au final, on se demande si tout ça en valait la peine », se questionne Célia. Pour Zélie, et son 1m65 final, la question ne se pose plus aujourd’hui. Mais d’autres petites filles continuent de subir la stigmatisation d’une société toujours très critique dès que l’on ne rentre pas dans les « normes ». La docteure Isabelle Hazart est donc dans une posture de « discussion ouverte » avec les parents qu’elle reçoit. Les bloqueurs de puberté sont une possibilité, pas une injonction. « Pour certains parents, voir des seins sur leur fille de 7 ans est un véritable choc », constate la pédiatre. Tout comme il n’est pas facile d’expliquer ce qu’est la puberté à des enfants de 7 ou 8 ans. Émeric, le père de Zélie, se souvient de sa gêne : « Quand ça touche à l’intimité de sa fille, on a une certaine pudeur… Je n’étais pas très à l’aise avec tout ça. Mais, une fois écartés les risques de maladie, nous avons mis de côté les considérations sociales, et la décision de ne pas donner de traitement à notre fille a été rapide ».
La peur de la sexualisation
Aujourd’hui, si l’incidence des pubertés précoces est en légère augmentation, l’âge des premières règles, autour de 12 ans et demi, n’a pas changé. Alors que cette incidence varie d’une région à une autre (davantage de pubertés précoces constatées dans le Sud-Ouest et la région lyonnaise), les perturbateurs endocriniens sont tout de même montrés du doigt, depuis longtemps. « En réalité, les causes sont sans doute multifactorielles, décortique la médecin. Des facteurs environnementaux, génétiques, nutritifs, familiaux sont sans doute à prendre en compte. » Il a également été constaté que les petites filles issues de l’adoption internationale étaient davantage sujettes à ces pubertés, « sans qu’il y ait pour autant de causalité établie », indique la docteure Hazart.
Si les petites filles semblent davantage touchées, c’est pour la simple raison que le dépistage est plus aisé. « Il est plus facile de voir des seins qui poussent que des testicules qui grossissent », résume Isabelle Hazart, qui observe aussi un affolement plus prégnant chez les parents : cette naissance de poitrine les renvoie à une forme de sexualisation du corps de leur enfant. La praticienne voit certains parents lui amener leur fille avec des seins qui poussent à 9 ans et demi ou 10 ans. « Sauf que là, il ne s’agit pas de puberté précoce, c’est juste normal ! »
1. Le prénom a été modifié
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