par Sabrina Champenois publié le 1er août 2023
La vidéo est forte, poignante. Dans les couloirs d’un hôpital, une femme esquisse un sourire face à la caméra, puis, l’instant d’après, craque, pleure, cherche un mouchoir. Elle est magnifique, avec son crâne rasé qui lui donne des airs de Sinéad O’Connor. Ça n’est pas un choix : Caroline Receveur, 35 ans, est d’ordinaire connue pour sa chevelure auburn savamment ourlée, raccord avec une apparence 100 % glamour autour de laquelle la native d’Epinal a construit une entreprise d’influenceuse florissante. Produit de la téléréalité (Secret Story, Les Anges), elle a ensuite officié comme animatrice télé sur les chaînes du groupe NRJ, avant de mettre sur pied son propre business – thé détox, vêtements, collaboration avec diverses marques. Elle compte désormais 5.5 millions d’abonnés sur Instagram, et le coup dur qu’elle rend public par cette vidéo devrait encore élargir sa «communauté».
«Aujourd’hui, mardi 25 juillet 2023, je suis à l’hôpital, indique-t-elle en commentaire de la photo. Une semaine après avoir reçu son 2e cycle de chimiothérapie, mon corps (et mon esprit) se déshydrate. Je me sens vide, j’ai perdu le goût des aliments et un peu de la vie aussi. Je suis dans la salle d’attente, je craque… Moi qui pensais pouvoir garder “ce secret” je n’y arrive plus. Cette solitude souhaitée pour affronter seule cette épreuve me coupe finalement du reste du monde et rajoute un poids à mon quotidien… Ce quotidien ponctué par les allers-retours à l’hôpital depuis l’annonce de mon cancer du sein il y a deux mois. Un cancer du sein agressif certes, mais détecté à un stade précoce.» D’autres vidéos la montrent dans son quotidien, se faisant raser le crâne par son mari, le mannequin et influenceur Hugo Philip, enlaçant leur enfant, se débarrassant de sa perruque, en séance de chimiothérapie à l’hôpital. Des extraits de la vie quotidienne d’une malade atteinte du cancer, entre bas et un peu mieux. Le post a recueilli plus d’1,3 million de likes.
Si la mise en scène est rarement poussée aussi loin, faire état d’une grave maladie n’est de fait plus si rare de la part de personnalités publiques. Parmi les plus récents, citons Florent Pagny côté show-business, Arthur Sadoun, le patron de Publicis côté business, et de nombreuses voix des médias : la journaliste de France Info Clémentine Vergnaud, la journaliste météo BFMTV Virgilia Hess, sa consœur de BFM Lyon Elodie Poyade ou le journaliste sportif de France 2 Matthieu Lartot, qui tous s’inscrivent dans le sillage de Jean-Pierre Pernaut.
Quel impact peuvent avoir ces dévoilements ? Quelle utilité peuvent-ils avoir pour les intéressés ? Et pour le grand public ? Entretien avec Hélène Romeyer, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne-Franche-Comté et spécialiste de la médiatisation des questions de santé.
Caroline Receveur, Florent Pagny, Arthur Sadoun, Jean-Pierre Pernaut… De plus en plus de personnalités rendent leurs maladies publiques.
Face à la maladie, il y a autant d’attitudes que de malades. En parler ou pas, savoir tout sur les protocoles de prise en charge ou rien… et il en va des personnalités publiques comme du quidam : il y a des gens qui sont totalement sous le choc et qui vont avoir besoin de temps pour remonter la pente, alors que d’autres vont tout de suite être dans le combat vis-à-vis de la maladie et vont immédiatement vouloir partager. Les plus actifs dans le combat, dans la recherche de protocoles, dans la recherche de solutions, sont souvent ceux qui se racontent le plus. Ils se disent qu’il faut qu’ils en fassent profiter les autres.
Après, il y a des tendances de fond et celle de se raconter, maladie comprise, existe depuis longtemps, depuis les blogs. Les réseaux sociaux l’ont évidemment amplifiée. Les récits de vie se multiplient, jusque dans le journalisme d’ailleurs, avec l’usage du «je». L’outil joue, cette facilité qu’offrent l’ordinateur et la mise en ligne alors qu’il est bien plus difficile de se faire publier. S’y ajoute l’envie de se donner à voir et de se mettre en scène. Il peut aussi y avoir un besoin d’échange, de partager une expérience commune. Cela peut créer un lien communautaire très fort et si cela ne guérit de rien du point de vue médical, cela peut soulager dans le sens où on peut se dire que d’autres sont dans la même galère, les mêmes souffrances, subissent les mêmes effets secondaires. Un effet cathartique est également possible, parler peut libérer certaines personnes d’un poids. Pour les personnalités publiques, cela permet en outre de lâcher l’information une bonne fois pour toutes, de ne pas être à la merci d’une révélation de son état par les paparazzis.
Florent Pagny a témoigné plusieurs fois, notamment pour dire qu’il avait interrompu son traitement et que ça avait été une erreur.
Beaucoup d’oncologues ont dû être très contents d’entendre un personnage public dire qu’il avait fait une ânerie de ne pas écouter ses médecins. C’est d’autant plus bienvenu dans ce contexte post-Covid : beaucoup de gens atteints de maladies longues ont alors laissé tomber leur protocole, se sont éloignés de la sphère médicale et trois ans après le premier confinement, on ne les a toujours pas rattrapés. Une intervention pareille peut permettre de remotiver des patients qui avaient baissé les bras.
Mais il ne faut jamais oublier qu’avec les réseaux sociaux, on peut aussi avoir l’effet inverse. Imaginez qu’une personnalité affirme «je m’en suis sorti(e) en suçant des pissenlits toute la journée», l’effet serait tout à fait désastreux. Cela est déjà arrivé, avec des messages totalement délirants, idéologiques ou dans la démesure alternative.
De tels témoignages peuvent-ils contribuer à normaliser sinon banaliser des maladies socialement très stigmatisantes comme le cancer ?
Il est vrai que le poids du «vivre avec» est assez terrible avec cette pathologie, et le fait que des personnalités qui en sont affectées témoignent, acte le fait que cela peut arriver à tout le monde, que ce n’est pas nécessairement lié à un mode de vie, un lieu de vie, ou à une situation financière. Et quand elles racontent leurs souffrances, leurs effets secondaires, leurs erreurs, cela permet de partager des expériences et pour le grand public de se dire «je vis la même chose». Cela peut, en cas de décès de ces personnes, déstabiliser ceux qui les suivaient et faire aussi très mal.
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