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lundi 15 août 2022

Le gaz hilarant est-il toujours aussi répandu chez les jeunes Français ?

par Elsa de La Roche Saint-André  publié le 14 août 2022

Depuis que le sujet a été mis sur la table en 2020, la situation continue de se dégrader. La consommation progresse, les addictions se répandent, et les complications s’aggravent, d’après le constat dressé par les centres d’addictovigilance.

Question posée le 7 août 2022.

Bonjour,

Vous nous interrogez au sujet du «gaz hilarant», surnom du protoxyde d’azote dont «on ne parle plus beaucoup». Vous nous interrogez sur la consommation, les complications et les addictions en lien avec ce produit. Si après une large couverture médiatique en 2020, le «proto» a moins fait parler de lui, il est revenu dans l’actualité il y a quelques jours avec le décès d’un jeune homme.

De retour de soirée, samedi 6 août, l’homme de 22 ans est mort à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne). Il venait de consommer du protoxyde d’azote, et les premières conclusions de l’enquête suggèrent que c’est bien ce qui a causé le décès, comme le rapporte le Parisien. Plus tôt cette année, le protoxyde d’azote a été cité dans d’autres affaires. Ce gaz hilarant a ainsi été retrouvé dans l’habitacle d’une voiture, après un accident de la route ayant fait un mort et quatre blessés, près d’Alès (Gard), le 12 juillet. En septembre 2021, une conductrice, qui était encore quelques instants auparavant en train d’inhaler du protoxyde d’azote, a perdu le contrôle de son véhicule à Paris. Bilan : quatre piétons percutés, dont certains gravement blessés.

Une des substances les plus consommées par les jeunes

Dans un cadre médical, le protoxyde d’azote est généralement utilisé mélangé à de l’oxygène pour ses propriétés anesthésiques et analgésiques. Il est également utilisé pur par certaines industries, ou en cuisine pour la confection de siphons. C’est cette version du protoxyde d’azote qui est consommée de façon récréative pour son effet euphorisant.

Les pouvoirs publics ont tenté de juguler le phénomène : une loi adoptée en 2021 punit de 3 750 € d’amende la vente de «proto» aux mineurs, ainsi que dans tous les bars, discothèques ou encore bureaux de tabac. Mais ce produit reste très accessible car entre-temps «s’est développé un business de livraison à domicile, de commandes sur le téléphone… Etre livré en protoxyde d’azote, c’est presque plus facile que d’aller acheter une bouteille d’eau minérale», constate Joëlle Micallef, qui dirige le CEIP-Addictovigilance PACA Corse et préside le Réseau français d’addictovigilance. Par ailleurs, la demande est très grande, notamment en raison de l’image positive dont bénéficie le protoxyde d’azote qui, «contrairement à l’alcool ou au tabac, n’est pas considéré comme un produit à risque dans la population jeune»«Le protoxyde d’azote a une apparente innocuité, parce que ses effets sont brefs», renchérit Marylène Guerlais, praticienne attachée au CEIP-A Pays de la Loire.

Etre livré en protoxyde d’azote, c’est presque plus facile que d’aller acheter une bouteille d’eau minérale

—  Joëlle Micallef, présidente du Réseau français d’addictovigilance

«Avant 2019, l’usage de protoxyde d’azote était assez confidentiel ou en tout cas très très occasionnel», retrace le professeur Micallef. Aujourd’hui, d’une étude à l’autre, le «proto» se hisse au deuxième ou troisième rang des substances psychoactives les plus consommées par les jeunes, des collégiens aux jeunes adultes. Une publication de février 2022 sur les étudiants, qui reprend les travaux du docteur Amélie Daveluy du CEIP-A de Bordeaux, montre ainsi que dans la cohorte nationale étudiante interrogée, le protoxyde d’azote est le troisième produit le plus répandu, derrière le cannabis et les poppers. Au total, 26 % des étudiants en ont consommé au cours de leur vie, et 12 % durant l’année écoulée. Preuve de la popularité de cette substance, estime Joëlle Micallef, dans son service de pharmacologie clinique à l’AP-HM les équipes n’ont «jamais à expliquer aux jeunes ce qu’est le protoxyde d’azote, c’est connu de tous».

Tournant pendant le premier confinement

En plus d’avoir augmenté, la consommation a évolué dans ses modalités. En particulier, un nouveau conditionnement s’est peu à peu imposé cette dernière année. «Désormais, les jeunes achètent des bonbonnes [ou bouteilles] qui contiennent l’équivalent de 80 à 100 cartouches métalliques», indique Joëlle Micallef. Un conditionnement qui, regrette-t-elle, «facilite aussi la consommation en groupe, donc peut encourager les initiations, et des jeunes consomment alors qu’ils ne l’auraient pas fait seuls».

Le tournant, pour la présidente du Réseau français d’addictovigilance, se situe lors du premier confinement national en 2020, durant lequel «la technique de livraison à domicile s’est développée»«C’est aussi pendant le confinement que des parents se sont rendu compte que leur enfant était devenu addict. Certains étaient en état de manque.» C’est aussi ce qu’a observé le service de neurologie du CHU d’Avicenne à Bobigny (Seine-Saint-Denis). «La pandémie de SARS-CoV-2 avec ses confinements successifs a pu favoriser une augmentation de la consommation» de protoxyde d’azote, écrivent les neurologues d’Avicenne, dans une étude parue en août 2021.

Et c’est là l’évolution la plus marquante : si la consommation de protoxyde d’azote s’inscrivait au départ dans un contexte festif, axée «sur le côté hilarité, euphorie», on voit apparaître maintenant de nouveaux effets recherchés, «l’anxiolyse, ou même la défonce», note Marylène Guerlais. Les notifications d’addictovigilance transmises aux différents CEIP-A français par les professionnels de santé mettent en évidence d’importants phénomènes de dépendance. Près de 500 signalements liés au protoxyde d’azote ont été recensés en 2021, soit deux fois plus qu’en 2020 et dix fois plus qu’en 2019. «En 2021, les troubles de l’usage (addiction) et /ou consommations de doses élevées et /ou quotidiennes sont présents dans près de 90 % des cas d’addictovigilance», relève un communiqué publié le 23 juin par l’Association française des centres d’addictovigilance, qui précise que les «consommations sont quotidiennes dans près de la moitié des cas et peuvent atteindre aujourd’hui plusieurs dizaines de bouteilles par jour».

Profil des cas signalés en addictovigilance : des jeunes âgés en moyenne de 22 ans, dont à peu près un dixième est mineur. «[Leur consommation] est très centrée sur le protoxyde d’azote. Ce sont des personnes qui ne sont pas forcément consommatrices d’autres substances à côté», souligne en outre Marylène Guerlais, qui officie dans l’équipe du professeur Caroline Victorri-Vigneau, responsable des enquêtes nationales d’addictovigilance sur le protoxyde d’azote.

«Tout laisse à penser que de plus en plus de personnes auront du mal à s’en passer, déplore Joëlle Micallef. Plus le nombre de personnes exposées augmente, plus vous risquez de tomber sur celles qui ont des vulnérabilités, des facteurs de risque de développer une addiction.» De par son potentiel addictif, que «des études chez le rat ont très bien montré», le protoxyde d’azote est passé de simple composé chimique utilisé dans la médecine et l’industrie, à véritable produit stupéfiant.

«Nouvelles complications graves»

Les centres d’addictovigilance observent également «des symptômes psychiatriques anxieux, thymiques [troubles de l’humeur], psychotiques et des troubles du comportement», indique l’Association française des centres d’addictovigilance dans son communiqué. Surtout, parmi les cas graves signalés en 2021, les complications les plus fréquentes sont d’ordre neurologique, «présentes dans 80 % des cas». Idem au sein des 134 cas rapportés aux centres antipoison en 2020 (contre 46 en 2019) : «Au moins un symptôme neurologique et neuromusculaire était signalé pour 96 cas», note l’Anses (l’Agence nationale de sécurité sanitaire).

En cause : les interférences du protoxyde d’azote avec la vitamine B12, qui contribue notamment à la fabrication des enveloppes nerveuses. Les complications neurologiques possibles sont «des troubles de la marche, des troubles sensitifs, des fourmillements, des vertiges, des incontinences, des sensations ébrieuses», liste la pharmacologue marseillaise Joëlle Micallef. «La gravité des tableaux pathologiques a augmenté, et c’est sans doute lié aux quantités consommées qui sont plus importantes», pointe-t-elle. Ainsi, le nombre de cas d’atteintes neurologiques diagnostiquées «a triplé entre 2020 et 2021», écrit l’Association française des centres d’addictovigilance.

En plus d’une augmentation des troubles neurologiques, l’addictovigilance s’inquiète de l’apparition «de nouvelles complications graves», d’ordre cardiovasculaire, «avec plusieurs cas d’effets thrombotiques rapportés [syndrome coronaire aigu, embolie pulmonaire, thrombose veineuse profonde]»«Ce sont des choses qu’on n’observait pas il y a encore deux ou trois ans», sans qu’on puisse dire si les troubles cardiovasculaires n’étaient pas signalés «parce que ce n’était pas connu, ou parce que les complications étaient moins graves», expose Marylène Guerlais du CEIP-A Pays de la Loire.

Neurologiques ou cardiovasculaires, les complications sont traitées avec de la vitamine B12. Mais attention, alerte le professeur Micallef, «la vitamine B12 ne permet pas de tout récupérer. Ensuite, il faut faire de la kinésithérapie intensive et de la rééducation dans des centres spécialisés. Et quelques fois, les patients ne récupèrent pas toute leur motricité. Certains ont des lésions irréversibles».


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