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dimanche 14 août 2022

La fatigue cognitive, un signal qui avertit votre cerveau d’un risque de surchauffe

Par   Publié le 11 août 2022 

Après un effort intellectuel intense et prolongé, une molécule – le glutamate –, accumulée dans certaines zones de notre cerveau, perturbe le raisonnement et la prise de décision. Une manière de nous alerter qu’il est temps de cesser de travailler, montre une étude française.

Le Norvégien Magnus Carlsen durant son match contre l’équipe de Macédoine du Nord lors de la 44e Olympiade d’échecs, à Mahabalipuram (Inde), le 5 août 2022.

Même les joueurs d’échecs professionnels, après quatre ou cinq heures de jeu, peuvent se mettre à faire de grossières erreurs. Vous-même, ne sentez-vous pas l’épuisement après une journée d’effort intellectuel intense ? Cette fatigue cognitive, loin d’être une simple vue de l’esprit, repose sur des fondements physiologiques. C’est ce que révèle une étude française, publiée le 11 août dans Current Biology.

Un effort mental intense et prolongé provoque en effet l’accumulation d’un sous-produit de l’activité des neurones, le glutamate, dans certaines zones du cortex préfrontal latéral, une région qui gouverne nos fonctions mentales supérieures. Or ce glutamate en excès altère le fonctionnement de nos neurones. « Cette fatigue serait donc un signal qui nous pousse à arrêter de travailler pour préserver l’intégrité du fonctionnement de notre cerveau », résume Mathias Pessiglione, neuroscientifique à l’Institut du cerveau (ICM, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris), qui a coordonné ce travail. Elle ne proviendrait donc pas, comme on l’a longtemps cru, d’un épuisement des ressources en glucose apporté par la circulation sanguine.

L’équipe parisienne a recruté 40 participants volontaires (20 hommes et 20 femmes), pour la plupart étudiants, âgés en moyenne de 24 ans. Ils ont été répartis au hasard en deux groupes : le premier devait accomplir des tâches cognitives nécessitant un intense effort d’attention et le second le même type de tâches mais plus faciles (groupe contrôle). Ces épreuves ont duré six heures et quart, « avec une pause de dix minutes à mi-parcours », précise le chercheur.

Augmentation de la concentration de glutamate

Premier exemple d’épreuves : la tâche « n-back ». Les participants doivent indiquer si la dernière lettre d’une liste correspond à la lettre présentée n positions auparavant (par exemple, F-B-L-B montre une correspondance « 2-back » et B-F-L-B une correspondance « 3-back »). Ceux du groupe contrôle effectuaient le test en « 1-back » et ceux du groupe testé en « 3-back », une épreuve autrement plus difficile.

Autre exemple : la tâche « n-switch ». Ici, la règle dépend de la couleur de la lettre présentée. Si elle est rouge, le participant doit dire s’il s’agit d’une consonne ou d’une voyelle. Si elle est verte, si c’est une majuscule ou une minuscule. A mesure que les lettres défilaient, leur couleur alternait bien plus fréquemment dans le groupe testé, ainsi soumis à une épreuve plus ardue.

Les épreuves ont été réparties en 5 sessions de 75 minutes. Les chercheurs ont comparé les deux groupes entre eux mais aussi, au sein de chaque groupe, ce qui se passait dans la tête des participants entre le début et la fin des tests. Durant les sessions 1, 3 et 5, en effet, les participants effectuaient ces tests dans le tunnel d’un appareil d’IRM (imagerie par résonance magnétique). Alors qu’une IRM classique mesure le débit sanguin à travers le cerveau (reflet des régions cérébrales qui travaillent), ici, les chercheurs ont fait appel à une autre technique d’acquisition des données : la spectroscopie par résonance magnétique, qui mesure les concentrations de différences substances dans le cerveau. Cette technique permet aussi d’analyser la diffusion de ces substances sur de courtes distances. « Si une molécule a été libérée dans les synapses [les espaces entre les neurones], elle diffusera bien plus facilement que si elle est cantonnée à l’intérieur des cellules », explique Mathias Pessiglione.

Voyons d’abord ce qui se passe dans la tête des participants entre le début et la fin de ces épreuves. Dans le cortex préfrontal latéral, la concentration de glutamate a augmenté de 1,5 % dans le groupe soumis à des tâches exigeantes alors qu’elle diminuait de 9 % dans le groupe contrôle. Mais c’est surtout la diffusion de cette molécule qui importe : dans cette région du cerveau, elle a augmenté de 7,2 % dans le premier groupe, et de 1,6 % seulement dans le groupe contrôle. « Après plus de six heures d’effort cognitif intense, le glutamate s’est accumulé dans les synapses du cortex préfrontal latéral », en déduit le neuroscientifique. En revanche, aucune accumulation de glutamate n’a été constatée dans l’aire visuelle, à l’arrière du cerveau, une région pourtant sollicitée par ces épreuves attentionnelles. Ce paradoxe « reste un mystère », admet Mathias Pessiglione.

« De nombreuses manifestations de fatigue mentale, tel le burn-out, seraient liées à cette libération excessive de glutamate » Mathias Pessiglione, neuroscientifique

A mesure que la journée avançait, les chercheurs ont observé d’autres signes de fatigue cognitive, mais uniquement chez les participants assignés aux tâches les plus ardues. Ainsi, leurs pupilles se dilataient moins qu’en temps normal durant la prise de décision – une marque de fatigue connue.

Moteur cérébral bridé

Autre test de fatigue, celui du choix binaire : les sujets devaient opter soit pour une récompense monétaire immédiate ou obtenue au prix de peu d’efforts, soit pour une récompense plus grande mais différée dans le temps ou délivrée au prix de gros efforts. Résultat : « Au fil de la journée, ils ont montré une dérive en faveur de la première option », indique Mathias Pessiglione. Là encore, il s’agit d’une marque de fatigue classique. Mais son observation concorde avec la découverte des chercheurs : « Si vous faites un effort attentionnel soutenu pendant des heures, le glutamate qui s’accumule dans vos synapses perturbera le fonctionnement des neurones de votre cortex préfrontal latéral, une région impliquée dans le raisonnement et la prise de décision. En toute logique, cela altérera aussi le contrôle que vous exercez sur vos décisions. » Vous privilégierez donc les actions nécessitant peu d’efforts ou les récompenses immédiates.

Comment contourner ce bridage de notre moteur cérébral ? « Il n’y a pas de recette miracle », répond Mathias Pessiglione. Le glutamate est un des principaux neurotransmetteurs du cerveau : il permet aux neurones de communiquer entre eux. « Mais s’il est libéré en excès dans les synapses, il altère la transmission du message nerveux. De surcroît, il vient à manquer à l’intérieur des neurones. » Chez l’animal, ces anomalies favorisent par exemple les crises d’épilepsie. D’où ces recommandations de bon sens : après une journée d’effort intellectuel intense, évitez de prendre des décisions importantes. Et surtout dormez ! Le sommeil, en effet, assure un recyclage du glutamate : son excès est éliminé des synapses et une partie retourne aux neurones.

« De nombreuses manifestations de fatigue mentale, tel le burn-out, seraient liées à cette libération excessive de glutamate », conclut le chercheur. Son équipe a en effet retrouvé les mêmes signatures cérébrale et comportementale chez des sportifs qui souffrent d’un syndrome de surentraînement, un trouble qui s’apparente au syndrome d’épuisement professionnel.


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