Par Béatrice Jérôme Publié le 17 août 2022
Le nouveau ministre des solidarités et de l’autonomie, Jean-Christophe Combe, entend notamment s’appuyer sur le budget de la Sécu et sur une instance de consultation des seniors, alors que parlementaires et professionnels espèrent toujours une loi ad hoc, comme l’avait promis Emmanuel Macron en 2018.
Exit la loi pour « répondre aux défis du vieillissement » promise par Emmanuel Macron en juin 2018. La promesse brille par son absence dans la feuille de route que Jean-Christophe Combe présentera, le 31 août, au séminaire gouvernemental de rentrée.
Fin juillet, le nouveau ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées n’en faisait pas mystère : « Un projet de loi ne me semble pas forcément le plus approprié pour passer à l’action. On devrait attendre de nombreux mois le temps qu’il soit débattu avant de commencer à le mettre en œuvre. »
M. Combe sait qu’il s’expose à devoir répondre chaque semaine au Parlement à la même question : « A quand la loi grand âge ? » Parlementaires et acteurs du secteur n’ont pas l’intention de se résigner à ce qu’une grande réforme pour améliorer la vie des plus âgés demeure ad vitam un mirage politique. « On ne lâchera rien ! », assurent des députés de gauche, de droite mais aussi de la majorité.
Le nouveau ministre va donc devoir redoubler d’efforts pour convaincre qu’il a la capacité d’engager des chantiers sans grande loi. « Je suis un homme de résultats. Je ne suis pas un diseur, je suis un faiseur », affirme l’ancien directeur général de la Croix-Rouge,qui se présente comme un ministre « opérationnel ». « Plutôt qu’une grande loi, je pense que ce qui est urgent aujourd’hui, c’est d’agir, confiait-il en juillet au Monde. On est au pied du mur de la transition démographique. Il y a une très forte attente des acteurs du secteur – surtout après le scandale Orpea et devant la pénurie de personnel. Un consensus s’est dégagé après de multiples rapports remis ces dernières années. »
Pourtant, M. Combe « devra faire preuve d’imagination », ironisait, en juillet, Le Mensuel des maisons de retraite. « Les objectifs flous et vagues fixés par le candidat [Macron] ne suffiront pas à guider le nouveau ministre », écrivait Luc Broussy, le directeur de cette revue.
« Grande conférence nationale »
A défaut de mesures glissées par l’exécutif dans sa besace, M. Combe a trouvé à son arrivée au ministère les notes de son administration sur des orientations à prendre. Parmi celles qui ont retenu son attention figure l’idée d’une nouvelle méthode de pilotage politique.
Dans les tiroirs du ministère dormait notamment le projet de créer une « grande conférence nationale » consacrée à la lutte contre la perte d’autonomie. Cette conférence aurait pour mission de réunir tous les ministres et les acteurs du secteur. Elle serait un outil au service d’une dimension interministérielle des politiques d’accompagnement du vieillissement. Sous l’impulsion de cette conférence qui se réunirait régulièrement, l’exécutif injecterait dans divers textes législatifs (logement, transport, aménagement du territoire, etc.) des dispositions spécifiques pour les seniors.
Parmi les autres pistes auxquelles M. Combe réfléchit figure la création d’une instance qui réunirait les représentants des personnes âgées, calquée sur le modèle du Conseil national consultatif des personnes handicapées qui émet des avis et veille à la mise en œuvre des actions du gouvernement. Ce lieu d’expression des principaux concernés est réclamé par plusieurs associations et collectifs qui veulent faire entendre la voix des boomeurs. Pour le ministre, l’objectif serait de faire émerger la question du grand âge dans le débat public. Resterait à désigner les personnes âgées représentatives ou les associations pour participer au tour de table. Dans l’esprit du ministre, ces deux assemblées concourraient à l’élaboration d’une stratégie qui s’étendrait sur plusieurs années, voire une décennie.
En attendant que l’Elysée et Matignon se prononcent sur l’opportunité d’une nouvelle gouvernance, M. Combe entend donner des gages de sa volonté « d’agir » à l’occasion du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 à l’automne.
Le « budget de la Sécurité sociale » sera l’occasion de concrétiser deux promesses du candidat Macron lors de sa dernière campagne : tout d’abord la création, sur le quinquennat, de 50 000 postes de soignants dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Les crédits programmés aujourd’hui financent 1 500 créations de postes par an. Autre mesure : le financement de deux heures supplémentaires par semaine d’intervention d’une aide à domicile auprès d’une personne âgée en perte d’autonomie. Un projet dont le coût demeure très flou.
Même un PLFSS ambitieux ne suffira pas à empêcher les parlementaires de repartir à la charge pour réclamer une loi ad hoc
M. Combe compte aussi se battre lors de l’examen du PLFSS pour satisfaire les revendications du secteur des Ehpad, qui réclame un « effort particulier » pour combler la hausse du smic et les revalorisations salariales consenties afin de rendre ces métiers plus attractifs. L’enveloppe du PLFSS qui finance les salaires des soignants en Ehpad a augmenté de moins de 0,5 % en 2022. « Nous souhaitons une hausse de 2 % à 3 % de la dotation soins », affirme Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du syndicat Synerpa.
Autre bataille en vue : celle pour obtenir des crédits supplémentaires pour la revalorisation des salaires des aides à domicile du secteur associatif. L’enveloppe de la Sécurité sociale accordée en 2021 s’est révélée insuffisante. Certains départements refusent, par conséquent, de cofinancer la hausse de salaires de ces personnels faute de garantie que l’Etat honorera sa promesse de contribuer pour moitié aux augmentations salariales.
Mais même un PLFSS ambitieux ne suffira pas à empêcher les parlementaires de repartir à la charge pour réclamer une loi ad hoc. Présidente (Renaissance) de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Fadila Khattabi a créé, en juillet, un groupe de travail transpartisan consacré à « la longévité et à l’autonomie » qui se réunira pour la première fois le 7 septembre. Ses conclusions ont vocation à enrichir le PLFSS. Mais certains députés qui y siègent ont toujours des velléités pour défendre l’utilité d’un texte de loi spécifique. D’autant que quatre « missions flash » ont été conduites par la commission, en février, après le scandale Orpea. « Nous n’avons pas entrepris tout ce travail pour qu’il fasse pschitt », prévient Mme Khattabi. « S’il n’y a pas de projet de loi, nous pourrons soutenir des propositions de loi », prévoit la députée macroniste de Côte-d’Or.
« La France est un pays âgiste »
Parmi les hérauts d’une grande loi, Jean-René Lecerf, président du conseil de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, ne désespère pas de convaincre le chef de l’Etat que le sujet représente une « opportunité politique » pour lui de montrer qu’il est capable de dégager des consensus au Parlement.
« Seule une grande loi va intéresser le grand public et permettra de mettre en place des principes fondamentaux sur lesquels s’appuyer pour résoudre les problèmes quotidiens », plaide-t-il. « Pour l’opinion publique, le PLFSS, c’est “peanuts” ! Ce ne sont que des mesures essentiellement financières dont la vertu et les avancées ne sont appréciées que par le microcosme », poursuit l’ancien président du département du Nord.
« Notre crainte, c’est qu’on nous embrouille avec le PLFSS en annonçant qu’on va mettre quelques centaines de millions sur la table », s’indigne Pascal Champvert, président de l’Association des directeurs au service des personnes âgées. « Depuis Sarkozy, tous les présidents de la République ont promis une loi, et puis, finalement, il y a toujours eu plus urgent que de s’occuper des vieux. La France est un pays âgiste », désespère-t-il.
Malgré ces appels consensuels à une loi, Emmanuel Macron n’a jamais donné d’explication à son refus tacite d’y répondre. Pour Jérôme Guedj, député (Nupes-PS) de l’Essonne, « Macron a une réticence à donner l’impression qu’il veut faire des efforts pour des boomeurs. Il est sensible à la petite musique sur les vieux qui seraient plus gâtés que la jeunesse ».
« Mesurettes » et « bricolage »
Autre explication : il faudra 9 milliards d’euros en plus d’ici à 2030 pour financer les besoins du grand âge, estimait Dominique Libault, président du Haut Conseil du financement de la protection sociale, dans son rapport au gouvernement en mars 2019.
A partir de 2024, la cinquième branche « autonomie » percevra 2,3 milliards d’euros supplémentaires. Restera à trouver 7 milliards en six ans… Une somme tellement colossale que le gouvernement préfère s’en tenir aux « mesurettes » du PLFSS, déplore un député de l’opposition, et à un « bricolage » pour gérer la pénurie de moyens.
Spécialiste du dossier, M. Guedj a annoncé la création en septembre d’un groupe de travail qui proposera une traduction législative des mesures contenues dans les multiples rapports sur le grand âge. Cette tâche pourra servir d’armature à une future loi si le gouvernement voulait la reprendre à son compte, espère le député. « L’objectif est de sortir le vieillissement d’une approche médico-sociale », insiste-t-il. Il souhaite que des députés de tous les bancs siègent dans ce groupe, hormis ceux du Rassemblement national qu’il n’a pas sollicité, et qu’y participent des membres de différentes commissions permanentes à l’Assemblée pour qu’ils se familiarisent avec le sujet. « On joue le jeu du transpartisan, insiste M. Guedj, membre du PS. Nous sommes dans une démarche constructive vis-à-vis du gouvernement. Mais, si à l’automne il n’y a pas de changement de braquet, on dira qu’il n’est pas à la hauteur… »
Face à ces initiatives parlementaires, le défi pour M. Combe sera de convaincre l’Elysée et Matignon que l’accompagnement du grand âge est une priorité du quinquennat. Ce qui n’est pas, semble-t-il, le chantier le plus facile.
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