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jeudi 14 avril 2022

«Allons enfants», rentrée dans la danse

par Ève Beauvallet  publié le 12 avril 2022

Le documentaire de Thierry Demaizière et Alban Teurlai suit 15 enfants issus de milieux défavorisés et leur intégration à la section hip-hop du lycée Turgot, à Paris, une classe unique en France. 

Le film a failli s’appeler la Déter et on comprend vite pourquoi. La danse comme expression d’une rage, d’une revanche sociale et intime, constitue le fil rouge inamovible du documentaire consacré à la section hip-hop du lycée Turgot à Paris, une classe unique en France qui a fasciné les réalisateurs Thierry Demaizière et Alban Teurlai, déjà auteurs de documentaires sur la danse (dont la Relèvesur Benjamin Millepied ou la série Move pour Netflix). La «déter» pour la «persévérance», donc, est ici et d’abord celle d’un professeur d’EPS fou de hip-hop et dingue de pédagogie. David Bérillon, ancien danseur, est un enseignant comme on en rêverait tous pour chacun des enfants de la France d’aujourd’hui : une foi indestructible dans la théorie des cercles vertueux et la détermination à relever un double pari.

En castant chaque année, pour intégrer une section de danse spécialisée, quinze enfants passionnés de danse hip-hop issus de milieux socioculturels et de quartiers défavorisés, l’enseignant espère s’appuyer sur la passion de la danse pour remettre ces jeunes dans le circuit de la réussite scolaire. Aussi, en intégrant cette section spécialisée dans l’enceinte du lycée Turgot à Paris (dans le très bobo IIIe arrondissement parisien), en allant donc à l’encontre des credo de l’Education nationale (soit en «désectorisant»), David Bérillon et son proviseur Monsieur Barrant, entendent-ils faire de leur projet un laboratoire de la mixité.

Dribles humoristiques

C’est sur ce frottement sociologique que s’ouvrent les belles premières minutes d’Allons enfants, et elles sont parmi les meilleures : l’étonnement amusé de ces enfants des banlieues pauvres «où on s’envoie des compas au visage» (dixit un élève) devant des classes majoritairement «blanches» et polies qui se disent entre eux «belle journée à toi», leur art des dribles humoristiques et des punchlines quand ils relatent le fossé culturel qui les sépare des «babtou» – et attention, «babtou» dans leurs bouches, «c’est pas une couleur, c’est un état d’esprit», (dixit le même élève) –, et bien sûr la beauté de leurs danses qu’on dit «urbaines», qu’ils pratiquent avec une hargne et une subtilité touchant parfois au sublime, du moins telle qu’elle est magnifiquement filmée, dans des salles de gymnase, par la caméra des deux réalisateurs.

La perplexité avec laquelle on sort pourtant du film tient à deux paradoxes. Le premier : ces enfants ne sont filmés qu’entre eux et jamais en interaction avec les petits «babtou» dont ils parlent. Ensuite, dans le film, ces jeunes arrivent tous au casting avec la même idéologie de la danse : le mouvement comme exutoire, comme combat, comme expression d’une intériorité qui, à 15 ans, en a déjà vraiment chié. Seulement, à aucun moment, ils ne semblent invités – par d’autres artistes par exemple – à découvrir en eux d’autres motivations que celles, psychologisantes, de l’Actor’s Studio, à confirmer leur goût initial mais à s’ouvrir aussi à du «différent». A quel point ces adolescents (ceux de la section, mais aussi les autres élèves) se sont-ils vraiment déplacés ? Ça n’enlève rien à l’empathie puissante qui se dégage de la galerie de portraits, des élèves mais aussi d’un corps pédagogique très militant, mais c’est finalement l’impression déceptive d’avoir vu un film sur un microcosme davantage que sur une expérience d’altérité.

Allons enfants de Thierry Demaizière et Alban Teurlai (1h50).


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