EDIT: Le gouvernement a annoncé ce mardi que la fin de la trève hivernale était repousée de fin mars au 1er juin en raison de la pandémie. 

Nadège Habti parle d’une situation «tristement banale». Une banalité qui lui a fait prendre 18 kilos l’an passé, qui cannibalise ses jours comme ses nuits. Elle a commencé à faire du tri, à empiler des cartons récupérés à droite à gauche pour y ranger ses affaires, car elle sait qu’elle n’a plus vraiment le choix : fin mars, elle devra avoir quitté, avec ses enfants de 9 et 2 ans, le logement parisien qu’elle occupe depuis quinze ans.

Confiante

En novembre, le couperet est tombé : cette ex-biologiste reconvertie dans l’administration a fait l’objet d’un avis d’expulsion de son HLM. «La juge ne pouvait pas faire autrement, mathématiquement ça ne rentrait pas», dit-elle, pragmatique. Lors de son jugement, elle devait 10 000 euros à son bailleur. Et n’avait aucun moyen de ne pas continuer à creuser sa dette. La galère a démarré en 2017, par une séparation. Son ex-conjoint obtient vite un logement social, elle est confiante : son tour viendra vite. Mais les mois passent, les occasions de déménager aussi. Son salaire de 1 500 euros net, versé sur quatorze mois, ne lui suffit pas pour s’acquitter des 1 120 euros de loyer et du reste. Alors elle cumule les jobs. En plus de son CDI, elle maquille des salariés et leurs enfants lors d’événements organisés par des entreprises et vend des bijoux de sa création. «Je bossais comme une tarée», lâche la blonde de 41 ans. Ses efforts payent, littéralement : jusqu’à 6 000 euros en décembre 2017, le mois le plus fructueux de l’année, et de confortables compléments l’été, lorsqu’elle maquille des troupes de théâtre. «Je doublais pratiquement mon salaire», note-t-elle.

La naissance de son deuxième enfant, en novembre 2018, lui fera lever le pied et l’empêchera de faire une nouvelle fois le plein au mois de décembre suivant. L’année 2019 démarre difficilement - d’autant que son nouveau compagnon est parti -, mais Nadège Habti redresse la barre grâce aux prestations estivales. L’automne suivant, les grèves de la SNCF poussent les entreprises pour qui elle fait des extras à «reporter» leurs événements. Arrive 2020, avec sa pandémie et ses confinements.

«Compliqué»

En mars, Nadège Habti attrape le Covid, son fils aussi, qui développe un syndrome de Kawasaki et doit aller à l’hôpital. La quadragénaire se met en arrêt maladie, ne touche alors que 840 euros par mois. La machine infernale est lancée. De son côté, la mairie a gelé toutes les attributions de HLM à l’annonce du premier confinement (lire ci-contre). «Je n’ai pas payé de loyer pendant quatre mois parce que ce n’était pas possible mathématiquement»,explique-t-elle. Elle s’accroche à ces maths, déroule la chronologie de l’engrenage, sort les courriers, les bulletins de paie, veut être précise. Elle sait qu’elle n’est pas seule à vivre ça - des collègues à elle ont dû dormir dans leur voiture avec leurs enfants ou retourner chez leurs parents -, qu’il y a toujours pire quelque part, mais cette «mère louve», comme elle se décrit, n’a d’autre choix que se battre. «Ma terreur absolue, c’est d’être séparée de mes enfants.»

Toutes ces années, une poignée de logements sociaux lui ont été proposés. Encore confiante, elle a refusé le premier, parce qu’il n’avait pas de salle de bains. «J’avais un petit bébé, justifie-t-elle. Aujourd’hui, je ne le refuserais pas.» Les autres lui sont passés sous le nez. Il y a quelques jours, elle a reçu une nouvelle proposition : le loyer, de 759,14 euros, chauffage non inclus, dépasse largement le tiers de ses revenus, limite au-dessus de laquelle on juge l’effort financier trop important. Mais entre un hôtel social et ça, le choix est fait. «Je ne suis pas en mesure de refuser», résume-t-elle, reconnaissant toutefois que s’acquitter d’un tel loyer s’avérerait «compliqué». Elle s’attend de toute façon à ce que son dossier soit refusé, parce que son salaire dans l’administration est trop bas.

Nadège Habti a reçu des messages d’autres mères célibataires dans sa situation. «On a des salaires en moyenne inférieurs à ceux des hommes et on se retrouve en charge des enfants dans 99 % des cas. Ça nous pose des problèmes de carrière. Dès qu’un gamin a un rhume, il faut que je m’arrête, je perds trois jours de salaire, illustre-t-elle. Et je suis obligée de rester dans un secteur donné parce que le papa doit assurer sa pseudo-garde partagée.»

A ce stade, quelle que soit la zone géographique, quelle que soit la surface, la tenace mère de famille veut «juste un toit». Contacté par Libération, son bailleur, Logirep, indique qu’il appliquera la décision de justice. Mais que la situation de Nadège Habti peut encore être sauvée, si elle accepte de quitter son arrondissement actuel, où sa fille est scolarisée mais où Logirep ne dispose que de 42 logements.