CHRONIQUE
Dans la série sur Netflix La Chronique des Bridgerton, on ne lésine pas sur les codes de la romance : il y a des grands sentiments, des robes pastel, des pectoraux en béton, des filles plus innocentes que des agneaux, pas mal de sexe dans des rosiers (aïe). Mais aussi, entre deux soupirs, un amant expérimenté qui encourage sa fiancée à se masturber. Lors de leur nuit de noces, la demoiselle devra d’ailleurs lui en faire la démonstration. Rien de voyeur dans cette demande : agrémenter le devoir conjugal est toujours plus facile quand on connaît les préférences de ses partenaires.
Cette scène pourrait paraître anecdotique, mais j’ai deux remarques à glisser entre votre café et votre croissant. Déjà, la série a été visionnée par 82 millions de foyers – elle est, depuis cette semaine, le programme le plus regardé de la plate-forme la plus populaire du monde. Ensuite, ce très chaste « cours de masturbation », cuvée 1813, ressemble furieusement aux nébuleuses informations toujours transmises lors du millésime 2021 : « Caresse-toi, de préférence entre les jambes, et continue jusqu’au soulagement. » Malgré ma sincère tendresse pour les charmes de l’euphémisme, quand un conseil sexuel peut s’appliquer aux piqûres de moustique, il y a un problème.
Une autre série sur Netflix, Love & Anarchy, présente les choses de manière plus frontale : quand l’héroïne se fait surprendre en pleine séance solitaire par le stagiaire en informatique de son entreprise, ce dernier tombe fou amoureux d’elle. Comment expliquer une telle fascination ? Sans doute parce qu’elle exhume une question millénaire : que veulent les femmes ? Et que font-elles quand personne ne les regarde ?
Nous voici donc en 2021. Les robes pastel sont hors saison, les oies blanches ont été cuisinées au repas de Noël, les stagiaires en informatique télétravaillent… et 14 % seulement des femmes se masturbent régulièrement. Un quart d’entre elles ne le font pas du tout (IFOP/Plaisir féminin, 2017) ; 22 % des femmes disent mal connaître leurs zones érogènes (IFOP/Elle 2019).
C’est le désir qui coince
Pourquoi bouder les petits plaisirs de l’existence ? Selonl’enquête BWC/Tenga 2020, les raisons morales ou religieuses arrivent aux tréfonds du classement des arguments des abstinentes – sans surprise, puisque l’écrasante majorité des Français trouve la masturbation naturelle, bonne pour la santé, joyeuse et même thérapeutique. A vrai dire, c’est le désir qui coince : 69 % des abstinentes ne ressentent aucun besoin de se masturber. Certaines préfèrent les rapports sexuels à deux. Les autres ont la libido dans les choux.
Et finalement, pourquoi s’en inquiéter ? Personne n’est obligé de se masturber. Cependant, toutes les justifications ne se valent pas. Préférer le missionnaire ou la tarte aux framboises, c’est une chose. Mal connaître son corps, culpabiliser, s’estimer indigne des plaisirs égoïstes, bouder son plaisir par manque de temps ou par complexe, ces raisons-là relèvent de l’autocensure plutôt que du choix éclairé. Un problème que les hommes connaissent moins : 95 % se sont déjà masturbés, et 50 % pratiquent régulièrement (IFOP/Plaisir féminin, 2017). S’y prennent-ils mieux, différemment, plus librement, savent-ils quelque chose que les femmes ignorent ?
Une chose est sûre : l’acceptabilité, encore aujourd’hui, demeure très inégale. Point de « cercles de masturbation » ou de partage de travaux manuels chez les adolescentes, peu de confidences dans les vestiaires sportifs ; 42 % des femmes n’ont jamais parlé de masturbation à personne (BWC/Tenga 2020). Même entre amies, le sujet est rarement discuté avec des détails permettant une transmission de techniques. Pour savoir comment faire, il reste donc la pop culture, Internet, la pornographie… et les médias.
D’autres options, pourtant, ont émergé dès les années 1960 – comme les ateliers d’auto-exploration de la militante américaine Betty Dodson, récemment disparue. Il existe aujourd’hui des cours de masturbation, en vidéo, conçus par des femmes, pour des femmes. Première possibilité, OhMyGodYes, 45 euros, qui donne accès à des dizaines de petits films, d’infographies et même de simulations tactiles. Deuxième possibilité, « Climax », 34 euros, dix-neuf vidéos seulement, mais explicites : la vulve et les mouvements sont montrés en (très) gros plan, vous ne risquez donc pas de confondre votre périnée avec votre omoplate. Les deux programmes fonctionnent comme de véritables tutoriels, il ne manque que le diplôme à l’arrivée.
Le plus important, c’est la patience
Deuxième option, les livres : tout d’abord l’incontournable Jouissance Club, tiré du compte Instagram éponyme à 800 000 abonnés (la compilation est parue en janvier 2020 chez Marabout). Moins technique mais couvrant un champ de possibilités plus large : Jouir, en quête de l’orgasme féminin, par Sarah Barmak (octobre 2019, éditions Zones, préface par votre humble servante). Et n’oublions pas le dernier paru : Sexploratrices, par Dalila Kerchouche (septembre 2020, chez Flammarion).
Troisième option : les réfractaires à la théorie passeront directement à la pratique, soit en « se caressant entre les jambes » jusqu’à l’illumination (ou l’endormissement), soit en orientant leurs expérimentations sur deux fronts.
Tout d’abord celui du désir, aiguillonné par le recours au fantasme, au partenaire, à la méditation, à des podcasts érotiques, ou aux abdominaux des héros sur Netflix. Ensuite en travaillant la technique elle-même du plaisir, quitte à comparer différentes textures, températures, positions, pressions… Certaines passent par des exercices de tantra, d’autres se lancent dans la musculation du périnée. Mais le plus important, c’est la patience. Il est normal de tâtonner, et normal que ça ne fonctionne pas immédiatement. Si votre cerveau a besoin d’un peu d’entraînement pour apprendre à faire des roues arrière sur une mobylette, il a besoin de quelques ajustements pour intégrer des nouveaux schémas de plaisir.
Mais bien sûr, la nature accepte volontiers les coups de pouce de la technologie. En 2021, la masturbation se branche sur secteur et se connecte au Wi-Fi. Elle peut vibrer, pulser, se tortiller. Les curieuses bénéficient d’un timing favorable : les soldes sexuelles coïncident avec la Saint-Valentin (comme chaque année). Mon choix : la toute nouvelle marque Romp, avec des produits de bonne qualité, pour la moitié du prix habituel.
Enfin, le conseil le plus important : pour (ré-) apprendre à se masturber, il faut désapprendre les contes de fées – et toutes ces poétiques formules nous encourageant à nous abandonner, à lâcher prise, à concéder la défaite, à embrasser notre passivité… Bref, à nous décharger de notre sexualité sur nos partenaires.
Autrefois, le prince charmant descendait de son cheval blanc, nous épousait et nous rendait « heureuse » (c’est la journée des euphémismes). Aujourd’hui, nous avons grandi. Les princes charmants aussi. Pour nous rendre heureuses, ils ont besoin de notre engagement et de notre enthousiasme. Ils ont besoin qu’on se réveille. Qu’on affronte nos propres dragons. Et qu’on prenne en main les rênes du plaisir.
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