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lundi 1 février 2021

«Il n’y a pas de problème de dette publique en France»

Par Jérôme Lefilliâtre — 31 janvier 2021

Au ministère des Finances, dans les murs de l'Agence France Trésor, le 12 janvier.

Au ministère des Finances, dans les murs de l'Agence France Trésor, le 12 janvier. Photo Denis Allard pour Libération

Membre du collectif des Economistes atterrés et coauteur du livre «la Dette publique», Eric Berr estime qu’elle n’est pas un fardeau pour les générations futures, contrairement au discours répandu.

Maître de conférences à l’université de Bordeaux, Eric Berr fait partie du collectif des Economistes atterrés, classé à gauche. Il est le coauteur de la Dette publique (Seuil), un «précis d’économie citoyenne» qui démonte le discours imposé sur le sujet depuis des années dans le débat public par les économistes néolibéraux.

Est-il possible d’annuler une dette publique ?

C’est tout à fait possible et cela a été fait à de nombreuses reprises dans l’histoire, notamment pour l’Allemagne en 1953, lors de la conférence de Londres, afin de ne pas répéter les erreurs commises après la Première Guerre mondiale avec le traité de Versailles. Dans le cas d’une annulation, le créancier décide d’exempter son débiteur de rembourser sa dette pour telle ou telle raison : cela a été le cas pour l’Irak après la chute de Saddam Hussein, dont les dettes étaient considérées comme odieuses, illégitimes, car contractées par un régime despotique. Lorsque, comme cela a été le cas de l’Argentine au début des années 2000 par exemple, c’est le débiteur qui décide de ne plus rembourser, on parle de répudiation.

Est-ce une solution envisageable en France après cette pandémie ?

En théorie, oui. Mais faut-il le faire aujourd’hui ? Je suis réservé. Je pense que cela enverrait un message brouillé, car il n’y a pas de problème de dette publique en France, comme nous le démontrons dans notre livre.

Ce serait nuire à la réputation de la France d’emprunteur solide ?

Cela reviendrait surtout à justifier le discours des économistes dominants qui défendent des politiques d’austérité. Pour eux, la dette publique est un moyen de pression pour pousser à des mesures d’économies. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, a dit récemment que la priorité était la réforme des retraites, avouant au passage que le but de cette réforme est de faire des économies, donc de réduire le niveau des pensions.

Pourquoi la dette publique française est-elle soutenable selon vous ?

Le premier argument est que l’Etat français, hors périodes de récession sévère, enregistre un excédent budgétaire si l’on enlève les dépenses d’investissement. L’Etat s’endette donc pour investir, pour préparer l’avenir, pas pour faire n’importe quoi ! Est-ce qu’on condamnerait une entreprise qui s’endette pour investir ? Le deuxième argument est le coût de la dette, qui est nul ou négatif en ce moment. Ce que l’on appelle la charge de la dette, c’est-à-dire la somme des intérêts à payer chaque année, a diminué de 14 milliards d’euros entre 2009 et 2019. C’est donc le moment d’investir massivement dans la transition écologique, la santé, l’éducation, la recherche… Enfin, contrairement à ce qui est souvent dit, encore dernièrement par le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, la dette publique n’est absolument pas un fardeau pour les générations futures. Cette affirmation est absurde parce qu’elle procède d’un regard biaisé. Face au passif qu’est la dette publique, il y a des actifs qu’elle a permis de financer : les routes, les écoles, les hôpitaux, des participations dans les entreprises publiques. On ne lègue pas aux générations futures une dette, mais un patrimoine public, qui est de l’ordre de 4 500 euros par personne ! Malheureusement, ce patrimoine public diminue : il était de 17 000 euros en 2007. En réalité, le fardeau pour les générations futures, ce sont les politiques d’austérité et les privatisations, pas la dette publique.

Mais n’y a-t-il pas un risque que les taux d’intérêt remontent un jour ?

Evidemment, si la BCE remonte ses taux d’intérêt, l’équation est différente. Mais je ne crois pas que cela se produira à un horizon de cinq ou dix ans. Les banques centrales remontent les taux pour lutter contre l’inflation. Or l’inflation est aujourd’hui très basse et le risque est plutôt la déflation. Remonter les taux d’intérêt reviendrait à aggraver la récession, alors que l’objectif évident est de remettre à flot nos économies.

Quand même, ne faut-il pas anticiper une possible remontée des taux ?

Bien sûr. Mais la dette publique est une réponse. Les dépenses d’investissement qu’elle permet de financer, si elles sont bien ciblées, vont générer des recettes pour l’Etat, car elles vont alimenter l’économie. C’est le fameux principe du multiplicateur de Keynes : quand l’Etat investit 1 euro, le PIB augmente de plus de 1 euro, ce que même le FMI reconnaît maintenant. Et tant que le taux d’intérêt réel (c’est-à-dire inflation déduite) est inférieur au taux de croissance, le poids de la dette publique rapporté au PIB diminue. Augmenter les taux d’intérêt irait donc à l’encontre de l’objectif recherché, qui est précisément de réduire le poids de la dette publique.

Vous expliquez que l’Etat peut faire «rouler» sa dette. Cela veut dire quoi ?

La vision des économistes néolibéraux est que la dette publique doit être gérée comme celle d’un ménage ou d’une entreprise. Or les deux n’ont rien à voir car l’Etat, lui, a une durée de vie infinie. S’il emprunte 100 euros à dix ans à 2 %, il va payer 2 euros d’intérêt tous les ans pendant dix ans. Et à la fin des dix ans, il doit rembourser 100. Mais s’il ne les a pas, il peut réemprunter 100 pour rembourser cette première somme, avec un nouveau taux d’intérêt. C’est cela, faire rouler sa dette. Jamais l’Etat ne remboursera l’intégralité de sa dette, alors qu’un ménage doit le faire. L’Etat doit seulement être en mesure de payer les intérêts de sa dette afin de garder la confiance de ses créanciers. Cela ne pose aucun problème aujourd’hui en France, a fortiori quand les taux d’intérêt sont nuls ou négatifs.

Le problème de notre époque vient-il plutôt du montant de la dette privée ?

Oui. S’il y a un problème de dette, c’est du côté de celle des ménages et des entreprises. La dette privée représente 150 % du PIB, contre 120 % pour la dette publique. Or les ménages et les entreprises ne peuvent pas faire rouler leurs dettes éternellement. C’est d’ailleurs l’une des grandes craintes des banques pour 2021 : revivre une grande crise, comme celle des subprimes en 2008, mais à plus grande échelle. Si les banques ont des défauts massifs de la part de leurs clients, elles-mêmes peuvent se retrouver en difficulté. Ce scénario catastrophe peut se reproduire si l’on fait les mêmes erreurs qu’après la crise financière de 2008, en conduisant des politiques d’austérité. Si l’on réduit les aides publiques et le chômage partiel, nombre d’entreprises vont faire faillite et nombre de ménages vont tomber dans la pauvreté. On rentre alors dans un cercle vicieux, avec moins de revenus dans l’économie, moins de consommation et d’investissement, moins de recettes fiscales. Face à cela, la seule solution est de soutenir l’économie, en recourant à l’intervention de l’Etat, donc à la dette publique. En temps de crise, tout le monde devient keynésien. Mais être vraiment keynésien, c’est l’être aussi hors période de crise.


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