Sur Google, les patients peuvent attribuer des notes à leur médecin pour évaluer les soins qu'ils leurs sont prodigués. Photo Emmanuel Pierrot pour Libération
Sur Internet, les commentaires négatifs laissés par les patients sur les professionnels de santé posent la question plus vaste de l'évaluation de la qualité des soins en France.
Les soins médicaux sont-ils des biens de consommation comme les autres ? A l’image de ce qui se fait pour les restaurants ou les hôtels, de nombreux professionnels de santé sont désormais référencés et notés sur Google. Des avis consultés en premier lieu par les usagers de la plateforme de prise de rendez-vous en ligne Doctolib, qui elle se refuse catégoriquement à proposer cette option. «A fuir ! Médecin hyper désagréable, ne vous écoute pas et vous dit qu’elle n’a pas le temps», «Je déconseille fortement. Prendre RDV à 19 h 15. Passer 1 h 30 après et payer les honoraires alors qu’elle discute tranquillement dans son bureau, c’est honteux !», «Locaux très agréables et tarif dans la norme»… Les commentaires, tantôt élogieux tantôt assassins et souvent anonymes, sont censés aider les patients potentiels à choisir leurs praticiens.
Un système de bons et de mauvais points pas vraiment du goût de certains professionnels : au printemps, un psychiatre de Moselle assigne le mastodonte Google en justice. Il requiert la suppression de la fiche de son cabinet sur le moteur de recherche, des commentaires négatifs qui y figurent et la levée de l’anonymat desdits commentateurs. Mardi 16 juillet, le tribunal de grande instance de Metz déboute le médecin. Les propos dont il est question sont licites et ne peuvent pas faire l’objet d’un retrait. Ils ne relèvent ni de l’injure, ni de la diffamation ou d’une provocation à la discrimination, la haine ou la violence. Par cette décision, la liberté d’expression et l’intérêt légitime d’informer le consommateur priment.
Mais «la médecine n’est pas un business», objecte Stanislas Niox-Château, cofondateur de la plateforme de prise de rendez-vous en ligne Doctolib, invité du Café nile, un think tank de santé, en février dernier. Analyse que partage Catherine Grenier, la directrice de l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins au sein de la Haute Autorité de santé (HAS) : «L’exercice médical est une activité complexe, à aléas. On ne maîtrise pas toujours le résultat. Il ne se régule pas de la même manière.» Le professeur Stéphane Oustric, délégué général aux données de santé au numérique du Conseil national de l’ordre des médecins, précise : «Un praticien agit dans le cadre de la santé publique. Il garantit le secret médical. Entre patient et médecin, une relation de confiance réciproque se crée.»Alors comment concilier cette confiance réciproque, secret médical qui empêche les médecins de répliquer et libre critique des patients ?
«Notre société fonctionne comme ça»
Gérard Raymond, le président de France assos santé, le collectif qui réunit les associations d’usagers du système de santé, est résigné : «Aujourd’hui, notre société fonctionne comme ça : on attribue des notes !» Il reconnaît «une dérive», avant de s’interroger : «Sur quels critères on se fonde ?» Zeynep Or, économiste et auteure d’une étude sur la mesure de la qualité des soins en France, le rejoint : «C’est un phénomène de l’époque.» Selon cette chercheuse, «la plupart des commentaires sont plutôt sensés. C’est subjectif, mais affirmer par exemple que le temps en salle d’attente est trop long, ça a du sens selon moi».
«En France, on a l’impression qu’évaluer signifie sanctionner mais l’évaluation a pour but de faire évoluer le système vers plus de qualité», constate Gérard Raymond, représentant des patients. «Culturellement, c’est plus acceptable d’évaluer un établissement plutôt qu’une personne», complète Catherine Grenier de la HAS. Pour Stéphane Oustric, du Conseil national de l’ordre des médecins, on prend le problème à l’envers : «On parle de cette affaire mais on ne parle pas des millions d’autres affaires qui n’existent pas parce que les médecins travaillent bien.»
Questionnaires de satisfaction
La Haute Autorité de santé met en œuvre plusieurs dispositifs pour évaluer la qualité des soins. Elle le fait à partir de données cliniques, mais mesure également la satisfaction des patients par le biais de questionnaires. La plupart de ces outils sont principalement déployés dans les établissements de santé et parfois dans la médecine de ville en fonction de certaines thématiques, par exemple la prise en charge de la douleur. Ces indicateurs sont ensuite utilisés dans la certification des établissements de santépour l’information des usagers.
Dans son étude, Zeynep Or a travaillé sur le concept de qualité des soins. Elle explique qu’il prend notamment en compte la sécurité du patient, c’est-à-dire le fait de ne pas lui nuire, l’efficacité du soin (l’obtention de résultats) mais aussi la satisfaction du patient. «Pendant longtemps, on a prétexté que l’expérience du patient était hors sujet, mais cela fait partie de la qualité des soins et ce n’est pas anecdotique», témoigne l’économiste.
Pour Catherine Grenier de la HAS, «tout ce qui fait prendre conscience à la population qu’elle doit donner son avis va dans le bon sens». Ce qui n’est pas sans rappeler les avis laissés sur Google. Sur Internet, les commentaires permettent aux patients de s’exprimer. Avec une difficulté : l’absence de contrôle. Ce qu’ils disent est-il vrai ou mensonger ? Difficile de faire le tri.
«Laisser la main aux réseaux sociaux n’est pas la solution»
Reste qu’aujourd’hui, le patient ne dispose pas de démarche organisée par l’Etat pour donner son avis sur la pratique d’un médecin. «On envoie des questionnaires en cas d’hospitalisation par exemple», note Catherine Grenier. Mais pas d’autres moyens de donner son avis de manière volontaire. Il existe toujours la possibilité de déposer plainte en justice ou devant l’ordre. Mais qu’en est-il du simple avis ? Selon Catherine Grenier, c’est un enjeu national : «Laisser la main aux réseaux sociaux n’est pas la solution.» Elle suggère de confier ce travail à une autorité indépendante. «On n’évaluera pas notre système avec les cinq étoiles de Google», confirme Gérard Raymond, de France assos santé.
Le professeur Stéphane Oustric, de l’ordre des médecins, lui, mise sur la création du dossier de santé numérique : «Pourquoi ne permettrait-il pas de faire un retour d’expérience des patients par exemple ?» interroge le médecin, pour qui la priorité est de réguler les Gafa. L’économiste Zeynep Or, elle, préconise «des questionnaires de satisfaction» proposés par les médecins eux-mêmes. «Aujourd’hui, la seule façon de lutter contre les dérives consiste à produire sa propre information.»
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