Un an après le début de l’affaire Weinstein et du mouvement qui a suivi, lecteurs et lectrices du Monde reviennent sur cette libération de la parole.
Après des années en couple, Yasmine s’est enfin départie de son« sentiment de culpabilité » : elle ose désormais dire à son compagnon quand elle « n’a pas envie de coucher » avec lui. Hélène, 38 ans, n’hésite plus à « recadrer » ses collègues masculins au moindre « comportement misogyne ». Alors qu’elle faisait son marché, un matin de septembre, à Paris, Alice, 22 ans, raconte avoir été « secourue » par une mère de famille qui avait aperçu la main baladeuse d’un passant se poser sur ses fesses. « C’est puni par la loi maintenant, alors que je ne vous voie plus recommencer, sinon j’appelle la police ! », lui avait-elle lancé.
Autant de récits qui dessinent « l’après Weinstein ». Un an après le déclenchement de l’affaire, Le Monde a lancé un appel à témoignages, en posant une question aussi simple que large : qu’est-ce que le mouvement #MeToo a changé pour vous ? Un premier constat s’impose : ce sont les femmes qui ont pris la parole en octobre 2017 et, un an plus tard, ce sont encore elles qui ont répondu à notre appel et qui se sentent concernées par la question, à quelques exceptions masculines près.
Un an après les premières révélations sur Harvey Weinstein, qui était alors le producteur le plus puissant d’Hollywood, l’heure semble être encore à la prise de conscience. Les femmes n’ont pas oublié ce « tournant » survenu à l’automne 2017, qui a permis de « débanaliser » et de « conscientiser » la « violence » de nos sociétés patriarcales.
Aujourd’hui encore, elles ressentent le besoin de témoigner : parler de ces gestes déplacés qu’elles regrettent d’avoir trop souvent laissés impunis ; raconter ces agressions qu’elles avaient « enfouies » dans la mémoire et que l’affaire Weinstein à fait « remonter à la surface », et rappeler le flot de questions non résolues qui accompagne cette prise de conscience : « Pourquoi autant de résignation toutes ces années ? » ; « Pourquoi si peu de soutien autour de moi ? » ; « Dois-je porter plainte ? » ; « Dois-je en parler ? »
« Je me sens plus légitime à réagir »
« Avec #MeToo, tout d’un coup, des expériences individuelles et vécues comme telles sont devenues une expérience collective », résume Rachel, une trentenaire élevée par une mère féministe. Pour de nombreuses femmes, « cet élan collectif » a d’ailleurs donné lieu à un « réajustement du quotidien ». « Aujourd’hui, je me sens plus légitime à réagir à des situations qui me dérangent, comme des dragues lourdes ou des regards appuyés, sans m’excuser ou me sentir impolie », fait savoir Léa, Parisienne de 27 ans, pour qui « la norme s’est déplacée ».
A l’unisson, les femmes et les hommes qui ont répondu à notre appel assurent intervenir davantage lorsqu’ils constatent des violences sexistes. Un soir de printemps, à Nice, alors qu’un homme, « visiblement aviné », « importunait deux jeunes femmes », Antoine raconte ainsi s’être interposé, faisant croire qu’il les connaissait, en s’excusant pour son retard. Hélène, 26 ans,« n’hésite plus » à intervenir dans la rue lorsqu’elle voit un « couple s’invectiver » — elle « demande seulement à la femme si tout va bien ».
« Cela fait trente ans que je supporte ça, maintenant, c’est fini », a répondu Laetitia, 42 ans, à un homme qui estimait qu’elle« exagérait » d’être intervenue avec virulence contre « un homme qui agressait deux femmes au parc des Buttes-Chaumont », à Paris. De nombreuses femmes, comme Léa, font également part d’un sentiment de sororité plus ancré depuis le début du mouvement #MeToo :
« J’évite par exemple les réactions déplacées, comme minimiser les faits lorsqu’une femme dénonce une agression. J’évite aussi toutes les injonctions à porter plainte ou à réagir de telle ou telle façon, car la réalité est plus complexe. »
C’est le « réconfort d’avoir été accompagnée par la cohorte de [ses] semblables », que décrit Gabrielle, 58 ans. « Une solidarité douce-amère, bâtie sur la violence subie et la soumission imposée. » Christelle, 49 ans, tient à « remercier » celles qui ont« osé prendre la parole » et qu’elle appelle ses « compagnes d’infortune ». Pour Sarah, 37 ans, ces valeurs d’égalité doivent aussi se transmettre entre générations. « J’essaie au maximum de dispenser à mes enfants une éducation qui aille dans ce sens et de déconstruire auprès d’eux les stéréotypes qui conduisent au sexisme », confie la mère de famille.
Agir pour plus d’égalité
Pour certaines, cette libération de la parole a eu des répercussions concrètes sur leur vie quotidienne, pas toujours heureuses. Marlène, 35 ans, vivant dans le New Jersey, aux Etats-Unis, a mis en place à son travail « un réseau de femmes » pour discuter entre elles des barrières insidieuses empêchant leur progression dans l’entreprise de construction.
Le mari d’Andrea, lui, « n’a pas supporté » son « émancipation tardive », faites de « revendications féministes ». Il est parti. Signe que le chemin vers plus d’égalité reste long et sinueux. La majorité des hommes ayant répondu à notre appel à témoignages défendent encore la « séduction à la française ». « J’ai bien l’intention de continuer à me comporter comme un homme doit se comporter avec les femmes, […] en ne me privant pas de faire des compliments si l’occasion se présente », commente Alexandre. Guillaume, 18 ans, juge, lui, que ce mouvement de libération de la parole a « débordé », si bien qu’il « n’ose plus faire de la drague de rue ».
Dans l’espace public, de nombreuses femmes évoquent toujours un « sentiment d’insécurité », qui les incite par exemple à « porter des vêtements amples » et des « chaussures souples pour courir ». « Combien détournent encore le regard face à une agression ? », interroge Antoine, 29 ans. « Pour moi, #MeToo n’a rien changé, il a juste révélé un machisme quotidien », résume, désillusionnée, Julia, 26 ans.
Pour Nadine, 49 ans :
« Les femmes continuent à minimiser ce qu’elles ont vécu ou vivent encore. Le silence et la honte continuent de faire taire les victimes. »
Ou comme le résument une grande partie des personnes ayant répondu à notre appel à témoignages : « Le chemin est encore long. »
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