| 30.08.2018
Crédit Photo : S. Toubon
Presque la totalité des personnes sans domicile fixe (SDF) souffrant de schizophrénie ou de troubles bipolaires ne reçoit pas un traitement approprié, démontre un article de Guillaume Fond et coll. publié dans « Progress in Neuropsychopharmacolgy & Biological Psychiatry ». L'étude multicentrique, randomisée, porte sur 705 patients, des hommes à 83 %, de 38 ans en moyenne, recrutés dans le cadre du programme « Un chez soi d'abord ».
À Paris, Marseille, Lille et Toulouse
Inspiré des expériences américaines et canadiennes, expérimenté depuis 2011 à Paris, Marseille, Lille et Toulouse, le dispositif dirigé par le Dr Aurélie Tinland propose à des SDF souffrant de pathologies psychiques ou d'addictions l'accès gratuit à un logement, comme préalable à leur rétablissement. Parmi les 703 participants de l'étude, 70 % étaient atteints de schizophrénie, 30 % de bipolarité.
Au moins un parmi les trois critères suivants constitue un traitement inadapté : l'absence de traitement de fond (antipsychotiques pour la schizophrénie et thymo-régulateurs pour le trouble bipolaire) ; l'absence d'antidépresseur pour les personnes souffrant de dépression majeure - comorbidité très fréquente de la schizophrénie ; et une prescription au long cours d'anxiolytiques ou d'hypnotiques.
Près de 90 % des patients SDF de l'étude (619) remplissent au moins un de ces trois critères. Ils sont 60 % à ne pas recevoir de traitement de fond, et jusqu'à 82 % chez les bipolaires (et 43 % des schizophrènes n'étaient pas sous antipsychotiques). Près de la moitié (48 %) a une prescription inadéquate d'antidépresseurs, 46 %, d'anxiolytiques, et 15 % d'hypnotiques.
« L'absence de traitement de fond peut s'expliquer par la réticence des patients à les prendre. Ils ont plutôt tendance à demander des anxiolytiques et des somnifères dont les effets secondaires sont pourtant néfastes (risque de dépendance, chutes, troubles cognitifs, désinhibition, augmentation de l'agressivité, etc.), mais que les psychiatres peuvent leur prescrire pour essayer d'établir une alliance thérapeutique », explique au « Quotidien » le Dr Fond, principal auteur.
Bipolaires et dépressifs mal repérés
Les résultats montrent un lien significatif entre une prise en charge inadéquate et un diagnostic de troubles bipolaires et de dépression caractérisée, et dans une moindre mesure, avec la non-compliance et le manque de temps médical.
L'étude met en lumière les carences dans le diagnostic et le suivi des patients souffrant de dépression caractérisée, qui représente plus de la moitié des participants (55 % soit 64 % des bipolaires et 51 % des schizophrènes). Seulement 13 % d'entre eux sont sous antidépresseurs. En cause : la difficulté à établir le diagnostic de dépression, à la distinguer d'une simple conséquence de la vie dans la rue. L'étude montre aussi que ceux présentant un trouble de la personnalité antisociale ou un profil toxicomaniaque sont moins bien traités pour une dépression associée à un trouble psychiatrique.
La sous-prescription d'antidépresseurs peut aussi s'expliquer par les débats autour de l'efficacité des antidépresseurs chez les patients bipolaires et le risque de virage maniaque, lit-on. « Néanmoins, ils peuvent aider à réduire les symptômes dépressifs », indique le Dr Fond, d'autant que les traitements non pharmacologiques sont difficiles à mettre en œuvre auprès de ces populations.
Repenser le programme de soins ?
Pour relever le défi d'une bonne prise en charge des troubles psychotiques chez les SDF, plusieurs pistes sont à explorer, selon le Dr Fond. Sur le plan médical, un meilleur diagnostic des troubles bipolaires et de la dépression caractérisée est une priorité, ainsi que la réduction des prescriptions d'anxiolytiques et d'hypnotiques.
Une enquête qualitative doit être menée auprès des psychiatres et travailleurs sociaux au contact de cette population pour mieux comprendre les besoins et caractéristiques de ces patients.
Le Dr Guillaume Fond propose aussi de « réfléchir à un nouveau cadre légal qui permette aux psychiatres d'administrer des traitements à un patient qui n'aurait pas conscience de son trouble, aux retentissements pourtant graves sur son quotidien », hors des motifs de l'urgence vitale ou du péril imminent déjà prévus par la loi sur les soins psychiatriques sans consentement. « Certes, cela génère un débat éthique, car c'est une privation de liberté, mais l'aliénation mentale n'est-elle pas une privation de liberté ? », interroge-t-il.
Enfin, la discussion devrait être ouverte avec les décideurs pour développer le programme « un chez soi d'abord ». Les résultats d'une comparaison de deux ans entre les patients bénéficiant d'un logement gratuit, et ceux allant d'hébergement d'urgence en hébergements d'urgences, sur les bénéfices en terme sanitaire mais aussi économique, devraient bientôt être publiés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire