- HOSPIMEDIA
Alors que la médecine compte de plus en plus de femmes dans ses rangs, à l'inverse, certaines professions paramédicales, historiquement féminines, forment désormais des hommes. La preuve de plus d'égalité entre hommes et femmes dans les professions de santé ? Pas tout à fait. En témoigne le vocabulaire utilisé pour nommer ces métiers...
Des infirmières qui accueillent de plus en plus d'infirmiers dans leurs rangs. Des facultés de médecine où les étudiantes sont de plus en plus nombreuses. Les évolutions récentes au sein des professions de santé bouleversent les codes. Reflètent-elles une plus grande égalité entre hommes et femmes pour autant ? "A priori seulement, indique le Dr Marie-José Del Volgo, directrice de recherches en psychopathologie à l'université d'Aix-Marseille (Bouches-du-Rhône) et praticien hospitalier à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM). Dans les faits c'est plus compliqué..."
Une division sexuelle du travail
Il est difficile d'analyser la féminisation comme la masculinisation des professions soignantes et médicales au travers d'un même prisme, tant leur diversité est grande, explique en préambule Sophie Divay, "maîtresse" de conférences — comme indiqué sur sa carte de visite — en sociologie au sein du Centre d'études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations, à Reims (Marne). "Les "soignants", cela regroupe tout un tas de gens, de catégories différentes. La division sexuelle n'y est ni plus ni moins forte qu'ailleurs. À une exception près : les infirmières. Faut-il dans ce cas utiliser le terme générique au féminin ?", réfléchit Sophie Divay. La sociologue évoque notamment le cas des articles scientifiques où "le masculin revient de temps à autre. Les auteurs vont dire "infirmière", mais justifier par un astérisque l'usage du féminin".
Au quotidien, parmi les intéressées elles-mêmes, la question n'est pas tranchée. "Les femmes ont tendance à vouloir féminiser le nom de leur profession, par exemple une chirurgienne ou même professeure. Elles insistent pour qu'on respecte le genre", explique Marie-José Del Volgo. "Il est vrai que pour les infirmières, elles sont tellement majoritaires, qu'elles n'en ont pas besoin", sourit la praticienne. La profession elle même revendique régulièrement l'usage du féminin dans ses slogans lors des manifestations par exemple.
"La question s'est posée de savoir comment appeler les hommes qui sont "sages-femmes". Et bien on a décidé de garder plutôt le terme de sage-femme pour le nom de l'ordre par exemple"Dr Marie-José Del Volgo, directrice de recherches en psychopathologie.
Couramment le terme féminin "les infirmières" est ainsi utilisé pour désigner l'ensemble de la profession. Même si un individu isolé, un professionnel "homme", est naturellement dénommé infirmier. Un usage logique ? "Pas tant que ça. Prenons une autre profession, les sages-femmes par exemple", poursuit Marie-José Del Volgo. Un métier dont l'histoire est essentiellement féminine. "La question s'est posée de savoir comment les appeler quand on a introduit les hommes dans la formation. Et bien on a décidé de garder plutôt le terme de sage-femme, pour le nom de l'ordre par exemple", poursuit la spécialiste. Le terme maïeuticien, s'il existe bien, semble peu souvent usité.
Mais alors quel terme utiliser lorsque l'on veut qualifier l'ensemble d'une profession à forte majorité féminine ? "Je crois que cela reste dans notre culture de dire les infirmières et les aides-soignantes", reconnaît Marie-Josée Del Volgo. Et pour la spécialiste, tout cela est loin d'être anodin ou "innocent". "Il s'agit à mon avis de mettre le genre à sa place. Les femmes s'occupent plus du soin", poursuit-elle. Le soin appartiendrait ainsi "au sens quasiment biologique, aux femmes". Tandis que les autres aspects de la médecine, plus techniques ou qui relèvent de l'enseignement, appartiendraient donc eux à une dimension plus masculine, plus proche du domaine médical. Un point de vue partagé par Sophie Divay : "Être femme, être infirmière, c'est être une exécutante. Une auxiliaire médicale, par conséquent au service du médecin "homme"." "Le soin aurait-il mauvais genre ?", ironise d'ailleurs Marie-José Del Volgo.
Vers un nouvel idéal ?
Et Sophie Divay de souligner de son côté que ce sont d'ailleurs les spécialités plus "techniques" de la profession infirmière qui attirent le plus d'hommes. "Vous trouverez beaucoup plus d'hommes chez les infirmiers anesthésistes diplômés d'État (Iade) que chez les puéricultrices", souligne-t-elle. Une logique "genrée" donc. À tel point que certains spécialistes utilisent le terme de "division sexuelle du travail".
"Être femme, être infirmière, c'est être une exécutante. Une auxiliaire médicale, par conséquent au service du médecin "homme."Sophie Divay, sociologue au Centre d'études et de recherches sur les emplois et les professionnalisations.
Mais les choses évoluent : plus de la moitié des étudiants accédant aujourd'hui en deuxième année de médecine sont des étudiantes. L'arrivée massive, depuis plusieurs années, de femmes dans une profession historiquement masculine révolutionnera-t-elle ces visions et préjugés ? Pour Marie-José Del Volgo, c'est avant tout la société et ses valeurs qui changent. "Globalement, on est dans une période où les valeurs qui comptent sont celles qui sont plus du côté de la virilité, de la masculinité — même si je n'aime pas utiliser ces termes qui sont réducteurs. Il s'agit d'une société plus offensive, qui repose sur la performance", détaille-t-elle.
Une évolution qui explique pour la spécialiste que les infirmières par exemple évoluent vers un nouvel idéal des professions de santé. Un univers décrit comme plus technique. "Par exemple la masterisation et le fait de rédiger des mémoires de recherches, des statistiques, etc. montrent que notre culture pousse du côté des valeurs qui sont souvent représentées comme celles de la masculinité", illustre Marie-José Del Volgo. Selon elle, ce glissement se fait parfois, voire souvent, au détriment des valeurs féminines, "dans leur sens positif". De ce point de vue, la féminisation d'une profession, ne va donc pas dans un sens d'épanouissement des femmes et "ne change pas l'essence même de la profession, puisque ce sont les femmes qui adoptent finalement des valeurs différentes".
Faut-il compenser en insistant sur la place des femmes et en féminisant systématiquement les noms de profession ? "Que gagnerait-on à la féminisation ? Je ne sais pas, peut-être à déconstruire des stéréotypes. Mais il faudrait faire attention à appliquer la méthode partout, dans tous les secteurs", répond Sophie Divay. Le risque ? Que des "bastions" féminins soient masculinisés sans la réciproque pour les bastions masculins, qui sont pourtant beaucoup plus nombreux, "alors, les femmes seraient perdantes".
Une médecine et des soins... humains
La solution ? Une médecine, au-delà des sexes, qui soit tout simplement plus humaine. "Homme ou femme, peu importe. Fondamentalement, la féminisation ne changera pas grand chose si l'on ne change pas notre manière de voir les choses. Le besoin n'est ni d'être masculin ni féminin, mais humaniste avant tout", insiste Marie-José Del Volgo.
Pour Sophie Divay, ces questions doivent être traitées dès la formation. "Alors que dans l'Éducation nationale, on a commencé à se saisir de la question des genres, dans les instituts de formation, le sujet semble tabou", reconnaît-elle. Sans doute parce que "les formatrices" n'ont pas elles-mêmes étaient sensibilisées pendant leur propre cursus. "Il faudrait vraiment que les questions de genre soient inclues dans la formation des professionnels de santé. Pas seulement parce que les soignants sont des hommes et des femmes, mais aussi parce que les patients en sont. Cela ne pourrait qu'améliorer la qualité des prises en charge", conclut Sophie Divay.
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