Deux études récemment publiées, l'une par l'AP-HP, l'autre par l'ORS Bretagne, montrent que le passage dans les services d'urgences des personnes ayant tenté de se suicider peut se révéler un épisode privilégié pour entrer dans les soins. Ces passages peuvent permettre des accompagnements à même de prévenir la récidive suicidaire.
Hasard du calendrier, deux études différentes, venant toutes deux de paraître, sur la prise en charge des personnes ayant fait des tentatives de suicide et étant passées par les urgences montrent les enjeux qui s'attachent à cette entrée dans les soins pour prévenir les risques de récidive. En premier lieu, une étude* pilote a ainsi récemment été menée par les équipes du groupement hospitalier de territoire (GHT) Paris-psychiatrie et neurosciences (secteurs du 17e et 18e arrondissement) et du service des urgences de l’hôpital Bichat-Claude-Bernard, annonce l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) dans un communiqué le 10 avril. Les résultats, publiés dans la revue Psychiatry research, ont été obtenus auprès de 168 patients vus à la suite d'une tentative de suicide par les équipes des urgences psychiatriques. À terme, souligne l'AP-HP, "la généralisation de ce projet à différents services d’urgences parisiens pourrait permettre de mieux adapter la prise en charge de ces patients et les stratégies de prévention de la récidive".
Parcours distincts pour "primo-suicidants" et "récidivistes"
Parmi les 168 patients volontaires inclus (dont deux tiers de femmes), les chercheurs ont distingué deux groupes de patients à haut risque suicidaire. D’une part, les récidivistes (51%), qui ont été comparés aux primo-suicidants. D’autre part, les patients dont le principal motif de passage à l’acte est "la volonté de mourir" (36 %), qui ont été comparés à ceux invoquant tout autre motif tel que "l’appel à l’aide, le besoin de soins, de repos, de mise à distance ou la volonté d’adresser un message à leur entourage".
Les résultats n’ont pas mis en évidence d’association entre la récidive et la volonté de mourir et suggèrent, au contraire, que ces deux groupes de patients pourraient présenter "des profils cliniques et des parcours de prise en charge distincts", explique l'AP-HP. Les diagnostics d’épisode dépressif caractérisé ou de symptômes psychotiques "ne permettaient pas de caractériser ces deux groupes de patients". Mais, comparés aux primo-suicidants, les récidivistes sont plus nombreux à avoir déjà bénéficié d’une prise en charge psychiatrique/psychologique au cours des six derniers mois et à avoir déjà été hospitalisés en psychiatrie. "Ce n’était pas le cas des patients ayant souhaité mettre fin à leurs jours", poursuit l'établissement. Mais ces patients rapportent pourtant plus d’idées suicidaires au cours du mois précédant le passage à l’acte. Après leur passage aux urgences, ces derniers sont d’ailleurs plus souvent hospitalisés dans un service de psychiatrie, que suivis en ambulatoire. "Pour ces patients en particulier, le passage aux urgences pourrait donc être un point d’entrée dans le système de soins", est-il souligné. Leur venue et, éventuellement, "leur hospitalisation subséquente, représenteraient ainsi des moments privilégiés pour prévenir les idées suicidaires et la récidive".
Des stratégies de prévention différentes selon les profils
Les auteurs précisent que ces résultats demandent "à être répliqués de manière plus large mais qu’ils témoignent d’ores et déjà de la nécessité de ne pas considérer les patients suicidants comme un groupe homogène, tant dans les études épidémiologiques que dans la mise en place de stratégies de prévention". Ils encouragent également à accorder "plus d’attention aux trajectoires de soins des patients à haut risque suicidaire" et à adapter en conséquence la prise en charge.
Par ailleurs, l'Observatoire régional de santé (ORS) de Bretagne a diffusé dans sa lettre d'information d'avril 2017, une étude sur les tentatives de suicide prises en charge dans les services d’urgence des CH de Guingamp, Lannion et Paimpol, soutenue par la Fondation Bon-Sauveur à Bégard (Côtes d’Armor) et l'ARS Bretagne. Un recueil de données exhaustif et pérenne concernant les tentatives de suicide prises en charge au sein des urgences des trois hôpitaux s’est donc mis en place à partir du 1er janvier 2011. Dans ce cadre, l’ORS a réalisé l'analyse du recueil effectué sur 2011-2015. Cette étude visait à mesurer l’incidence et son évolution dans le temps des tentatives de suicide prises en charge par les services. Il s'agissait aussi d’étudier les profils et les modalités de prise en charge des patients en portant une attention particulière au phénomène de la récidive et d’évaluer l’impact d’une action de prévention de la récidive mise en place au sein des trois services d’urgence.
Efficacité des CMP-CMPEA et des protocoles de suivi
L'étude diffusée par l'ORS indique que près de huit patients hospitalisés sur dix se sont vus proposer ou organiser une orientation par les équipes psychiatriques à l’issue de leur prise en charge initiale. Le plus fréquemment, ils ont été orientés auprès du centre médico-psychologique (CMP), du centre médico-psychologique pour enfants et adolescents (CMPEA) et/ou d’un psychiatre. De plus, un protocole de suivi a été mis en place par les équipes psychiatriques des trois hôpitaux, pour les volontaires. Ce protocole a concerné à la fois des rappels téléphoniques auprès des médecins traitants et du patient. "L’observation des récidives six mois ou douze mois après l’inclusion des patients dans la cohorte fait apparaître un impact significatif des modalités de suivi sur la survenue ou non d’une récidive", souligne l'ORS. Et les suivis engagés par les CMP-CMPEA s’avèrent "d’une efficacité sensiblement supérieure au suivi via le protocole de rappel téléphonique des patients". L’absence de suivi ou de "la survenue d’un évènement intercurrent constituant pour leur part les situations les plus défavorables" à la survenue d’une récidive. L'ORS souligne donc pour finir que "c’est bien les différentes possibilités offertes aux patients (CMP-CMPEA ou protocole de suivi), selon leurs souhaits et leurs possibilités qui contribuent à l’efficacité finale des prises en charge en terme de prévention de la récidive".
* Étude menée sous la coordination du Dr David Duroy, du Pr Enrique Casalino et du Pr Michel Lejoyeux, tous trois professeurs d'université au sein de l'unité de formation et de recherche (UFR) de médecine de l'université Paris-Diderot.
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