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samedi 15 avril 2017

Gilles Dowek, un maître en logique porté par le hasard

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par 

Gilles Dowek en 2014.

Le croirez-vous ? Par hasard, on peut devenir chercheur en informatique. Par hasard, on peut contribuer à introduire une réforme importante dans les programmes de l’enseignement. Par hasard, on peut être ­honoré d’un prix de philosophie par l’Académie des sciences…

C’est ainsi qu’humblement Gilles Dowek, ­directeur de recherche à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et professeur associé à l’Ecole normale supérieure Paris-Saclay (ex-ENS Cachan), ­résume quelques facettes de son parcours. ­Hasards, vraiment ? « Gilles est quelqu’un de vraiment brillant », souligne Serge Abiteboul, autre chercheur en informatique avec qui il a écrit son nouveau livre, Le Temps des algorithmes (Le Pommier, 192 p., 17 euros).


Brillant et plutôt précoce. Passionné de science, Gilles Dowek, aujourd’hui 50 ans, écume, collégien, les couloirs du Palais de la découverte, à Paris. Fils d’un ingénieur et d’une orthophoniste, il se souvient de l’affiche d’une exposition consacrée à Albert Einstein, en 1979, qu’il a longtemps gardée dans sa chambre. Il découvre lors d’une de ses visites l’existence d’une compétition informatique, le prix de l’entreprise Philips, à laquelle il participe en écrivant un programme de Mastermind, jeu consistant à deviner une combinaison de couleurs de l’adversaire. A moins de 16 ans, il finit troisième de la finale européenne. 

Premier coup du sort : dans le jury de la sélection française, un académicien le ­recommande pour un stage à un informaticien de l’Inria. « J’ai passé mes vacances de Noël 1982 dans ce labo à tester mes algorithmes sur autre chose que mon ordinateur familial de 1,6 kilo-octet de mémoire », se souvient-il.


« Des démonstrations sans explication »


Son parcours est ensuite classique : bac à 17 ans, classes préparatoires à Louis-le-Grand, à Paris, entrée à l’Ecole polytechnique à moins de 19 ans. « Pour moi, l’informatique, c’était ­rigolo et pas vraiment de la science », note-t-il en ajoutant que les cours de l’X lui paraissaient un peu absurdes, une sorte de passage obligé, « mais néanmoins utiles ». Pour sa thèse, il retrouve le maître de stage de ses 16 ans, Gérard Huet.

Gilles Dowek choisit alors de se lancer dans les pas des pionniers de l’informatique, Kurt Gödel, Alan Turing ou Alonzo Church. « Je pressentais que l’ordinateur allait changer la manière de faire de la logique », explique le chercheur. Il est convaincu que le calcul, c’est-à-dire une suite d’opérations logiques, peut se substituer au raisonnement du mathématicien pour aboutir, par exemple, à démontrer « automatiquement » des théorèmes. De tels exemples existent déjà, comme la preuve du théorème des quatre couleurs (il est possible de colorier une carte avec quatre couleurs sans que deux régions juxtaposées aient ­jamais la même) ou de celui sur l’empilement compact de sphères. Gilles Dowek est de ceux qui pensent que le mouvement s’étendra. « Le calcul change la notion de preuve. Il peut fournir dans certains cas des démonstrations sans explication, ce qui pose évidemment des difficultés », prévoit-il.

En attendant, il a contribué à faire progresser la vérification automatique de preuves. « Dans les programmes, il y a souvent des bogues, des erreurs… Il faut donc élaborer des systèmes pour les éviter », résume-t-il, pointant qu’il est né l’année même où le mathématicien Nicolaas Govert de Bruijn a commencé à développer le premier logiciel à vérifier des preuves.

Après sa thèse, un nouveau hasard conduit Gilles Dowek à diversifier son action. Lors d’un postdoc aux Etats-Unis, il lit beaucoup, poursuivant son goût pour la vulgarisation développé grâce à la revue du Palais de la découverte. A son retour en France, un ami lui parle d’une collection dirigée par Michel Serres. Le voilà embauché pour rédiger des chapitres du Trésor. Dictionnaire des sciences, paru en 1997 chez Flammarion et piloté par le philosophe des sciences. Le virus de l’écriture ne le lâche plus. Un livre sur la logique, un autre sur les sondages, des chroniques mensuelles dans le magazine Pour la Science… En 2007, ses Métamorphoses du calcul (Le Pommier) reçoivent le prix de l’Académie des sciences en… philo­sophie. « L’éditeur m’avait demandé de me ­sentir libre et de faire un essai plutôt qu’un ouvrage de vulgarisation », s’excuse presque Gilles Dowek, savourant ce énième coup du sort.

« Il sait s’adresser à chacun de façon appropriée », souligne Claude Kirchner, directeur de recherche émérite à l’Inria. Devant des ­lycéens, il expose la puissance du calcul pour des démonstrations en montrant comment dresser la liste exhaustive des solutions au jeu de solitaire. Cela lui vaudra, en 2000, le Grand Prix d’Alembert des lycéens, décerné par la ­Société mathématique de France. « Et sans doute mon poste de professeur à l’X », remarque Gilles Dowek. Il n’avait pas hésité auparavant à donner des cours de maths dans des squats avec le généticien et philosophe Albert Jacquard. « Gilles est dans la catégorie des gens qui rendent intelligents. Il possède une vision à la fois large et profonde des sujets », complète Claude Kirchner, qui siège avec lui à la Commission de réflexion sur l’éthique de la recherche en sciences et technologies du numérique d’Allistene (Cerna). Une casquette de plus, où sa double culture de philosophe et d’informaticien profite aux groupes de travail sur les questions éthiques que posent les robots, l’intelligence artificielle ou les algorithmes.


Controverse philosophico-mathématique


Gilles Dowek se pose également des questions plus fondamentales. « Le monde est-il ­simulable par un ordinateur ? La nature calcule-t-elle ? », lance-t-il, en faisant référence à une hypothèse inspirée de travaux d’Alonzo Church menés dans les années 1930-1940. ­Selon celle-ci, tout système physique pourrait être simulable par une machine. Autrement dit, toutes les lois de la nature (y compris, donc, les lois de la gravitation, de la relativité, de la mécanique quantique) pourraient s’exprimer en termes de calcul et d’algorithmes. Une hypothèse très forte, déjà démontrée par exemple pour la loi de la chute des corps de Galilée. « Je suis plutôt favorable à cette hypothèse, mais je serais ravi si elle était fausse ! », assure Gilles Dowek.

Cela signifierait que certains phénomènes, par exemple la manière dont les trous noirs manipulent l’information, ne seraient pas ­simulables ; ce qui pourrait ouvrir la voie à de nouveaux types d’ordinateurs. Cette position a valu à Gilles Dowek de se frotter intellectuellement à l’un de ses collègues parisiens, Giuseppe Longo, dans une controverse philosophico-mathématique il y a une dizaine d’années. « Il y a des arguments intéressants des deux côtés. C’est une dispute fructueuse, car des recherches tentent d’inventer de ­nouvelles machines », constate Jean-Baptiste Joinet, professeur de philosophie à l’université Lyon-III, qui voudrait lancer une thèse sur cette controverse.

En plus de la recherche en informatique, de ses combats philosophiques et de diverses responsabilités (membre du jury du Prix « Le Monde » de la recherche universitaire, président du conseil scientifique de la Société ­informatique de France…), Gilles Dowek s’est lancé ces dernières années dans un autre ­engagement. Au milieu des années 2000, à l’Académie des sciences, il plaide lors d’un colloque en faveur de l’enseignement de l’informatique à l’école. Le discours plaît, mais reste sans suite. Jusqu’à ce que des enseignants de l’association Enseignement public et informatique tombent dessus et fassent appel à lui au moment de l’élection présidentielle de 2007 pour interpeller les candidats sur cette question.

Cinq ans plus tard, consécration : une spécialité Informatiques et sciences du numérique est introduite en terminale scientifique. En 2016, c’est au tour du primaire et du ­secondaire d’avoir leur manuel scolaire. « Il faut trois choses pour qu’un cours marche : des ­élèves, un programme et des enseignants. Nous avons eu les deux premiers, mais pas les profs ni les horaires. Nous nous battons pour ­un Capes et une agrégation d’informatique. Apprendre le japonais demande du temps. ­Apprendre l’informatique également », ­regrette le chercheur, qui a été surpris par la lenteur et l’inertie de ­l’administration dans la mise en œuvre de ces réformes.

Et maintenant, quel hasard le fera basculer vers un autre engagement ?

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