Par Natalie Levisalles — 31 août 2016
Paysages éternels, familles idéalisées, hygiénisme approximatif : depuis deux siècles, le contenu des textes proposés à nos «chères têtes blondes» dessine le portrait d’une France immuable.
En nous montrant ces textes dictés aux écoliers entre 1836 et 2015, les deux auteurs dela Dictée (Laure de Chantal, agrégée de lettres, et Xavier Mauduit, agrégé d’histoire) nous plongent dans l’histoire de la France des deux derniers siècles. Ou plutôt dans ce qu’on nous en a raconté : le roman national.
La première chose qui fascine, c’est l’uniformité du style, du milieu du XIXe à aujourd’hui. Comme s’il existait un «style dictée», remarquablement homogène : lisse, vieillot, gourmé, gentiment mais pesamment moralisateur, utilisant le vocabulaire de l’idéalisation et de la paix, tendant à décrire un bonheur fade et sans aspérités et des malheurs soigneusement tenus à distance. Ce qui frappe aussi, c’est à quel point le monde de la dictée est celui d’une France éternelle, immuable, qui semble arrêtée quelque part au milieu du XXe siècle. Mais pas dans les années 40. Autant on peut lire de nombreuses pages patriotiques, héroïques sur la guerre de 14-18 - «Camarades, nous savons que vous souffrez d’une grande peine parce que vous êtes séparés de nous» (adressé aux écoliers d’Alsace-Lorraine, Certificat d’études 1912) -, autant on ne trouve pas grand-chose sur la Seconde Guerre mondiale.
«Il était bien joli ce chemin de Provence. Il se promenait entre deux murailles de pierres cuites par le soleil.» Le paysage est omniprésent dans la dictée, il a une beauté tranquille et un peu ennuyeuse. On voit beaucoup de campagne, très peu de ville, on s’aventure rarement hors des frontières, dans les colonies parfois. Les dictées ont le même parfum que les cartes de géographie et de leçons de choses Deyrolle qui ont été accrochées dans les salles de classes jusque dans les années 70. Ou 80 ?
Mission civilisatrice
La famille des dictées est du même tonneau. Une famille idéale où le père est sévère mais juste et la mère un infatigable et bienveillant grillon du foyer qui s’éveille «toujours la première, bien avant le jour en hiver» et descend «dans la rue pour acheter le pain» (1965). L’image de la petite fille est à l’avenant. «Je frotte le parquet, dit-elle, je passe l’aspirateur, j’encaustique les meubles. Je suis bien contente de venir en aide à maman» (1963). Ou bien : «La meilleure amie des jeunes filles, c’est l’aiguille. La lecture, la musique vous laissent souvent une impression charmante… mais ce n’est qu’une impression» (1946). Même les secousses de l’adolescence sont passées à la machine à euphémiser. «L’adolescence fut pour Caroline une période difficile… Mais la personnalité qu’elle s’était ainsi forgée faisait d’elle une amie généreuse et chaleureuse» (Bled, 2015).
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