30.01.2015
Les maisons de santé pluridisciplinaires auraient-elles tout bon ? C’est en tout cas ce que laisse penser un récent rapport de l’Irdes évaluant la performance de ces nouvelles structures de santé. Des travaux guettés sur le terrain où l’on attendait qu’une expertise objective vienne conforter des ressentis et impressions. Du côté des syndicats, on accueille plutôt favorablement ce constat positif, tout en se gardant bien d’envisager une généralisation du modèle qui, rappelle-t-on, doit, de toute façon, rester à l’initiative des professionnels.
L’exercice au sein de maisons, pôles ou centres de santé est-il plus performant que celui isolé, traditionnel ? Sans doute, à en croire l’Institut de recherche et documentation (Irdes) qui publie une évaluation de la performance des structures de santé engagées dans les expérimentations des nouveaux modes de rémunération (ENMR).
Que ce soit en terme d’activité et productivité des généralistes ou bien au regard du recours et des dépenses de soins ambulatoires, ces établissements auraient tout bon. « Ca va plutôt dans ce qu’on ressent, nous, sur le terrain », commente Patrick Vuattoux, généraliste à Saint- Claude, l’une des plus anciennes maisons de santé pluridisciplinaire (MSP) de Franche-Comté. Il tardait à ce praticien, militant de longue date pour ce mode d’exercice, de voir ces conclusions publiées « parce qu’on dit des choses mais à un moment donné, il faut les prouver ».
Selon lui, qui est aussi le secrétaire général de la Fédération des pôles et maisons de santé (FFMPS), « l’Irdes, avec ses travaux, confirme qu’en France il y a plein de signaux positifs » que l’on observe dans les pays où le travail en équipe pluriprofessionnelle se fait depuis un certain temps, comme dans les pays anglo-saxons ou aux États-Unis.
Sans surprise, l’Irdes confirme d’abord que ces structures sont bien là où se trouvent les besoins. En soi, ce n’est pas une révélation car on s’en doutait un peu. Le rapport atteste néanmoins de la « forte proportion de sites ENMR implantés là où il y a des besoins et peu d’offre ». Des espaces bien souvent à dominante rurale, pour les trois quarts des MSP. Elles sont, souligne le rapport, « proportionnellement plus implantées dans ces espaces fragiles que les médecins généralistes isolés ».
Une oasis pour déserts médicaux
Mais l’évaluation réalisée par Julien Mousquès et Yann Bourgueil montre aussi que, non seulement les MSP remédient au manque de praticiens dans certaines zones, mais qu’elles parviennent également à stabiliser la démographie médicale dans les espaces ruraux ; là encore mieux, semble-t-il, qu’un paysage de cabinets isolés. Et par ailleurs, les chercheurs soulignent qu’elles améliorent la densité de généralistes dans les zones urbaines. « Ces structures sont aussi attractives pour les paramédicaux », ajoute Pascal Gendry, généraliste exerçant dans une maison de santé à Renazé (Mayenne) car « leur activité se trouve confortée ».
Les maisons de santé retiennent les professionnels et plus encore, elles attirent les nouvelles générations de praticiens. Le rapport de l’Irdes note en effet que «?la composition selon l’âge et le genre des généralistes en maisons (...) de santé diffère sensiblement, jeunes et plus souvent des femmes » des autres cabinets.
La raison de cet attrait ? Pour l’Irdes, «?le regroupement pluriprofessionnel est avant tout motivé par l’amélioration des conditions de travail » autour d’un projet de santé. Et de relever que «?ces organisations plus coordonnées et coopératives » sont attractives pour les jeunes professionnels. Sur le terrain, Pascal Gendry confirme : « On vient intégrer une maison de santé plutôt qu’un autre lieu d’exercice parce qu’il y a ce projet de santé, cette coopération avec des collègues de la même profession et des collègues paramédicaux ».
Plus de patients par généraliste
Mais il y a plus surprenant dans ce travail de l’Irdes. La pratique des généralistes dans les maisons de santé y serait plus performante, quantitativement et qualitativement, qu’en exercice libéral isolé. « L’activité est majorée de 13 % à 15 % en termes de file active ou de patients inscrits pour les maisons et pôles de santé relativement aux témoins », relève l’Irdes. « On attire plus de patients à cinq généralistes en collectif qu’à cinq en isolé », abonde en ce sens Claude Leicher, fort de son expérience de généraliste en MSP dans la Drôme. Les patients sont fidèles, la pluridisciplinarité de ces établissements leur permettant d’être suivis plus facilement, tout se passant en un seul et même endroit. Pour Éric Henry aussi, le constat de l’Irdes n’a rien de surprenant. Mais le président du SML avance une explication plus prosaïque : il est « normal que ces médecins aient une patientèle plus importante car ils sont installés en zone rurale ».
Des patients plus nombreux, mais sans inflation de consultations, car, relève aussi l’Irdes, il n’y a pas de multiplication des actes dans les structures pluridisciplinaires. Une observation que Patrick Vuattoux rapproche de l’organisation en équipe. À Saint-Claude, « ça fait belle lurette que les généralistes ne font plus de vaccins », affirme-t-il. Ce qui leur permet non seulement de se recentrer sur leurs compétences propres mais également d’avoir « des agendas plus libres où plus de patients peuvent venir ». Et d’engendrer des gains d’efficience. Pascal Gendry opine aussi en ce sens. Pour ce secrétaire de l’Association des pôles et maisons de santé des Pays de la Loire (APMSL), l’organisation en équipe est « l’essence même » du travail dans ces structures ; et cela permet à chaque professionnel « d’augmenter le champ d’activité de chacun d’eux ». « Les rôles sont mieux définis, on est bien plus à l’écoute des autres professionnels », ajoute Claude Leicher. Mais s’il admet lui aussi que la meilleure coordination prévient la hausse du nombre d’actes, le président de MG France se refuse à parler de délégation d’actes. « Pour l’instant, il n’y a pas de transfert d’actes qui soit lié, de façon structurelle, aux maisons de santé », précise-t-il.
Quand pluridisciplinarité rime avec qualité
Sur le plan qualitatif aussi, les MSP dépotent. Dépistage du cancer du sein, prévention des risques iatrogéniques ou prescriptions d’antihypertenseurs génériqués, les maisons de santé atteignent les objectifs posés dans le cadre des ENMR. Avec une mention spéciale pour le suivi des diabétiques qui, selon les termes de l’Irdes, s’est sensiblement amélioré dans ces structures. Au regard de la qualité des soins et services, Julien Mousquès note même « des différences assez importantes par rapport à l’exercice isolé», les généralistes des maisons de santé ayant de meilleurs résultats de pratiques que les autres cabinets. Une conséquence, selon Pascal Gendry, de la coopération et de la coordination entre les professionnels de ces structures. « ça permet d’engager une réflexion autour de situations cliniques, de la continuité des soins, détaille-t-il, et de faire des choses différentes du rapport individuel avec son patient, de ne pas faire de l’acte pur mais aussi d’engager des actions de prévention et d’éducation thérapeutique ». Il en veut pour preuve l’amélioration de la gestion des plaies chroniques, de la prise en charge des diabétiques ou le meilleur suivi des malades chroniques.
Un plus pour les patients pluripathologiques, les maisons de santé ? Luc Duquesnel, qui exerce dans un projet de ce type, en convient. Il regrette d’ailleurs que seuls ceux résidant dans les déserts médicaux puissent bénéficier des avantages de ces établissements. Jean-Paul Hamon est plus dubitatif. Le président de la FMF s’interroge sur la pertinence des critères retenus pour attester de la qualité des soins. Même s’il reconnaît un meilleur respect des objectifs ROSP/ENMR dans ces structures, il se demande « quelle est la pertinence de ces indicateurs dans la mesure où ils sont remis en cause dans le cadre du surdépistage ».
Démographiquement vertueuses et médicalement efficaces, les MSP auraient encore d’autres qualités, susceptibles d’intéresser cette fois les financeurs. Car, selon l’Irdes, elles permettraient aussi de réduire le coût des parcours de soins.
« Les économies se concentrent sur les soins ambulatoires avec des recours moins fréquents aux disciplines spécialisées, les structures de groupe offrant plus de services », explique Julien Mousquès. « On observe que les patients ont des structures de consommation différentes », ajoute-il, précisant toutefois que d’autres travaux seraient nécessaires pour lier cette observation à une caractéristique particulière des MSP. Sur place, les professionnels sont moins réservés. D’après Patrick Vuattoux, « le fait de travailler en équipe diminue le besoin d’éclairage des spécialistes de ligne 2, à qui on envoie donc moins de patients ». Et, de fait, Julien Mousquès précise que les patients adressés aux spécialistes – notamment les ORL, rhumatos ou cardiologues – le sont pour des recours avec des dépenses moindres. ça suffit, en tout cas, à Luc Duquesnel, pour voir dans l’exercice coordonné un moyen d’agir sur l’augmentation des dépenses de santé « quand on sait que 70 % d’entre elles sont liées aux pathologies chroniques ».
Là dessus encore Jean-Paul Hamon doute. Et réfute l’idée selon laquelle être regroupé induit des économies. « L’exercice pluriprofessionnel, ça permet de faire 2-3 % d’économie (Ndlr : chiffrage de l’Irdes), ça n’est pas significatif ». Et c’est vrai que ces structures d’un nouveau type sont réputées chères en logistique. Mais l’Irdes n’a pas fait l’impasse là dessus : « Les économies générées sont supérieures aux ressources consacrées aux ENMR », mentionne le rapport. Il n’en reste pas moins qu’aux yeux d’Éric Henry, « il n’est pas normal qu’une entreprise médicale dépende de l’administration et de financements non pérennes ».
La pluridisciplinarité, c’est bien, mais à certaines conditions. Ce premier audit du secteur montre que plus les professionnels coopèrent, collaborent et échangent entre eux, plus les bénéfices des maisons de santé sont patents. L’Irdes soutient en effet que « l’intensité de l’intégration pluriprofessionnelle des soins primaires (…) est génératrice de gains de productivité, relativement à l’exercice standard ». Pour preuve, il apparaît dans le rapport que « la substitution entre médecins pour un même patient (ou le partage des patients entre médecins généralistes) est croissante avec l’intensité de l’intégration des facteurs structurels et organisationnels dans les sites ». Un enseignement éprouvé sur le terrain par Claude Leicher : « Grâce au roulement entre les généralistes, les patients trouvent toujours une réponse, même en l’absence de leur médecin traitant », détaille-t-il, empêchant ainsi une déperdition de patientèle.
Un modèle pour demain... mais pas le seul !
La pertinence des maisons de santé établie, qui encore pour résister à leur développement ? Que les sceptiques, réfractaires ou hostiles à l’exercice pluridisciplinaire regroupé se rassurent, cette évaluation n’a concerné qu’une quantité restreinte de sites. Julien Mousquès rappelle ainsi l’importance du contexte présidant à l’obtention ces résultats. « On est sur des structures en petit nombre », explique-t-il, l’étude portant sur une centaine de sites des premières vagues d’ENMR. « Même si les forfaits ENMR n’amplifient pas les écarts » par rapport aux structures en marge de ce dispositif, il précise que « rien ne dit que ces résultats seraient stables si on étendait l’échantillon ».
Des précautions qui n’empêchent pas Patrick Vuattoux de voir dans cette étude des « signaux positifs », confirmant que « la mutation de l’offre de soins doit aller dans ce sens ». Et de conseiller une fois encore au gouvernement de « miser sur ce terrain-là ».
Miser, mais pas imposer... Tous les pionniers des MSP en conviennent : l’émergence de maisons de santé ne doit pas être décidée d’en haut mais émaner du terrain. « Les professionnels doivent être à la base de leur regroupement, insiste Pascal Gendry, puis il faut les aider ». Selon lui, les ENMR viennent alors soutenir les maisons de santé, agissant même comme « un catalyseur pour aller plus loin dans l’intégration et pérenniser ces structures ».
« Ne pas aller vers un modèle unique »
Une chose est sûre en tout cas, quels que soient les mérites des MSP, les syndicats de médecins libéraux refusent d’en faire l’unique solution pour demain. Pour le chef de file de MG France, « il ne faut très clairement pas aller vers un modèle unique ». « Les maisons de santé ne doivent pas être le modèle unique pour l’exercice coordonné », abonde Luc Duquesnel, pour lequel « on doit permettre aux libéraux isolés de se coordonner sans pour autant se structurer ». Sans remettre en cause l’efficience des maisons de santé, il voit davantage dans le rapport de l’Irdes un plaidoyer pour l’exercice coordonné.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire