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SAN FRANCISCO, correspondance. Etre payé pour partir en vacances ? Chez Evernote, c'est possible. La start-up californienne, connue pour son service de prise de notes en ligne, offre 1 000 euros à chacun de ses salariés réalisant au moins un voyage d'une semaine par an.
Et ce n'est pas tout : la jeune société pratique également les congés illimités. "Nous voulons encourager nos salariés à prendre les vacances qu'ils méritent, sans limitation", justifie Mindie Cohen, la directrice du recrutement. Ils doivent toutefois annoncer leur date de retour avant de partir.
Evernote n'est pas un cas isolé. Dans la Silicon Valley, un nombre croissant d'entreprises adopte cette politique. Comme Eventbrite, site d'organisation et de gestion d'événements. "Les salariés qui prennent le plus de congés sont généralement ceux qui remplissent le mieux leurs objectifs", souligne Julia Hartz, l'une des deux cofondatrices.
"Les congés illimités sont en train de devenir la norme", constate Stéphane Le Viet, le fondateur de Work4Labs, une application de recrutement sur Facebook. Arrivé à San Francisco il y a deux ans et demi, cet entrepreneur français s'est rapidement rendu à l'évidence : dans la région, les "perks" (avantages en nature) sont incontournables. "Nous voulions appliquer les mêmes méthodes que dans nos bureaux français, se souvient-il. Mais nous avons dû nous adapter, sinon cela aurait été catastrophique."
Ces avantages, démocratisés par Google, se sont depuis généralisés. D'abord, les repas gratuits, une sorte de minimum syndical auquel peu de sociétés peuvent déroger – après avoir longtemps résisté, Yahoo! a fini par céder l'été dernier.
HAMBURGERS, PIZZAS, BURRITOS OU ENCORE SUSHIS
Certains se livrent même à une surenchère. Sur le campus de Facebook à Menlo Park, il y a ainsi l'embarras du choix : deux cafétérias réputées pour leur qualité, hamburgers, pizzas, burritos ou encore sushis. Le tout sous la direction d'un chef débauché en 2008 chez Google.
Snacks à volonté, massages, yoga, fitness, coiffeur, blanchisserie, ménage à domicile, journée consacrée à un projet personnel, subventions pour acheter une voiture électrique, prime pour la naissance d'un enfant, tablettes, smartphones et autres gadgets informatiques... La liste desperks – certains gratuits, d'autres à prix réduits – est longue.
Et elle ne cesse de s'agrandir. Car la Silicon Valley s'est lancée dans une course effrénée. Les avantages s'accumulent, se pérennisent. Certains s'imposent à tous. Il est en outre difficile de revenir en arrière. Marissa Mayer, la nouvelle PDG de Yahoo!, en a fait l'amère expérience.
Sa décision, en début d'année, de mettre un terme au télétravail a suscité de violentes réactions. "Si ces avantages sont le prix à payer pour attirer et retenir des talents, alors c'est un investissement qui en vaut la peine", estime Whitney Bouck, responsable HR chez Box, un service de stockage en ligne.
Les talents, c'est l'un des principaux terrains d'affrontements entre les sociétés de la région. Dans un contexte de pénurie de main-d'oeuvre et de politique d'immigration limitée, des milliers d'ingénieurs font défaut. Tous les moyens sont donc bons pour séduire les meilleurs d'entre eux.
PLUSIEURS DIZAINES DE MILLIERS DE DOLLARS PAR EMPLOYÉ
"Le mot "talents" est devenu extrêmement populaire. Mais si une entreprise offre ces avantages à tout le monde, alors il s'agit simplement d'un synonyme pour employés", estime David Lewin, professeur en ressources humaines à l'université de Californie à Los Angeles, soulignant que certains postes pourraient être facilement pourvus sans.
Le coût annuel de ces politiques peut se chiffrer à plusieurs dizaines de milliers de dollars par employé. Mais les entreprises assurent être gagnantes. Chez Google, on explique que les repas gratuits permettent de favoriser les rencontres et les échanges entre les équipes, d'où naissent parfois des idées inattendues.
Avec trois repas offerts par jour, les salariés sont incités à rester plus longtemps sur leur lieu de travail. Et les navettes gratuites équipées de Wi-Fi qui relient San Francisco aux différents campus de la Silicon Valley, c'est potentiellement deux heures de travail en plus par jour !
"Notre équipe est le meilleur investissement possible, avance Julia Hartz.Cela porte ses fruits en termes de productivité." Cet argument, souvent avancé, demeure cependant difficile à vérifier. De fait, aucune des entreprises interrogées n'a été en mesure de fournir des données chiffrées pour l'étayer. "On va bien finir par atteindre un stade où les coûts vont devenir supérieurs aux bénéfices", prédit David Lewin.
D'autant que l'administration fiscale américaine pourrait s'en mêler. Selon le Wall Street Journal, l'IRS (Internal Revenue Service) réfléchirait en effet à imposer les repas gratuits, les considérant comme une composante de la rémunération. Cela entraînerait un surcoût de l'ordre de 30 % pour les entreprises. Les autres avantages pourraient également être menacés.
Jérôme Marin
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