LE MONDE | Par Laetitia Clavreul
Du cannabis en accès libre ? La France, qui détient le malheureux titre de championne européenne de la consommation chez les adolescents – en 2011, 24 % des jeunes de 16 ans fumaient un joint au moins une fois par mois –, n'en est pas là.
Le gouvernement prône le statu quo en matière d'évolution de la législation, même si des ministres comme Vincent Peillon ou Christiane Taubira, sans avancer de position personnelle contrairement à Cécile Duflot, ont estimé que le problème que représente le cannabis mérite débat. A l'Elysée, mercredi 1er janvier, on rappelait la position officielle : « Pas favorable à la dépénalisation. »
Mais qu'en pensent les Français ? Seraient-ils pour un aménagement de la loi française, l'une des plus répressives en matière d'usage de cannabis ? Les lignes semblent bouger. Selon l'institut CSA, qui a posé la question dans le cadre d'un sondage plus général, fin novembre 2013, 55 % jugent négativement la dépénalisation (contre 19 % positivement). Ceux qui en ont l'image la plus négative sont les plus de 65 ans, à 73 % (contre 11 % d'opinions positives), contre 44 % pour les 18-24 ans (contre 25 %).
78 % DES FRANÇAIS CONTRE SA MISE EN VENTE LIBRE
L'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), lui, a publié mi-novembre la quatrième édition de son enquête Eropp consacrée à la perception des drogues, réalisée fin 2012. Dépénaliser ou légaliser le cannabis, la question n'est pas directement posée. Mais à celle sur l'éventualité d'une mise en vente libre, comme pour le tabac et l'alcool, 78 % répondent « pas d'accord ». Ils étaient 85 % en 2008. En quatre ans, la part de ceux qui disent « oui » a progressé de 7 points, de 15 % à 22 %.
En outre, chiffre marquant, 60 % des Français se disent favorables à une autorisation sous certaines conditions, par exemple en cas de maladie, ou avec un maintien de l'interdiction avant de conduire ou pour les mineurs. En 2008, ils étaient 30 % à s'y déclarer favorables. La question était néanmoins différemment posée, et la proposition d'une autorisation pour raison médicale n'était pas avancée.
Désormais aussi, 44 % des Français estiment que l'interdiction du cannabis constitue une atteinte à la liberté individuelle. Contre un peu moins d'un tiers en 1999, en 2002 et aussi en 2008. Il s'agit de l'évolution la plus robuste sur les dix dernières années.
Concernant les sanctions pénales encourues par les usagers, une large majorité est favorable au rappel à la loi (86 %) et à une obligation de soins (87 %). Plus des deux tiers soutiennent les stages de sensibilisation aux dangers du cannabis. Mais seulement 36 % jugent plutôt comme « une bonne ou une très bonne chose » la possibilité d'une peine de prison pour usage simple de cannabis.
En France, c'est connu, le cannabis est un sujet clivant et passionnel. Si la question des risques (cognitifs et psychiques) pour la santé, notamment en cas d'usage précoce, fait de plus en plus consensus au sein de la communauté scientifique, « le débat porte sur ce qu'on attend de la loi », résume Ivana Obradovic, chargée de mission à l'OFDT, spécialiste de l'évaluation des politiques publiques.
Celle-ci vient de participer, comme médiateur, à l'ouvrage Faut-il dépénaliser le cannabis ? (Le Muscadier, 2013), qui offre une tribune à des intervenants opposants ou favorables à une évolution législative. Le contexte mondial de modification des législations, et particulièrement les exemples de l'Uruguay et des Etats-Unis auraient-ils un impact sur l'opinion des Français ? « C'est un élément à prendre en compte. Il est possible que cela puisse influer sur les représentations du possible et du non-possible », reconnaît Ivana Obradovic.
L'USAGE MÉDICAL, UNIQUE ÉVOLUTION CONSENTIE
Autre hypothèse qui peut être avancée, le fait que le cannabis soit devenu un produit courant. « Je ne pense pas que les opinions des Français changent. En revanche, j'ai davantage de craintes à l'encontre du gouvernement, qui n'est pas très clair sur ses intentions en matière de drogue », estime pour sa part Serge Lebigot, président de l'association Parents contre la drogue, auteur du Dossier noir du cannabis (Salvator, 2013), citant pêle-mêle « les salles de consommation à moindre risque, la dépénalisation et aussi le cannabis thérapeutique ».
L'usage médical, justement, est l'unique évolution consentie par la France. Un choix assumé par le ministère de la santé mais lié en partie à un recours devant le Conseil d'Etat déposé par un laboratoire pharmaceutique. Il visait à voir levée l'interdiction française, alors que dans de nombreux pays européens, la commercialisation d'un spray à base de cannabis, le Sativex, est autorisée.
En juin 2013, un décret a été publié, permettant à l'Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) d'autoriser la mise sur le marché de produits à base de cannabis – la première autorisation devrait être notifiée dans les prochains jours. Quelques farouches opposants y voient un pas vers la dépénalisation du cannabis. Mais l'annonce, c'est à noter, n'a provoqué aucun tollé.
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