Le Plan autisme provoque la fronde de certains professionnels de la psychiatrie
Semaine après semaine, la grogne monte parmi les professionnels de la psychiatrie, après l'annonce, le 2 mai, du troisième plan autisme. Samedi 15 juin après-midi, nombre d'entre eux devaient participer à la manifestation pour le droit à la santé organisée, à Paris, à l'appel de la CGT et de l'Union syndicale Solidaires. Qu'ils soient psychiatres, psychologues, infirmiers ou éducateurs, tous ces soignants, réunis dans le "Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire", revendiquent une psychiatrie"humaniste" que ce plan gouvernemental, selon eux, contribue gravement à remettre en cause.
Doté de 205 millions d'euros (18 millions de plus que le précédent), le plan autisme 2013-2017 entérine avec force les recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS). Publiées en mars 2012, celles-ci préconisent prioritairement "une approche éducative, comportementale et développementale", basée notamment sur des apprentissages répétés.
Une petite révolution dans un pays où la prise en charge de ce grave trouble du comportement, notoirement insuffisante, incombe pour l'essentiel à la pédopsychiatrie hospitalière. Et où la guerre fait rage, plus que partout ailleurs, entre tenants des approches psychanalytiques, qui, pour la HAS, "n'ont pas fait la preuve ni de leur efficacité ni de leur absence d'efficacité", et comportementalistes.
"MENACES POUR L'ORGANISATION DES SOINS"
Provocation ? Maladresse ? Lors de la présentation de ce troisième plan, la ministre déléguée chargée des personnes handicapées, Marie-Arlette Carlotti, a en tout cas mis le feu aux poudres. Fustigeant la psychanalyse au profit des "méthodes qui marchent", elle a ajouté : "que les choses soient claires : n'auront les moyens pour agir que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur demanderons de travailler". Plus encore que le rapport de 120 pages présenté ce jour-là, ce sont ces mots qui ont déclenché la colère des experts.
"Assortie de tels propos, l'annonce du plan s'accompagne donc de menaces pour l'organisation des soins : le service public, dans ses domaines sanitaire et médico-social, se retrouve en position d'accusé, laissant le champ libre à un système privé qui mettra en péril la pluralité et la coordination nécessaire des interventions", s'alarment le 24 mai, dans un communiqué commun, le Syndicat des psychiatres des hôpitaux et la Société de l'information psychiatrique.
Trois jours plus tard, c'est au tour du professeur Bernard Golse, chef du service de pédopsychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital Necker (Paris), de se déclarer, dans une lettre adressée à la ministre de la santé et des affaires sociales, Marisol Touraine, "scandalisé" par ce plan qui fait"l'apologie du tout éducatif".
"LA PLURALITÉ DES APPROCHES EST NÉCESSAIRE"
"Quelle autre discipline médicale accepterait de voir l'Etat lui dicter ses contenus d'action ? Pensez-vous vraiment que les cardiologues accepteraient que l'on vienne choisir à leur place le médicament de l'infarctus du myocarde ?", lui demande-t-il. Au-delà des susceptibilités et des querelles d'écoles, c'est la diversité des approches en matière de prise en charge qui est ici en jeu. Lors des Assises citoyennes pour l'hospitalité en psychiatrie, organisées à Villejuif (Val-de-Marne), les 31 mai et 1er juin, par le Collectif des 39, le plan autisme est ainsi revenu sur le devant de la scène. Un texte collectif, dit "Appel des 1 000", y a été adopté, demandant sa révision.
"La pluralité des approches est nécessaire en face d'une réalité psychique complexe, celle de chaque sujet en souffrance, qui ne saurait se réduire à une seule dimension, à un seul registre de la connaissance et du savoir", affirment ses signataires, en rappelant que les recommandations de la HAS "ne font pas consensus". Ce que confirme, dans son numéro d'avril 2013, la revue médicale Prescrire. Réputée pour son indépendance, celle-ci a passé au crible la méthode dite du "consensus formalisé" selon laquelle le guide de la HAS a été élaboré. Ce guide "privilégie les méthodes cognitivo-comportementales et écarte les autres approches sans argument solide", conclut-elle, pointant un choix "exclusif et mal étayé", qui "n'aide pas les soignants de premier recours ni les familles à faire des choix éclairés".
"Ce plan est un pur produit de la pensée novlangue, dicté par des opposants farouches à la psychanalyse et à la pédopsychiatrie de service public", résume quant à lui le professeur Pierre Delion, chef du service de psychiatrie de l'enfant et l'adolescent du CHRU de Lille. Un constat que partage Mireille Battut, pour qui "le plan a sélectionné dans les recommandations de la HAS ce qui concerne les méthodes éducatives sans dire un mot de la thérapeutique". Cette mère d'un jeune garçon autiste a fondé l'association La main à l'oreille, en août 2012, qui compte aujourd'hui environ 200 membres. Le 11 juin, ils ont adressé une lettre à Mme Carlotti, lui demandant de modifier son plan de façon à "permettre aux familles d'exercer un choix éclairé parmi des options diverses".
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