Tarifs médicaux : enquête sur les dépassements d'honoraires
LE MONDE |
Près de 15 euros de plus à débourser de sa poche à Paris pour voir un médecin, par rapport à la base de remboursement de la Sécurité sociale. Pour la première fois, Le Monde a quantifié la moyenne des dépassements d'honoraires pour les consultations dans les dix plus grandes villes deFrance. En s'appuyant sur les données, publiques, d'Ameli-direct, le site de l'assurance-maladie, nous avons mesuré le tarif demandé en moyenne aux patients, médecins généralistes et spécialistes confondus. Un exercice qui nous a aussi permis de relever la répartition des praticiens selon les prix demandés (deux fois, trois fois, etc., le tarif de la "Sécu").
Au total, 66 médecins, dont 63 à Paris, facturent plus de cinq fois le tarif conventionnel. L'immense majorité sont des médecins hospitaliers qui ont une activité privée à l'hôpital, tels ce professeur de l'hôpital Tenon dont la consultation s'élève de 200 à 220 euros, remboursée sur la base de 23 euros, ou ce psychiatre de Sainte-Anne qui demande 200 euros pour une consultation dont la base de prise en charge est de 34 euros.
Certes, payer cher est pour certains patients un choix. Mais cela suffit-il àjustifier l'emballement du système ? Selon des données de l'assurance-maladie que Le Monde a par ailleurs pu se procurer, sur les 5,7 milliards d'euros qui sont restés à la charge des Français ou de leurs mutuelles en 2011, 2,3 milliards étaient imputables aux seuls dépassements. Un chiffre àcomparer avec les 3 milliards des tickets modérateurs et les 300millions des forfaits.
- Un phénomène très parisien
Notre comparaison montre que la capitale est la ville où les dépassements sont les plus élevés en moyenne, et les montants très supérieurs au tarif de base de la Sécurité sociale les plus courants. Ainsi, 6,7 % des praticiens s'inscrivent entre trois et quatre fois ce tarif. A Lyon, dans cette catégorie, on en trouve 1,5 %, et à Nice 1,1 %. A Lille, moins de 1% et aucun à Bordeaux. Tous généralistes et spécialistes confondus, la consultation s'élève dans la capitale à 15 euros au-dessus des tarifs de la Sécurité sociale. L'écart monte à 20 euros pour l'ensemble des spécialistes, et même à près de 30 euros pour les seuls spécialistes à honoraires libres.
Dans les autres villes, l'impact des dépassements est moins élevé - mais quand même mesurable : de 1,5 euro à Toulouse à 8 euros à Lyon. Il fautdire que 45 % des médecins parisiens pratiquent des dépassements, contre seulement 20 % des strasbourgeois ou 12 % des marseillais. Il existe de fait une grande diversité d'un département à l'autre. En moyenne, les taux de dépassements des spécialistes varient de 11 % au-dessus du tarif de la Sécu dans le Cantal ou le Lot à... 114 % à Paris, selon les derniers calculs que l'assurance-maladie nous a fournis (voir la carte au début de l'article).
- Des raisons multiples
Selon la localisation que nous avons effectuée pour Paris, les médecins qui pratiquent plus de deux fois les tarifs de base se situent surtout dans les quartiers chics de l'ouest et du centre, où la clientèle est plus solvable. Le phénomène est connu: les médecins qui s'installent en zone surdotée en professionnels, comme l'est Paris, ont tendance à pratiquer des tarifs plus élevés, comme l'avait montré une étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques en 2011. Ce qui permet d'avoirmoins de patients, tout en gagnant autant, voire plus. Alors qu'on aurait pu s'attendre à ce que la concurrence fasse baisser les prix, c'est l'inverse qui se produit, les médecins ayant tendance au mimétisme dans la fixation de leurs tarifs.
Surtout, les dépassements les plus élevés se situent dans les hôpitaux, ce qui explique leur concentration à Paris. Ainsi, sur les 66 médecins qui pratiquent plus de cinq fois le tarif de la Sécu, 55 sont des hospitaliers, dont 52 parisiens. Mise en cause il y a peu par 60 millions de consommateurs, l'activité privée à l'hôpital permet notamment d'obtenir plus vite un rendez-vous. Dans ce cadre, les tarifs de consultation peuvent être très élevés, et encore plus les actes techniques, comme le relevait le magazine, qui donnait pour exemple la pose d'une prothèse de hanche: pour une base de remboursement de 459,80 euros, le prix pouvait grimper jusqu'à 4250 euros.
- Un problème d'accès aux soins?
Consciente de ce phénomène de tarifs plus élevés dans la capitale, l'assurance-maladie a mené une réflexion, il y a deux ans, pour mieux yrembourser les frais de santé. Mais l'idée a été abandonnée. Trop complexe, car il aurait fallu élargir la mesure à certaines zones, comme les Hauts-de-Seine. Trop risqué aussi, car cela aurait pu avoir pour impact derendre les autres zones encore moins attractives pour les médecins.
Cependant, la situation doit être relativisée. Les Parisiens, contrairement aux habitants d'autres villes, ont (encore) la possibilité de contourner le problème, s'ils s'arment de patience. Comme les médecins sont nombreux à Paris, il en reste beaucoup en secteur 1. Il est aussi possible de setourner vers les centres de santé ou les hôpitaux, où le tarif opposable est appliqué. "La vraie question est de savoir pendant combien de temps l'exception va perdurer, estime Magali Leo, chargée de mission au Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Vu la moyenne d'âge de la profession, il y a de quoi s'inquiéter puisque les nouveaux médecins préfèrent le secteur 2."
- Une absence de sanctions
Les honoraires libres se sont généralisés, mais le système reste opaque. Une seule règle régit les dépassements: appliquer ses tarifs avec "tact et mesure", comme l'indique le code de déontologie. Le médecin peutpratiquer des honoraires plus élevés selon sa notoriété, mais il doit lesmoduler selon la situation de chaque patient. "Une notion surannée", selon Mme Leo, et responsable du fait que le système ne fonctionne plus.
En 2008, l'assurance-maladie a lancé une première opération de contrôle des tarifs des médecins hospitaliers. Elle s'est soldée par une dizaine de convocations de pontes parisiens par le conseil de l'ordre. Le tout a été discrètement réglé, et aucune sanction n'a été appliquée. Les médecins ont dû s'engager sur l'honneur à baisser leurs tarifs. Tous l'ont fait, et certains de façon conséquente (ils partaient de haut). Quelques-uns ont tendance aujourd'hui à les relever.
Une nouvelle campagne est en cours: 28 hospitaliers et 250 libéraux sont cette fois dans le viseur. L'assurance-maladie a fixé un seuil, qui se situe entre trois et quatre fois le tarif de la Sécu, et cible ceux qui sont au-dessus. Avant un éventuel signalement à l'ordre des médecins, elle va analyserleurs arguments. Dans les premiers courriers reçus, les médecins mettent en avant de nouvelles formations ou techniques, le coût du matériel ou des locaux...
Les noms restent confidentiels, les sanctions ne sont pas vraiment à l'ordre du jour. L'assurance-maladie et l'ordre des médecins se renvoient la responsabilité du manque de suivi des abus. Mais c'est aussi une absence de volonté politique sur la question qu'il faut pointer. Les choses vont-elles changer? L'ordre promet pour mai une réflexion sur "le tact et la mesure", et donc sur ce qui constitue un excès. Ce qui pourrait aboutir "à la fixation d'un plafond", affirme Michel Legmann, son président, qui constate que les politiques se font de plus en plus pressants.
Jean-Baptiste Chastand, Laetitia Clavreul et Alexandre Léchenet
Deux secteurs de tarification
- Secteur 1
Les médecins conventionnés dans ce secteur appliquent les tarifs de la Sécurité sociale, sauf exigence particulière du malade. La base de remboursement de la "Sécu" est de 23 euros (le tarif conventionnel) pour les généralistes inscrits dans ce secteur, et le remboursement de 15,10 euros. Pour les spécialistes, elle est de 25 euros, et le remboursement de 15,10 euros. La différence peut être prise en charge par une complémentaire de santé.
- Secteur 2 (et secteur 1 avec autorisation de dépassement)
Les médecins pratiquent des honoraires libres. La base de remboursement est de 23 euros pour les rares généralistes qui y figurent encore (ils n'ont plus le droit de s'y inscrire), comme pour les spécialistes. Le remboursement de la Sécurité sociale s'élève à 15,10 euros. Selon les contrats, les complémentaires de santé prennent plus ou moins en charge les surcoûts liés aux dépassements.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire