Le blues du Rased
Qui se souvient encore des Rased ? C’était en 2008 : les maîtres spécialisés et les psychologues regroupés derrière cet acronyme (Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) avaient bruyamment battu le pavé pour s’opposer aux velléités ministérielles de tailler dans leurs effectifs et de les remplacer par une "aide personnalisée" (effectuée par en dehors du temps scolaire par les instituteurs). Quatre ans plus tard, la réforme a fait son œuvre : au nombre de 15 000 en 2008 sur l’ensemble du territoire, les Rased ne devraient plus être que 10 000 à la rentrée 2012, d’après le Snuipp-FSU, le principal syndicat du premier degré.
Dans le département de l’Indre-et-Loire, 15 postes seront supprimés en septembre, dont deux à Saint-Pierre-des-Corps. Lionel Laboudigue fait partie des "victimes". Et le moins qu’on puisse dire est qu’il le vit mal. Très mal.
Lionel Laboudigue a 40 ans, dont quinze années de carrière en tant que professeur des écoles. Il a bourlingué aux quatre coins du département (La Ville-aux-Dames, Neuillé-le-Lierre, Château-Renault, Bléré, Amboise…), s’est frotté à pratiquement tous les niveaux existants dans le primaire avant de décider, il y a un an, de devenir "maître G", nom donné aux enseignants spécialisés dans l’aide éducative. A l’Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Tours, il était seul en formation l’an dernier. Diplôme en poche, il a ensuite été nommé dans plusieurs écoles de Tours et des environs, notamment à Saint-Pierre-des-Corps. C’était sa première affectation. Ce sera sa dernière.
Quand l’Inspection académique lui a signifié, il y a un mois, que son poste ne serait pas reconduit, les sentiments se sont bousculés. "Etonnamment, je n’ai pas été surpris, raconte-t-il. Révolté oui. Très en colère également. Mais pas surpris car cela était dans l’air depuis le début de l’année scolaire. En faisant cette formation de maître G, je savais également que la perspective de rester longtemps en poste était hasardeuse. Mais je m’étais lancé là-dedans à la manière d’un acte militant."
La désillusion est d’autant plus grande que Lionel Laboudigue a – ou plutôt "avait" - le sentiment d’avoir "trouvé sa voie". Redonner confiance à des élèves perdus dans le champ des savoirs, utiliser des jeux et des voies détournées pour y parvenir, travailler les ressources affectives comme on malaxe une pâte, faire le lien avec les familles… Lui qui, lorsqu’il était "simple" instituteur, se sentait démuni face à des élèves en difficulté n’aura eu qu’une petite année pour vérifier de lui-même l’utilité du système Rased.
Quand on lui demande si des enfants ont progressé lors des séances hebdomadaires d’une heure maximum qu’il effectue dans une salle de classe adaptée, il répond "oui"sans ciller. "On est la soupape qui fait diminuer la pression entre ces enfants et leurs appréhensions face à l’école. Sans cette soupape, le risque d’imploser devient énorme. Que deviendront-ils si on arrête de les aider ? On peut imaginer qu’ils seront éjectés du système scolaire à un moment ou un autre."
A sa déception personnelle d’arrêter si tôt son nouveau métier se mêle une sensation plus sournoise, indicible, "comme l’impression d’avoir été un peu lâché", dit cet ancien "désobéisseur". A Saint-Pierre-des-Corps, une mobilisation locale avait pourtant pris forme dès l’apparition des premières menaces sur les deux postes. Enseignants, parents d’élèves, élus avaient lancé des pétitions, quémandé des rendez-vous en haut-lieu, accroché des banderoles aux grilles des écoles, distribué des tracts au marché, alerté les médias… Et puis les vacances de février sont passées par là. Le soufflet est retombé.
Etonnamment, la perspective de l’élection présidentielle a également joué un rôle dans le découragement ambiant. Comme l’expliquait une de ses collègues il y encore un mois, "la campagne ne nous aide pas. Les gens se disent : 'pourquoi continuer à manifester alors que tout peut changer en fonction du vote ?' C’est un peu paradoxal, mais c’est comme ça."
Contraint de revenir à son premier job, Lionel Laboudigue formule actuellement ses vœux en vue d’un poste d’instituteur pour la rentrée de septembre. Retourner à l’ordinaire d’une salle de classe a tout d’"un renoncement", confie le maître spécialisé, inconsolable d’avoir pratiqué trop peu de temps un "métier qui disparaît".
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