| ise, 48 ans, s'est rendue tous les lundis pendant neuf ans à des ateliers d'écriture à l'hôpital Sainte-Anne, à Paris. Elle souffrait d'une grave dépression. « Mes problèmes psychologiques m'ont explosé à la figure comme une bombe à retardement, mais ils étaient sans doute là depuis très longtemps », explique-t-elle. Du fait de sa maladie, son contrat dans un musée parisien, où elle travaillait depuis trois ans, n'a pas été renouvelé. Peu après, son frère est décédé. Autant d'événements qui ont aggravé sa dépression. Ses séances de psychothérapie ne lui faisaient aucun bien et son psychiatre l'a adressée au Centre d'études de l'expression que dirige, à l'hôpital Sainte-Anne, le docteur Anne-Marie Dubois, auteure du livre De l'art des fous à l'oeuvre d'art (E-dite, 2007, 303 p., 39 €).
« Il savait que j'étais créative, que j'aimais écrire et dessiner », commente Lise. Les ateliers se déroulaient selon le même rituel : une demi-heure était consacrée à l'écriture d'un texte. Le psychothérapeute donnait une consigne : par exemple, écrire un poème d'éloge ou une nouvelle au titre extravagant comme Le Fabuleux Destin d'un nain de jardin. Puis, chacun lisait son texte. L'art-thérapeute et les participants réagissaient et posaient des questions.
Pour Lise, ces ateliers ont été « une révélation ». « Avant d'y aller, j'imaginais que l'on nous demanderait de parler de nos peurs, de nos angoisses, explique-t-elle. Mais ça n'était pas plombant. Les émotions qui devaient émerger, émergeaient. Ce pouvait être de la souffrance, mais aussi de la douceur, de la gaieté, de l'humour. Cela ne nous empêchait pas de nous soulager de ce qui nous pesait. »
Que retire-t-elle de cette expérience ? « Ça a été comme un levier qui m'a permis d'accéder au plaisir de faire les choses. Le fait d'être capable d'écrire, d'être en lien avec d'autres personnes dans un respect mutuel m'a énormément aidée », remarque Lise. Car si une chose doit distinguer l'art-thérapie d'une psychothérapie relationnelle, c'est le plaisir que l'on y prend. Lentement, Lise a repris goût à la vie grâce à ces moments intenses de création : « Il y avait une grande bienveillance de la part des patients et de la psychologue. Cela a contribué à résoudre des problématiques en complément d'une psychothérapie par la parole. J'ai pu faire des associations entre des émotions et certains événements de ma vie. L'écriture libère des choses qu'on ne comprend qu'après coup. »
Aujourd'hui, Lise peint, écrit. Elle a fait des expositions, publie des textes. « Comme j'étais la plus ancienne, j'avais peur que l'on me dise d'arrêter l'atelier d'écriture. Quand j'ai senti que j'allais mieux, j'ai préféré prendre moi-même l'initiative de partir », explique-t-elle.
L'art-thérapie est née dans les pays anglo-saxons dans les années 1930 et s'est propagée en France à la fin de la seconde guerre mondiale. L'hôpital Sainte-Anne en est un des hauts lieux depuis l'exposition internationale d'art psychopathologique, en 1950. Au terme d'« art-thérapie », le docteur Dubois préfère celui de « psychothérapies à médiation artistique ». « L'art, lui-même, ne soigne pas. Il favorise un processus d'expression et d'élaboration psychique autrement que par la parole », explique-t-elle. Il peut être angoissant, et nécessite d'être encadré par un professionnel formé. « Les patients qui bénéficiaient le plus souvent d'une prise en charge en art-thérapie étaient psychotiques chroniques ou schizophrènes, poursuit-elle. Aujourd'hui, les indications sont différentes et plus précises. Elle est très utile pour les pathologies névrotiques, les troubles alimentaires, les addictions, les états limites, les états dépressifs et les troubles bipolaires, hors périodes de crise. »
Alain est atteint de troubles bipolaires : il alterne phases d'exaltation et grave dépression. Avant de débuter les ateliers de théâtre à Sainte-Anne, en 2007, il fuyait les gens, craignait leur regard. « Quand je parlais, j'avais l'impression que personne ne pouvait m'entendre », explique-t-il. Les ateliers lui ont permis « de pouvoir reprendre la parole devant les autres ». Les exercices avaient un thème de départ, sur lequel les participants improvisaient. « Cela nous permettait de sortir de nous-mêmes, de ce manteau pesant qui nous étouffait, témoigne Alain. Il pouvait s'échapper des émotions fortes, des pleurs, des silences. Après chaque séance, je me sentais mieux. Je marchais la tête haute. Je me disais, ça y est, je vais m'en sortir. »
L'atelier s'est arrêté après le départ de l'art-thérapeute. Alain a été orienté vers un atelier peinture. « Un jour, j'ai fait un tableau qui a tout changé. Je me suis représenté contemplant mon propre cadavre sur un traîneau tiré par un loup. Normalement, on laisse ce qu'on peint à l'atelier ; là, j'ai demandé à l'emporter chez moi. » Dès lors, il s'est mis à peindre chez lui. « Après avoir fait un tableau, je me sens mieux physiquement, c'est comme si j'avais apporté du sens à mon existence et à celle des autres », explique-t-il.
On assiste aujourd'hui à une multiplication d'offres d'art-thérapie, en libéral ou en institution : hôpitaux psychiatriques et de soins généraux, maisons de retraite, centres médico-psychologiques (CMP), centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), hôpitaux de jour, centres pénitentiaires, etc. Mais cette activité ne bénéficie pas encore d'une reconnaissance officielle de l'Etat. Quiconque peut se prétendre art-thérapeute, même sans en avoir les compétences. Pour le docteur Anne-Marie Dubois, qui enseigne l'art-thérapie à l'université René-Descartes-Paris-V, trois compétences sont nécessaires : avoir une expérience de la psychothérapie, une compétence artistique, et être formé à l'art-thérapie. La Fédération française des art-thérapeutes, qui tente de faire reconnaître la profession, retient les mêmes critères dans la procédure d'accréditation de ses membres.
Martine Laronche
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