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dimanche 17 avril 2011

Claude Le Pen, professeur d'économie de la santé à l'université Paris-Dauphine

"Le médicament 'rachète' la maladie comme l'eucharistie rachète l'âme"

13.04.11

La "une" du "Monde Magazine" daté 16 avril 2011.
La "une" du "Monde Magazine" daté 16 avril 2011.DR

Dans un chat sur LeMonde.fr, Claude Le Pen, professeur d'économie de la santé, estime que la surconsommation de médicaments s'explique par une complicité entre patients, médecins, laboratoires et Sécurité sociale. "Le Monde Magazine" daté 16 avril fait sa "une" sur les médicaments, "une passion française".

Tiên Lê : Les Français sont-ils hypocondriaques ? Ou est-ce le système de Sécurité sociale qui pousse à la consommation ?

Claude Le Pen :
Dans des pays qui remboursent encore mieux que nous, la consommation est quand même plus faible. La Sécu n'explique pas tout. Les Français aiment culturellement le médicament comme, d'ailleurs, la plupart des peuples latins.


Bubu : Est-ce parce que nous sommes mieux remboursés que d'autres ?

SPQR : Est-il exact qu'une petite fraction de praticiens prescrit la majorité des médicaments en France ?

C'est exact qu'il y a de grosses disparités entre prescripteurs. Néanmoins, les médecins français, en moyenne, prescrivent un peu plus que leurs confrères étrangers. Depuis quelques années, la prescription baisse, notamment sous la pression de l'assurance-maladie.

Si l'on tient compte des mutuelles, nous sommes plutôt bien remboursés, mais tout le monde n'a pas de mutuelle : 8 % des Français sont sans mutuelle.

Konstantin : Que signifie votre expression "les Français aiment culturellement le médicament" ?

Si j'osais une comparaison audacieuse, le médicament "rachète" la maladie comme l'eucharistie rachète l'âme. Le médicament est l'ostie du corps. Les sociétés anglo-saxonnes et puritaines ont une autre approche du salut. Mais, Konstantin, vous me poussez à des hypothèses extrêmes qui mériteraient approfondissement.

Marie : Les laboratoires pharmaceutiques poussent-ils à cette surconsommation ?

Les laboratoires pharmaceutiques font de la promotion pour leurs produits. La question, c'est l'interface laboratoires-médecins. Ces derniers subissent une pression, mais ils exercent aussi leur sens critique. La réponse varie certainement d'un prescripteur à l'autre.

Nicolas : N'y a-t-il pas une sorte de complicité des médecins, qui ont rapidement tendance à prescrire tout un tas de médicaments pour des maux parfois bénins ?

Il y a une complicité générale entre le patient qui aime bien qu'on lui prescrive un médicament, le médecin qui fait son métier en prescrivant, l'industrie qui vend et même la sécurité sociale qui a été créée pour rembourser les médicaments... C'est une logique un peu générale.

Guest : Vous dites qu'il y a complicité entre le médecin et le patient qui aime qu'on lui prescrive un médicament. Mais parfois le médecin ne demande même pas au patient s'il a l'habitude de prendre des médicaments afin de régler la dose. Cela serait-il dû à un "manque de formation" en ce sens ou juste à l'amour de ces médecins pour les médicaments ?

En France, la relation médecin-malade est très souvent concrétisée par une prescription pharmaceutique qui atteste de l'état du malade et sanctionne l'acte du médecin. Le médicament sert de preuve matérielle à la réalité de la pathologie et de l'acte.

Nosq : Pensez-vous que cette consommation élevée des médicaments puisse nuire à l'économie française ?

D'un strict point de vue économique, non. Cela crée une activité commerciale. L'industrie pharmaceutique française est la première d'Europe. Nous sommes le deuxième exportateur mondial de médicaments. Cette industrie a créé des emplois même si cela ne sera plus le cas dans le futur.

Florian : Par quel moyen évalue-t-on cette consommation en France et par rapport aux autres pays européens ?

Il existe des statistiques très précises de consommation qui montrent toutes des résultats convergents. Les Français consomment plus de médicaments que les autres (dans certaines classes comme les antidépresseurs et les tranquillisants). Mais il est juste de dire que l'écart se réduit parce que les Français consomment un peu moins et, en même temps, les autres un peu plus.

NassimSARI : De quels types de médicaments parle-t-on ? Les Français en consomment plus en général où s'agit-il de certains médicaments en particulier ?

Bonne question. La "surconsommation" est ciblée sur certaines classes, notamment pour les pathologies du quotidien. On ne surconsomme pas d'anticancéreux, d'antiparkinsoniens ou d'antirétroviraux.

Khentar : Quels sont les types de médicaments les plus consommés en France ? Une tranche d'âge en particulier ?

Bien sûr, les personnages âgées sont les plus grosses consommatrices. La polymédication du sujet âgé est d'ailleurs une préoccupation de santé publique. Sinon, les médicaments, de loin les plus consommés en France, sont les antalgiques et les antidouleurs.

Fred 78 : La consommation massive d'antidépresseurs est-elle symptomatique d'un pays sur le déclin ?

Non. On observe d'ailleurs une consommation d'antidépresseurs moindre dans les régions où l'alcoolisme est plus fréquent. Les Français traitent leurs troubles psychiques légers comme des troubles somatiques...

Adrien : Connait-on la part des médicaments achetés hors prescription ?

Chris : Beaucoup de pharmaciens acceptent de donner des médicaments sans ordonnance. Est-ce vrai ? Cela peut-il être sanctionné par la loi ?
Réponse à la seconde question. Les médicaments de prescription médicale obligatoire doivent obligatoirement être délivrés sur ordonnance. Le pharmacien peut éventuellement aider un patient, mais ce n'est pas complètement légal. L'ordonnance électronique, dématérialisée, facilitera les choses. Mais il existe des médicaments sans ordonnance que le pharmacien peut délivrer "librement".
Cette question de la prescription hors AMM (autorisation de mise sur le marché) est très complexe. Elle est légale mais elle expose le médecin à un risque. Le patient doit être informé et ce n'est pas remboursable. La mesure du phénomène est très difficile car le diagnostic est couvert par le secret médical.

Antoine : L'image renvoyée par les médias et nos politiques sur la santé publique influence-t-elle notre consommation et est-elle responsable de cette surconsommation ?

De quelle image voulez-vous parler ? La prescription de médicaments appartient plus à la santé "privée" qu'à la santé publique.

Antoine : Ne pensez-vous pas que le développement social de notre société avec cette peur d'être trop gros, trop stressé, trop fatigué ou autre, peut être une cause de ces chiffres ?

Peut-être. Il ne fait guère de doute que le marché du bien-être, médicalisé ou pas, est un marché en expansion. D'un autre coté, pourquoi souffrirait-on si l'on dispose des moyens techniques de l'éviter ?

Rebecca : Pensez-vous que les Francais ne sont pas motivés pour changer leurs habitudes alimentaires ? Du coup, ne préfèrent-ils pas prendre des médicaments pour faire baisser leur cholestérol ?

C'est vrai que les solutions médicamenteuses sont souvent plus simples et moins exigeantes que les changements de comportement. Toutefois, on voit ceux-ci changer. Le tabagisme est en recul et les habitudes alimentaires n'ont rien à voir avec ce qu'elles étaient il y a vingt ou trente ans. La solution ne peut consister à prendre un médicament en substitut d'un changement de comportement, mais plutôt comme accompagnement.

Antoine : Quel est le principal facteur social responsable de cette consommation parfois abusive ?

Si je devais citer un seul facteur, il ne serait pas de nature sociale puisque des pays comparables socio-économiquement ont des consommations moindres. Il s'agirait plutôt d'un facteur socio-culturel et tiendrait à la représentation du médecin, de la médecine, de la maladie, du corps, etc., dans la société française.

Valérie : Peut-on mesurer scientifiquement (et donc chiffrer en termes monétaires) l'éventuelle morbidité, voire la mortalité (évitables !) dues à la surconsommation de médicaments ?

Il y a des études scientifiques sur les interactions médicamenteuses, mais peu sur l'effet global de la "surconsommation". J'attire votre attention sur le fait que cette surconsommation est relative, c'est-à-dire par rapport aux autres pays. Elle n'est pas absolue par rapport à des "besoins médicaux" que l'on ne sait pas chiffrer.
Vraisemblablement, certaines pathologies sont sous-traitées en France, notamment dans certains milieux sociaux.

Annita Scandaliato : J'habite en Espagne, l'automédication est à l'ordre du jour mais les Espagnols consomment, malgré tout, moins de médicaments que nous (somnifères, antidépresseurs, etc.). Pourquoi ?

L'automédication ne marche pas très bien en France. Les Français ont l'habitude de la prescription et du remboursement. En dépit des efforts pour l'encourager, elle n'a pas vraiment décoller en dehors des traitements des pathologies hivernales. C'est différent dans d'autres pays. Quant à l'Espagne, elle consomme en moyenne un peu moins que nous, mais elle est plutôt dans les pays à consommation pharmaceutique relativement forte.

Céline : Que penser de la volonté des autorités de maîtriser la consommation en refusant le remboursement des médicaments par l'octroi de SMR insuffisant même pour des molécules à haut niveau de preuve. Cette position est-elle tenable ?

A haut niveau de preuve d'efficacité, il n'existe pas de médicaments qualifiés de "service médical rendu [SMR] insuffisant" et donc déremboursés. Ces médicaments ont été jugés comme ayant une efficacité discutable au plan général, même s'il n'est pas exclu qu'ils marchent bien pour certains patients.

Antoine : Comment expliquer qu'une affaire comme celle du Mediator soit possible en France ?

Fred 78 : Y a-t-il une collusion entre la classe dirigeante et les laboratoires pharmaceutiques comme tout porte à le croire avec l'affaire du Mediator ?
Vaste question. Des rapports multiples ont été écrits et seront écrits sur la question et il faudra en faire un bilan serein. Ma conviction est que cette affaire révèle des dysfonctionnements réels, mais datés. Le système de surveillance et d'autorisation a beaucoup changé depuis la mise sur le marché du Mediator.
C'est l'occasion d'une analyse critique de l'ensemble de la chaîne pharmaceutique dont on tirera le bilan. Cette analyse montrera, je pense, que le système est meilleur que l'idée que s'en font les Français à travers "l'affaire".
L'affaire du Mediator démontre aussi bien qu'il n'y a pas de collusion systématique entre une classe politique tout entière et une industrie. Ce sont des députés qui ont sorti l'affaire, c'est le ministre qui lance les enquêtes et encourage la justice à engager des poursuites. C'est beaucoup plus compliqué que ça.

Shepard : N'y-a-t-il pas un "besoin" exprimé par les patients de revenir vers une médecine plus "douce" ?

La médecine est plurielle. Elle l'est de plus en plus. Peut-être devons-nous moins médicaliser nos petits troubles quotidiens mais s'agissant du cancer, de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson, des infections virales, etc. des thérapies efficaces parce qu'agressives sont nécessaires. Distinguons les troubles du quotidien et les maladies les plus sévères.

Chat modéré par Olivier Biffaud et Sandrine Blanchard

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