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dimanche 20 mars 2011

Psychiatrie: le rapport qui accuse
18/03/2011
Le contrôleur général des lieux de privation de liberté dénonce, dans un avis que s’est procuré «Libération», l’hospitalisation sous contrainte.
Par ERIC FAVEREAU

«Nous disons que tout cela est insupportable.» Les mots sont durs. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté, Jean-Marie Delarue, est pourtant un homme posé, conseiller d’Etat de formation. Il va faire paraître au Journal officiel un avis sur l’hospitalisation d’office en psychiatrie (télécharger ici le document au format PDF), et une recommandation sur l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (télécharger ici le document au format PDF et lire cet article), deux textes que Libération a pu se procurer.

Constat terrible. Leur parution intervient au moment même où le Parlement débat d’un projet de loi qui vise à étendre encore les mesures de contrainte pour les malades mentaux. «Nous ne parlons pas dans le vide, argumente Jean-Marie Delarue. Depuis deux ans, nous avons visité plus d’une vingtaine de lieux d’hospitalisation psychiatrique. Ce ne sont pas de simples visites. Nous arrivons à l’improviste, nous restons, nous regardons tout.» Le contrôleur général des lieux de privation de liberté lâche : «Au regard des droits de l’homme, la situation est inquiétante et elle s’aggrave.» Avec, en arrière-fond, un mal typiquement français : le législateur fait des lois, mais les droits qu’elles sont censées garantir ne sont pas accessibles.


C’est sur la question centrale de l’hospitalisation d’office qu’a planché le contrôleur. En vertu de la loi de 1990, les préfets peuvent, sur le fondement d’un certificat médical, faire admettre à l’hôpital des personnes, contre leur gré, «atteintes de troubles mentaux et qui compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public». Cette mesure, supposée exceptionnelle, est appelée «hospitalisation d’office» (HO). Elle peut être renouvelée, sans limite de temps. «Le malade en sort lorsque le médecin psychiatre, qui estime la sortie possible, la propose au préfet, lequel décide ou non la mainlevée de l’hospitalisation d’office», note Jean-Marie Delarue.


Droits formels.
Le législateur avait donc recherché un équilibre, entre le médical et l’administratif.
Mais «aujourd’hui, quatre éléments mettent en cause gravement cet équilibre». D’abord, note l’avis, dans de très nombreux cas, les droits formels du patient ne sont pas respectés. Exemple : «On interdit la plupart du temps au malade d’avoir recours à un avocat. On lui dit, certes, qu’il peut saisir un juge, mais sans lui donner l’adresse, ni le lieu. Les formulaires qui lui sont fournis sont illisibles. L’accès à ses possibilités de recours n’est pas possible», s’étonne le contrôleur.


Deuxième point qui noircit le paysage de la psychiatrie : «C’est le grand retour de l’enfermement qui caractérise désormais ces lieux de soins.» Cela n’est pas sans aberration : dans un même service de psychiatrie, les patients en hospitalisation libre sont contraints de vivre comme les autres, c’est-à-dire reclus, «en totale contradiction avec leur situation», note Jean-Marie Delarue. «Les portes d’un nombre croissant d’unités hospitalières psychiatriques sont en effet fermées à clef. Les patients, qui sont là librement, ne peuvent sortir, même pour se promener dans un parc, ni pour se rendre dans une cafétéria, ou participer à un office religieux.» Et de préciser : «Ces restrictions ne sont pas sans incidence sur la vie des malades et sur les relations avec leurs proches.» En d’autres termes, la logique de l’enfermement tire tout le monde vers le bas.


Troisième point : les sorties d’essai. Depuis des années, c’était une pratique essentielle pour permettre à un patient en HO de commencer à se réhabituer à la vie hors les murs. Le médecin responsable signait alors un certificat, qui était ensuite, la plupart du temps, validé par le préfet autorisant la sortie. Depuis le meurtre à Grenoble en novembre 2008 d’un étudiant par un patient en fugue, les préfets ont peur. Une crainte renforcée par une circulaire de 2010, signée par les ministres de la Santé et de l’Intérieur, rappelant leur responsabilité directe. «Aujourd’hui, devant ces demandes de sortie d’essai, le préfet hésite, diligente une enquête de police. Les sorties d’essai se sont réduites comme peau de chagrin. Des malades, habitués à sortir régulièrement, en sont interdits.»


Attaché. Dans le même ordre d’idée, les levées de HO, décidées par le préfet, sur demande du médecin, sont de plus en plus difficiles. «Aujourd’hui, le préfet hésite, demande une expertise, mais il n’a pas d’argent pour la faire. Au final, cela traîne des mois, voire des années»,lâche Jean-Marie Delarue. Des patients sont ainsi retenus, sans aucune justification médicale. «Le préfet fait ce qu’il veut au nom d’arguties juridiques qui ne sont pas opératoires.»

Quatrième point : la situation des détenus qui bénéficient de l’article D 398, permettant à l’autorité préfectorale de placer un détenu en hôpital psychiatrique. Voilà des personnes incarcérées qui sont en crise. Le médecin de la prison demande qu’ils soient hospitalisés, et le préfet peut transformer leur incarcération en hospitalisation d’office. Mais là encore, c’est d’abord le parapluie que l’on ouvre. «Le préfet craint, par-dessus tout, l’évasion. Il traîne. Alors qu’il y a urgence, cela peut prendre jusqu’à deux semaines, alors que la personne est en crise aiguë.» Pendant cette crise, le détenu reste en cellule. Quand il arrive enfin à l’hôpital, il est mis systématiquement en chambre d’isolement, durant tout son séjour. Parfois, il est même attaché, sans discontinuer, pendant deux semaines. Résultat ? «On ne leur donne pas les soins appropriés à leur état, cela est absolument inadmissible. Nombreux sont ceux qui préfèrent retourner en prison, car en prison au moins ils peuvent avoir des visites, ou bénéficier de promenades.»


De fait, c’est tout un monde caché que fait entrevoir le contrôleur général, un monde où les droits élémentaires des personnes ne sont pas respectés. Et dans ce monde-là, «ce n’est pas tant la loi, quelle qu’elle soit qui est en cause, mais la réalité des pratiques», conclut Jean-Marie Delarue.

La préfecture de police dans le collimateur

Jean-Marie Delarue demande la fermeture de l’infirmerie psychiatrique rattaché au préfet.
Par ERIC FAVEREAU

C’est un immeuble banal. Quatre étages, une façade qui aurait besoin d’être rénovée. Sur un côté, un panneau indique : «Accès pour le public.» Mais il n’y a jamais de public. Dans le quartier, il y a peu de mouvement. Au bout de la rue vivait Georges Brassens.


Nous sommes devant le numéro 3 de la rue Cabanis à Paris. Accolée à l’hôpital Sainte-Anne, trône l’Infirmerie psychiatrique de la préfecture de police (IPPP). Fermée à tous visiteurs. L’équipe du contrôleur général des lieux de privation de libertés est allée la visiter. Longtemps. Et pour la première fois dans l’histoire de ce lieu, ce représentant officiel, totalement indépendant, demande la fermeture de l’IPPP et son transfert dans une structure classique de soins. Une mesure hautement symbolique, car toucher à l’IPPP, c’est toucher à la sacro-sainte préfecture de police de Paris.


[Télécharger ici au format PDF l'avis du contrôleur général des lieux de privation de liberté et sa recommandation sur l'IPPP]


Agités.
Créé en 1872, l’IPPP est devenu un lieu mythique, sous la tutelle de la préfecture. C’est là que, via les commissariats de quartier, sont amenées des personnes interpellées dans la rue, pour leurs comportements agités ou violents. C’est le seul lieu de ce type en France : dans toutes les grandes villes, la personne arrêtée est soit incarcérée, soit transférée dans un hôpital pour décider d’une éventuelle hospitalisation d’office.


Chaque année, près de 3 000 personnes sont enfermées pour quarante-huit heures à l’IPPP. Sans la moindre présence d’un tiers. Elles sont examinées, traitées pour certaines, et parfois hospitalisées d’office. Dans sa recommandation, le contrôleur pointe l’extrême ambiguïté du lieu : «Sans remettre en cause la qualité intrinsèque avec laquelle les personnels de l’établissement exercent leurs fonctions, les contrôleurs ont vivement regretté la confusion des rôles résultant d’une tenue uniforme entre personnel de surveillance et personnel soignant.» Un peu plus loin :«Le dispositif entretient le doute sur la distance entre considérations d’ordre public et considérations médicales.» Enfin, surgit cette interrogation de bon sens : «Mais pourquoi l’appréciation compétente d’une situation pathologique a-t-elle des liens avec une institution de police ?»


Hospitalisation.
Dans ses réponses, la préfecture se défend, notant qu’elle prend en charge des patients violents. «Mais en tout état de cause, seuls 41% des patients sont placés après leur séjour dans l’établissement en hospitalisation d’office : par conséquent, tous ne sont pas violents», répond le contrôleur. Qui ajoute : «Les centres hospitaliers de droit commun assurent des prises en charge de même nature. A Paris, les hôpitaux accueillent un nombre bien supérieur d’urgences psychiatriques que l’IPPP.»


D’où cette conclusion : «Il est recommandé au gouvernement de mettre dès qu’il sera possible le transfert des moyens de l’IPPP au dispositif hospitalier de droit commun.»


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