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dimanche 20 mars 2011

A l'hôpital psychiatrique de Clermont, la crainte d'un virage sécuritaire


E
lle n'est pas seule à s'interroger à propos de la réforme de l'hospitalisation sous contrainte en psychiatrie : "C'est quoi la logique ? Sécuritaire ? Économique ? En tout cas, on ne voit pas ce qu'il y a de sanitaire", lâche Isabelle Le Boussard, cadre de santé.

Qu'ils soient soignants, psychiatres ou administratifs, les personnels de l'hôpital psychiatrique de Clermont (Oise), l'un des plus gros de France, ont du mal à discerner quel impact la réforme de la loi de 1990, discutée le 15 mars à l'Assemblée nationale, aura sur le quotidien des malades.

"Usine à gaz",
l'expression revient en boucle. Un schéma du ministère de la santé qui montre les nouvelles étapes de la procédure de contrainte laisse perplexe. Avec ses flèches dans tous les sens, ses certificats et demandes d'expertise multiples, on comprend que le suivi des patients risque de tourner au casse-tête.

A la question de savoir qui sera concerné par les soins sans consentement en ville, nul ne sait vraiment répondre. Sûrement les mêmes que pour les soins sous contrainte à l'hôpital, des schizophrènes, des patients souffrant de troubles du comportement ou ayant fait une tentative de suicide, et qui sont jugés dangereux pour eux-mêmes ou la société. Ou un public plus large, craignent les psychiatres ?

Le problème des moyens est souvent pointé. "S'il n'y a pas plus de personnel, nous devrons consacrer notre temps à surveiller les malades placés sous contrainte en ville au détriment de ceux qui suivent librement nos activités et nos consultations. Ils iront mal et risqueront d'être placés sous contrainte", imagine Sylvie Nunez, cadre de santé au centre médico-psychologique de Pont-Sainte-Maxence.

Côté administration, on s'interroge sur le contrôle de l'internement par le juge, rendu obligatoire par la réforme. Plus de 1 000 patients seront concernés chaque année. Y aura-t-il assez d'infirmiers pour les accompagner au tribunal de Beauvais, celui de Clermont ayant fermé ? Pour les malades non transportables, la vidéoconférence sera permise. La caméra ne sera-t-elle pas source d'angoisse pour les malades ?

La question de la responsabilité de la direction, qui sera engagée au même titre pour les malades obligés de se soigner à domicile, interpelle aussi. Les psychiatres savent que pour leur directrice, Geneviève Mahari, la pression sera lourde.

Tracasseries administratives

Si la réforme inquiète autant, c'est qu'elle s'inscrit dans un contexte de virage sécuritaire de la psychiatrie. Depuis le drame de Pau, où en 2004 deux infirmières avaient été tuées par un malade, et celui de Saint-Egrève (Isère), où un étudiant avait été poignardé, en 2008, par un malade, les moyens attribués à la psychiatrie ont surtout servi à la sécurité.

"Des caméras sont arrivées, on a des bips pour travailleurs isolés, et une équipe mobile de vigiles qui peut intervenir en cas de problème, il y a aussi des chambres d'isolement sécurisées. Si la peur n'envahit pas les esprits avec cela...",
juge Luc Duserne, cadre de santé. Ce dernier craint que les nouvelles générations, moins formées à la psychiatrie, se montrent plus sensibles au discours sécuritaire, au détriment des soins : les jeunes infirmiers auraient ainsi plus facilement tendance à recourir au placement en chambre d'isolement en cas de tension avec les malades.

Même au sein des familles, demandeuses de ces soins obligatoires hors hôpital, on émet des réserves. "On ne voudrait pas que la justice ou la préfecture prennent le dessus sur l'avis des soignants", dit Marie-Bernadette Beaulieu, qui représente les usagers. Les familles ont déjà des difficultés à faire sortir leur proche pour le week-end en raison de la multiplication des freins administratifs.

Preuve que le souci sécuritaire pèse de plus en plus, Isabelle Montet, chef de service, tente en vain depuis trois ans de redonner sa liberté à un patient. L'homme a tué il y a dix ans, et avait été jugé irresponsable. Toujours en internement d'office, il a pris l'habitude d'alterner entre l'hospitalisation et séjour dans son appartement. Mais depuis 2008, la préfecture refuse toute sortie. "Il est prêt à quitter l'hôpital, je suis d'accord, mais il est coincé. Si ça continue, il pourrait développer des troubles du comportement."

Ses confrères ont aussi des patients dont la sortie traîne en raison de tracasseries administratives. Ils s'en ouvrent au Dr Helluy, le président de la Commission médicale d'établissement. "Je n'ai jamais eu autant de contacts avec la préfecture", explique-t-il. Les psychiatres font avec. "On connaît les expressions indispensables pour faire aboutir un dossier : "pas de trouble grave à l'ordre public", et "pas de dangerosité"", dit Olivier Boitard, chef de service. Car les médecins le savent bien : il faut rassurer le préfet. En cas d'accident, eux restent, lui peut sauter.
Laetitia Clavreul

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