La folie concerne tout le monde
14/03/2011
14/03/2011
Tribune
Par Un collectif d'artistes
Un ouvrier peut être fou, un patron, ça va de soi. Une femme peut être folle, un homme n’en parlons pas. Un administrateur, un banquier, un fonctionnaire, un artiste, peuvent être vraiment fous. Quant aux hommes politiques, personne n’en doute (et passe l’image de Kadhafi, qui en recouvre bien d’autres, bien d’autres). Un bébé peut être fou, un adolescent, une femme de 30 ans, un homme très âgé, un mourant.
La folie traverse toute la société. Est-ce à dire que la folie est un virus, qui se refile, qui se transmet ? On essaie de nous faire peur en avançant ce genre de notion et de catégorie matraque comme «schizophrène dangereux». Mais la folie est un possible pour tout être humain, et il faut prendre les mots au sérieux. Est «fou» ce qui est «pas normal», et aussitôt la question rebondit : «normal» c’est quoi ? Qu’est-ce que c’est, vivre normalement ? Accepter la réalité ? Quelle réalité doit-on accepter ? Jusqu’où faut-il accepter la réalité ? Est-ce que vouloir changer la réalité, c’est être fou ? Pour Sigmund Freud, la santé mentale, c’est être suffisamment névrosé pour tenir compte de la réalité, et suffisamment psychotique pour vouloir la transformer.
En somme, la folie questionne la société tout entière et chacun en particulier. Or la démocratie est un régime où la norme est, peut être, sans arrêt questionnée, remise en cause, c’est un régime qui reconnaît, en principe, les conflits, et permet, en principe, leur élaboration. Le conflit va toujours avec de l’angoisse, et on peut refuser le conflit par peur de l’angoisse. Mais, à ce moment-là, on choisit : zéro angoisse (croit-on), zéro risque, zéro pensée, zéro vie. Et, sous le calme plat, la violence de l’ordre, de ce qui semble normal (à qui ?) à un moment donné (lequel ?). Est-ce normal de faire travailler les enfants ? De travailler cinquante heures ? De travailler à la chaîne ? Et la démocratie est toujours gravement menacée par le suivisme de la norme, par le conformisme, la convention. C’est une vraie menace parce qu’il y a une vraie possibilité de destruction : on n’a pas le choix, il faut penser, agir, de telle façon et non de telle autre, il faut surtout ne pas penser et ne rien faire. Zéro conflit, zéro vie. Le conformisme, c’est une façon d’intérioriser la répression et la peur. Big Brother vous surveille, et vous êtes d’accord.
Et le conformisme va toujours avec une vision naturaliste, déterministe, explicative, définitive, fermée. On est comme ci ou comme ça parce que : la famille, la catégorie sociale, les gènes, la biochimie. Mais il n’y a pas de «nature» humaine, prendre au sérieux l’être humain c’est tenir compte du possible, de la folie, c’est prendre au sérieux que certains voient des géants là où d’autres ne voient que des moulins à vents, que certains voient une baleine blanche là où d’autres ne voient rien, que certains voient un cafard à la place du fils… ou des nénuphars dans le ciel… ou des cieux de toutes les couleurs, etc. La réponse à ces «folies» peut évidemment être, et a souvent été : le ridicule, le feu, le bûcher, l’enfermement, l’opération, la lobotomie, la camisole chimique, l’abandon pur et simple.
Les 39 contre la Nuit sécuritaire appellent à manifester le 15 mars contre un projet de loi qui va dans le sens de la répression, de l’intériorisation de la norme, de la mise à l’écart de la folie comme dimension humaine. Nous y serons.
Signataires : Leslie Kaplan écrivaine, Nurith Aviv cinéaste, Lise Beaulieu monteuse, Raymond Bellour écrivain, Fréderic Léal écrivain, Rosie Pinhas-Delpuech écrivaine, traductrice, Guy Girard réalisateur, Frédérique Loliée metteuse en scène, Paul Otchakovsky-Laurens éditeur, Claude Régy metteur en scène, Joshka Schidlow critique de théâtre, Xavier Person écrivain, Elise Vigier comédienne et metteuse en scène et Catherine Weinzaepflen écrivaine.
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