Parler psychisme dans le désert
08 Juin 2010
Par pleineaile
http://www.mediapart.fr/club/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/080610/parler-psychisme-dans-le-desert
A force de lire attentivement les articles sur la psychiatrie, ici et ailleurs, de lire les commentaires les plus divers, de regarder les films et vidéos consacrés au sujet, je prends conscience de deux ou trois choses que je sais d'elle.
- Qu'on le veuille ou non, les aventures des théories et vaticinations sur la psyché et ses déroutes débordent largement le champ d'une spécialité médicale. La vie psychique de l'être humain interpelle, à l'asile mais aussi au travail, dans les relations sociales et leurs avatars judiciaires traités en "faits divers", dans les débats de société et les conflits, armés ou non, des disciplines variées, de l'éthologie à la politique en passant par l'anthropologie, la philosophie, et d'autres. Faut s'y faire! Les spécialistes ne suffisent pas à rendre compte de ce qu'est la maladie psychique...
- Qu'on le veuille ou non, l'organisation des soins et accompagnements aux patients ne peut se résumer à la délivrance (!) de soins si techniquement parfaits et appropriés qu'ils soient. Car la souffrance psychique convoque des contextualités extrêmes: la peur atavique de l'incompréhensible; la rupture inexplicable des liens relationnels; le désordre de pensées, de paroles et d'actes non conformes aux standards; le désir mêlé de compassion et de rejet, d'apitoiement et de pulsion répressive et de mise à l'écart...
L'organisation de la prise en compte des maladies psychiques renvoie donc aux instruments mêmes de l'organisation sociale dans son hétérogénéité et ses articulations nécessaires; ça avait été le propos des "inventeurs" de la psychiatrie à la française", autrement dit la politique du Secteur de Psychiatrie Générale, dans les années 1960.
Ringarde ou pas aux yeux des experts scientistes à la mode libéralo-simpliste, c'est la seule logique pensable: "administrer" le sort des malades au sein même de la société dont ils font partie, et dont parfois ils constituent les prophètes ou les "éclaireurs obscurs".
- Qu'on le veuille ou non, le système sanitaire actuel a délibéré de "foutre en l'air" cette politique saine, interrelationnelle avec toutes sortes de partenaires de la "cité", pluridisciplinaire, s'adossant bien entendu sur une clinique pointue, sur les outils thérapeutiques les plus divers (sans les ostracismes désormais posés sur des techniques largement éprouvées dans leur réalité quotidienne, par exemple les enveloppements humides, les psychothérapies d'inspiration analytique, et sans exclusive des écoles variées: behaviorisme, cybernétique sociale...), et sur des théorisations aussi variées que la psychanalyse, la sociologie, l'anthropologie ou les réflexions politiques marxistes, en passant par la participation croisées de tous les acteurs associatifs, familiaux, responsables locaux, réseaux citoyens, etc.
-Qu'on le veuille ou non, cette érosion d'un dispositif à mon sens assez génial dans sa forme théorique révèle en pratique plusieurs clés:
*la négligence grave des psychiatres eux-mêmes, qui ont trop longtemps boudé l'application des directives de la fameuse circulaire de Mars 1960 mettant en place le Secteur, et dont beaucoup, par la suite, assujettis dans leur formation par les dogmes universitaires les plus riquiquis et les plus aveugles, centrés sur l'illusion du biologique exclusif, se sont laissés prendre de manière bien complaisante par les sirènes expertales, la simplification codifiée du jugement diagnostique, la réponse a-théorique, an-idéologique et in-humaine consistant à faire taire les symptômes, sans vouloir rien savoir du, je cite "contenu de la boîte noire".
*le mépris grandissant des organisateurs sociaux et politiques pour la singularité, la subjectivité, et surtout la dimension humaine de ce qu'ils ont à gérer. Ceci au nom d'une économie rationnelle de la politique de santé, terme qui en fait recouvre l'objectif envahissant tout l'espace de pensée collective de l'"Occident": la marchandisation de tout ce qui bouge ssur la planète. De vie et de mort, de santé ou de souffrance, de diversité et d'aspirations singulières, plus question: tous dans le rang, tous pareils, tous normalisés et tarifés
*la stupidité des modalités d'un "contrôle qualité" représenté par des procédures, des protocolisation des soins et actes d'accompagnement des malades, des certifications qui, pressurant de paperasses et d'idéologie de bazar les équipes de soignants, prétendent découper en tranches "évaluables" l'intervention des professionnels. Façon ISO 2009, comme pour le jambon et les missiles sol-air. Tout cela inspiré, si l'on ose dire ainsi, par le fantasme à la mode, mais délétère, du "risque zéro", celui qui nie que la vie soit en elle-même un risque, des risques à prendre et à assumer pour devenir des humains.
*La folie obsessionnelle qui s'est emparée de nos dirigeants et de leurs acolytes experts, de tout vouloir trier par catégories, tout mettre, je cite, en "groupes homogènes de malades" (entendez; de pathologies), afin paraît-il d'être plus efficaces. IL suffit d'avoir éprouvé les drames des transitivismes pathogènes et des pathologies potentialisées en miroir dans les institutions pour comprendre cette aberration mentale, prémisse probablement au retour du "grand renfermenent". Si, comme je l'ai suggéré plus haut, la prise en considération des situations de maladies psychiques doit se calquer sur l'organisation de la cité, c'est bien dans la diversité et dans l'hétérogénéité des personnes, mais aussi des pratiques et des disciplines, dans les entrelacs de positionnements transversaux au sein des collectifs, dans la multiplication des lieux et des relais, que se situe la restauration espérée des liens sociaux et existentiels des gens que nous avons à soigner.
*la maladie sécuritaire, qui en gonflant, avec la complicité de medias complaisants, des "passages à l'acte" indubitablement cruels, voire abominables (surtout par leur caractère incompréhensible au plus grand nombre, à l'opposé des crimes passionnels et crapuleux, des actes terroristes des actes de belligérance, qui eux choquent moins, pour si horribles qu'ils puissent être aussi, du fait que les chroniqueurs peuvent apposer des références à leurs narrations et commentaires), mobillisent des armées de contempteurs de tout ce qui bouge (encore?) dans le domaine de la psychiatrie, et ce de manière, comment dit-on en Méditerranée orientale? disproportionnée?
-Qu'on le veuille ou non, la diversité des écoles de pensées, des chapelles, des tenants de telle ou telle théorie, des "croyant à ce qu'ils font", le reste étant plus que sujet à caution voire méfiance, conduit à des confusions regrettables dans l'esprit des gens qui voudraient bien s'informer,ou même militer: "ces psys, ils ne sont jamais d'accord entre eux, qui croire?"
Même chez les professionnels qui vraiment réfléchissent consciencieusement à leur travail et à ses supports théorico-pratiques, il y a franchement bien trop de querelles de prestance, de présupposés indélébiles, de chipotages langagiers qui se compliquent en refus de travailler avec l'autre-différent. Bien entendu, vivant et travaillant dans le bain langagier de la souffrance humaine et dans le champ incertain du désir (le sien et celui de l'autre), on peut, on doit culturellement accepter les divergences de positions et de compréhension de la mouvante "matière" humaine.
Pourtant il est inadmissible que ces divergences prêtent à engendrer la confusion de ceux qui nous écoutent, de nos partenaires professionnels les plus divers, des patients et de leurs familles aux politiciens non distraits, en passant par tous les partenaires d'une psychiatrie pensée et pratiquée là où elle doit se faire, au sein du champ social au sein du territoire des hommes. La chose doit pouvoir s'entendre, j'en veux pour preuve les récents (hélas déjà trop lointains) Etats Généraux de la psychiatrie, à Motnpellier: là, toutes sortes de gens, aux cultures et pratiques professionnelles très variées, ont réussi en grande partie à surmonter les malentendus inhérant à nos statuts d'êtres parlants, a fortiori "supposés savoir"
Sur ce journal en ligne, quelques uns font effort pour exprimer à la fois des réalités et leur sentiment sur icelles. Ca ne peut suffire.
Aussi j'en appelle à la création d'un corps mixte de traducteurs de notre dialecte professionnel, d'historiens des pratiques de soins en psychiatrie, de formateurs capables de "dé-formater" les jeunes soignants et d'aider à l'éclairage des associations et groupements concernés par la psychiatrie, et enfin (anti)experts capables de parler aux élus de ce qui se passe vraiment dans notre monde qu'ils ignorent quasi totalement, de leur aveu même....
E che la nave va!!
JCD
- Qu'on le veuille ou non, les aventures des théories et vaticinations sur la psyché et ses déroutes débordent largement le champ d'une spécialité médicale. La vie psychique de l'être humain interpelle, à l'asile mais aussi au travail, dans les relations sociales et leurs avatars judiciaires traités en "faits divers", dans les débats de société et les conflits, armés ou non, des disciplines variées, de l'éthologie à la politique en passant par l'anthropologie, la philosophie, et d'autres. Faut s'y faire! Les spécialistes ne suffisent pas à rendre compte de ce qu'est la maladie psychique...
- Qu'on le veuille ou non, l'organisation des soins et accompagnements aux patients ne peut se résumer à la délivrance (!) de soins si techniquement parfaits et appropriés qu'ils soient. Car la souffrance psychique convoque des contextualités extrêmes: la peur atavique de l'incompréhensible; la rupture inexplicable des liens relationnels; le désordre de pensées, de paroles et d'actes non conformes aux standards; le désir mêlé de compassion et de rejet, d'apitoiement et de pulsion répressive et de mise à l'écart...
L'organisation de la prise en compte des maladies psychiques renvoie donc aux instruments mêmes de l'organisation sociale dans son hétérogénéité et ses articulations nécessaires; ça avait été le propos des "inventeurs" de la psychiatrie à la française", autrement dit la politique du Secteur de Psychiatrie Générale, dans les années 1960.
Ringarde ou pas aux yeux des experts scientistes à la mode libéralo-simpliste, c'est la seule logique pensable: "administrer" le sort des malades au sein même de la société dont ils font partie, et dont parfois ils constituent les prophètes ou les "éclaireurs obscurs".
- Qu'on le veuille ou non, le système sanitaire actuel a délibéré de "foutre en l'air" cette politique saine, interrelationnelle avec toutes sortes de partenaires de la "cité", pluridisciplinaire, s'adossant bien entendu sur une clinique pointue, sur les outils thérapeutiques les plus divers (sans les ostracismes désormais posés sur des techniques largement éprouvées dans leur réalité quotidienne, par exemple les enveloppements humides, les psychothérapies d'inspiration analytique, et sans exclusive des écoles variées: behaviorisme, cybernétique sociale...), et sur des théorisations aussi variées que la psychanalyse, la sociologie, l'anthropologie ou les réflexions politiques marxistes, en passant par la participation croisées de tous les acteurs associatifs, familiaux, responsables locaux, réseaux citoyens, etc.
-Qu'on le veuille ou non, cette érosion d'un dispositif à mon sens assez génial dans sa forme théorique révèle en pratique plusieurs clés:
*la négligence grave des psychiatres eux-mêmes, qui ont trop longtemps boudé l'application des directives de la fameuse circulaire de Mars 1960 mettant en place le Secteur, et dont beaucoup, par la suite, assujettis dans leur formation par les dogmes universitaires les plus riquiquis et les plus aveugles, centrés sur l'illusion du biologique exclusif, se sont laissés prendre de manière bien complaisante par les sirènes expertales, la simplification codifiée du jugement diagnostique, la réponse a-théorique, an-idéologique et in-humaine consistant à faire taire les symptômes, sans vouloir rien savoir du, je cite "contenu de la boîte noire".
*le mépris grandissant des organisateurs sociaux et politiques pour la singularité, la subjectivité, et surtout la dimension humaine de ce qu'ils ont à gérer. Ceci au nom d'une économie rationnelle de la politique de santé, terme qui en fait recouvre l'objectif envahissant tout l'espace de pensée collective de l'"Occident": la marchandisation de tout ce qui bouge ssur la planète. De vie et de mort, de santé ou de souffrance, de diversité et d'aspirations singulières, plus question: tous dans le rang, tous pareils, tous normalisés et tarifés
*la stupidité des modalités d'un "contrôle qualité" représenté par des procédures, des protocolisation des soins et actes d'accompagnement des malades, des certifications qui, pressurant de paperasses et d'idéologie de bazar les équipes de soignants, prétendent découper en tranches "évaluables" l'intervention des professionnels. Façon ISO 2009, comme pour le jambon et les missiles sol-air. Tout cela inspiré, si l'on ose dire ainsi, par le fantasme à la mode, mais délétère, du "risque zéro", celui qui nie que la vie soit en elle-même un risque, des risques à prendre et à assumer pour devenir des humains.
*La folie obsessionnelle qui s'est emparée de nos dirigeants et de leurs acolytes experts, de tout vouloir trier par catégories, tout mettre, je cite, en "groupes homogènes de malades" (entendez; de pathologies), afin paraît-il d'être plus efficaces. IL suffit d'avoir éprouvé les drames des transitivismes pathogènes et des pathologies potentialisées en miroir dans les institutions pour comprendre cette aberration mentale, prémisse probablement au retour du "grand renfermenent". Si, comme je l'ai suggéré plus haut, la prise en considération des situations de maladies psychiques doit se calquer sur l'organisation de la cité, c'est bien dans la diversité et dans l'hétérogénéité des personnes, mais aussi des pratiques et des disciplines, dans les entrelacs de positionnements transversaux au sein des collectifs, dans la multiplication des lieux et des relais, que se situe la restauration espérée des liens sociaux et existentiels des gens que nous avons à soigner.
*la maladie sécuritaire, qui en gonflant, avec la complicité de medias complaisants, des "passages à l'acte" indubitablement cruels, voire abominables (surtout par leur caractère incompréhensible au plus grand nombre, à l'opposé des crimes passionnels et crapuleux, des actes terroristes des actes de belligérance, qui eux choquent moins, pour si horribles qu'ils puissent être aussi, du fait que les chroniqueurs peuvent apposer des références à leurs narrations et commentaires), mobillisent des armées de contempteurs de tout ce qui bouge (encore?) dans le domaine de la psychiatrie, et ce de manière, comment dit-on en Méditerranée orientale? disproportionnée?
-Qu'on le veuille ou non, la diversité des écoles de pensées, des chapelles, des tenants de telle ou telle théorie, des "croyant à ce qu'ils font", le reste étant plus que sujet à caution voire méfiance, conduit à des confusions regrettables dans l'esprit des gens qui voudraient bien s'informer,ou même militer: "ces psys, ils ne sont jamais d'accord entre eux, qui croire?"
Même chez les professionnels qui vraiment réfléchissent consciencieusement à leur travail et à ses supports théorico-pratiques, il y a franchement bien trop de querelles de prestance, de présupposés indélébiles, de chipotages langagiers qui se compliquent en refus de travailler avec l'autre-différent. Bien entendu, vivant et travaillant dans le bain langagier de la souffrance humaine et dans le champ incertain du désir (le sien et celui de l'autre), on peut, on doit culturellement accepter les divergences de positions et de compréhension de la mouvante "matière" humaine.
Pourtant il est inadmissible que ces divergences prêtent à engendrer la confusion de ceux qui nous écoutent, de nos partenaires professionnels les plus divers, des patients et de leurs familles aux politiciens non distraits, en passant par tous les partenaires d'une psychiatrie pensée et pratiquée là où elle doit se faire, au sein du champ social au sein du territoire des hommes. La chose doit pouvoir s'entendre, j'en veux pour preuve les récents (hélas déjà trop lointains) Etats Généraux de la psychiatrie, à Motnpellier: là, toutes sortes de gens, aux cultures et pratiques professionnelles très variées, ont réussi en grande partie à surmonter les malentendus inhérant à nos statuts d'êtres parlants, a fortiori "supposés savoir"
Sur ce journal en ligne, quelques uns font effort pour exprimer à la fois des réalités et leur sentiment sur icelles. Ca ne peut suffire.
Aussi j'en appelle à la création d'un corps mixte de traducteurs de notre dialecte professionnel, d'historiens des pratiques de soins en psychiatrie, de formateurs capables de "dé-formater" les jeunes soignants et d'aider à l'éclairage des associations et groupements concernés par la psychiatrie, et enfin (anti)experts capables de parler aux élus de ce qui se passe vraiment dans notre monde qu'ils ignorent quasi totalement, de leur aveu même....
E che la nave va!!
JCD
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