Nous sommes passés, en quelques années, d’une médecine qui soignait à une médecine qui répare, et la maladie se laisse de plus en plus décrire comme une panne – dont la mort serait seulement la plus résistante. C’est là le signe du triomphe d’une conception mécaniste du vivant, telle que l’époque moderne, issue de Descartes, l’opposait au vitalisme : l’organisme est constitué d’un ensemble de pièces susceptibles d’être rectifiées, voire remplacées.
L’art du médecin traditionnel, soucieux d’identifier la cause de la maladie à partir d’un examen clinique faisant droit à la parole du patient autant qu’à l’interprétation des signes de son état physique, est aujourd’hui en passe de devenir archaïque. La médecine en voie de développement, dite « connectée » parce qu’elle mobilise les technologies numériques investies dans l’imagerie, ainsi que dans un nombre croissant d’applications mobiles et de biocapteurs, consacre la promotion de l’ingénieur expert en données qui sait croiser et corréler les innombrables informations fournies par tous ces objets que l’on qualifie d’« intelligents ».
La porte est ainsi ouverte, dit-on, à une médecine personnalisée qui pourrait prédire et prévenir la maladie, grâce à la mise en corrélation des mesures du fonctionnement des organes d’un patient avec les bases de données collectées sur les pathologies d’une population d’individus exponentielle.
La médecine prédictive sera moins explicative que statistique, ce qui ne saurait être une objection pour une démarche mécaniste qui se préoccupe surtout de produire et de maîtriser des effets.
Force est de constater que la santé elle-même n’est plus ce qu’elle était : on l’a longtemps définie comme l’absence de maladie, et on la reconnaissait au « silence des organes » qui l’accompagnait.