Dans leurs porte-à-porte quotidiens à La Grande Borne ou à Grigny 2, ils ont arpenté des dizaines de couloirs. Sonné à des centaines de domiciles pour informer, remédier à l’éloignement des services publics, détecter les solitudes qui coupent du monde. Ils ont mis en place une « solidarité de palier ». Et vivent un Grigny bien différent de l’image négative dont pâtit cette ville de l’Essonne.
Voici deux ans que Souleymane, Emmanuel, Nerman et Saïda ont adhéré à Voisin malin. Créée en 2010 pour pousser les habitants des quartiers populaires, souvent défiants vis-à-vis des institutions, à devenir actifs dans leur ville, l’association s’est implantée à Grigny en 2013. Le leitmotiv de leur action est simple : l’information passe mieux entre pairs. L’équipe d’intervenants comporte trois hommes et huit femmes, âgés de 22 à 67 ans, rémunérés 12 heures par mois au smic. Ils sont salariés, chômeurs, intérimaires, retraités… tous habitants de Grigny.
Très implantés dans leur cité, ils se sont lancés dans des missions aussi diverses que l’information sur les nouveaux rythmes scolaires pour le compte de la mairie, la lutte contre les punaises de lit pour le bailleur, le dépistage du cancer du sein en faveur de l’Agence régionale de santé ou l’accompagnement bancaire à La Poste. « Nous avons recruté des gens impliqués dans la vie associative ou qui ont simplement envie d’aider leur quartier. Ils ont tous une conscience aiguë de la relégation au quotidien », explique Mathilde Panot, responsable du projet.
Les portes s’ouvrent
Souleymane Hissourou est arrivé du Mali à l’âge de 19 ans, envoyé par ses parents pour faire des études de droit. Il a finalement opté pour un bac pro en mécanique et est aujourd’hui salarié dans la logistique. Dix ans après son arrivée, il milite dans plusieurs réseaux associatifs. Ce black élancé est salué et hélé presque autant qu’un élu en campagne au bas des tours de « Surcouf », le cœur de Grigny 2. C’est peu dire qu’il a le verbe facile et que les portes s’ouvrent quand il vient sensibiliser sur les punaises ou les travaux de la voirie : « Beaucoup me disent “je vous ai déjà vu quelque part”.
Ça aide », dit-il dans un grand sourire. S’il s’est engagé, ce n’est pas pour avoir un salaire d’appoint ; il « adore [sa] ville, c’est tout », insiste-t-il : « Plus j’en fais, plus j’ai envie d’en faire. »
Emmanuel Marie-Joseph, lui, galérait comme intermittent du spectacle quand il a rencontré l’association. Les 120 euros mensuels l’aident bien mais il veut surtout se rendre utile : « Ma mère a eu un cancer du sein. Je sais trouver les mots face à des femmes qui ne se sont pas fait dépister et qui ont peur », dit ce jeune homme de 21 ans en sweat gris. Il habite Viry-Châtillon, ville mitoyenne de Grigny. Il y a un monde entre ces deux banlieues mais, au lycée, tous ses potes venaient de la Grande Borne : « Je n’ai jamais eu de soucis dans le porte-à-porte, même au Méridien [une des barres les plus dures de la cité]. Une fois, je suis entré dans le hall et il y avait deux jeunes cagoulés ; je suis monté sans problème pour faire mes visites », raconte le jeune apprenti cinéaste.
« Ça m’a permis de m’ouvrir ! »
« On a un impact parce qu’on est d’ici, ça rassure de voir un visage connu », témoigne Nerman Ulusam. Cette mère turque de 37 ans, au regard bleu vert sous son voile noir, a la tranquille assurance des timides. Arrivée de l’Yonne juste après son mariage, la jeune femme avoue avoir eu du mal à « passer des vaches à une cité de douze étages ». C’est par un réseau local de traducteurs de l’école qu’elle a pris contact avec Voisin malin. « C’est une telle satisfaction de savoir que j’ai pu aider quelqu’un. Et moi, ça m’a permis de m’ouvrir ! », commente-t-elle.
Saïda Akouri a pu, elle, se servir de son expérience de malade. Atteinte à deux reprises d’un cancer, elle avait « besoin » d’aider les autres. « On va tous au marché, dans les mêmes écoles et on manque d’informations. Avec cette association, ça circule et les gens viennent nous voir quand ils nous aperçoivent dehors », confie cette jeune mère trentenaire. Elle est fière d’énumérer les problèmes qu’elle a réglés : un dossier pour une mère sans papiers, un refus de dérogation scolaire, un contact difficile chez un médecin… « Voisin malin est la seule association qui nous permet de parler notre langue. Ça rassure les personnes qui cherchent leurs mots en français », ajoute t-elle.
Pour Voisin malin, toutes les portes s’ouvrent, même sur les sujets les plus délicats. « Ils ont 100 % de réussite, là où tout le monde échoue. Ça donne un autre regard sur l’action publique et met en valeur leur expertise », se réjouit le maire communiste, Philippe Rio. Un vrai plus pour la municipalité. Surtout que, quand on écoute ces arpenteurs des cités, on est bien loin des images qui entachent la ville. Même ses aspects les plus durs leur font hausser les épaules. Le deal ? « Vous savez ici, avant d’être un lieu de deal, c’est d’abord un lieu de solidarité. Beaucoup plus qu’à Paris », rétorque Souleymane. Les trafics ? « Ça se passe aussi dans les villages et personne n’en parle », objecte Nerman. « On n’est pas qu’une ville sensible », tranche Saïda.
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