par Eric Favereau publié le 23 avril 2024
Marie Thibault a tout lieu de sourire, en cette matinée de printemps 2024. Son fils va bien, il est pleinement guéri de son cancer. Et elle a trouvé «la perle rare», Solenn Le Bruchec, pour diriger l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale (Icrepse), ce lieu de recherche absolument inédit en France, né de son combat autour du collectif qu’elle a créé «Stop aux cancers de nos enfants». L’Institut existe. Il va vivre, a de l’argent pour trois ans minimum et vient de s’installer dans les bureaux de l’ancienne mairie de Saint-Même-le-Tenu en Loire-Atlantique. Enfin, ce jeudi, est diffusé sur France 3 un documentaire sur cette ouverture et cette mobilisation peu commune (1) qui a abouti à cette naissance. Bref, la météo est, enfin, clémente.
C’est en tout cas une magnifique réussite. Au départ, rien ne prédisposait cette jeune mère de famille à ce type de militantisme, elle dont le métier tourne autour de la thérapie familiale. Mais voilà, son fils est tombé malade. Gravement, brutalement. Et, il n’était pas le seul. Nous sommes à la fin des années 2010. Sur la commune de Sainte-Pazanne et ses alentours près de Nantes, entre 2015 et 2020, il se passe en effet quelque chose de bizarre. Vingt-cinq enfants ont ou vont développer des cancers, sept vont en mourir. Sur ce tout petit territoire, ce taux est impressionnant car proportionnellement il fait plus de quatre fois la moyenne nationale. Que se passe-t-il ? «On pourrait croire que cette situation va mobiliser politiques et scientifiques. Il n’en est rien», raconte Jean François Corty, un des deux auteurs du documentaire. «Des analyses sont faites à la va-vite, les agences de santé font le minimum et justifient leur prudence par les statistiques approximatives», poursuit Marie Thibault. «Face à l’inertie générale, les parents vont se mobiliser, poursuit Jean François Corty, et c’est ce que l’on décrit dans notre film. Ils se battent, le font bien seuls, puis ils sont rejoints par des voisins, des amis. Et vont créer Stop aux cancers de nos enfants, une association pour savoir et faire pression sur les responsables politiques. Et elle va collecter des données avec les moyens du bord.»
Circulez, il n’y a rien à voir
Des hypothèses sont alors évoquées. Serait-ce la faute du lindane, un insecticide utilisé par l’usine de traitement du bois du coin, aujourd’hui fermée ? La décontamination a-t-elle été bien faite ? Quid du passage de la ligne haute tension à proximité de l’école ? Que penser aussi des pesticides utilisés par les agriculteurs dans les champs alentour ? A moins qu’il ne s’agisse de plusieurs facteurs ? La problématique n’est pas simple. Pendant ces années-là, l’agence responsable du dossier, Santé publique France, lance une enquête. Mais à sa manière. «On n’aime pas les petits échantillons», note un épidémiologiste. Au final, Santé publique France botte en touche. «En 2019, une investigation épidémiologique a été lancée pour identifier une possible source d’exposition locale commune à ces cancers d’enfant signalés. L’ARS Pays-de-Loire a par ailleurs mené des investigations environnementales. A cette fin, Santé publique France s’est assuré l’attache d’experts extérieurs à l’agence afin d’intégrer, en vue de cette levée de doute, l’ensemble des nuisances.» Circulez, il n’y a rien à voir.
En 2020, à la demande des parties prenantes, Santé publique France, s’appuyant sur le registre de Loire-Atlantique et de Vendée, c’est-à-dire le nombre de cas pour une pathologie dans une région donnée, réalise une nouvelle étude autour de la distribution géographique des cancers entre 2005 et 2018. Résultat ? Toujours rien. «L’analyse statistique a conclu à l’absence d’un risque anormalement élevé de cancers pédiatriques sur le secteur de Sainte-Pazanne par rapport au reste du département. Pour aller plus loin, une analyse par balayage spatio-temporel n’a pas montré la présence significative et persistante de regroupement de cancers de l’enfant sur le département. En complément, l’étude épidémiologique n’a pas mis en évidence de cause commune pouvant expliquer le regroupement de cancers pédiatriques sur ce secteur. Au vu des conclusions des différentes études, Santé publique France a mis un terme à l’investigation épidémiologique. Et une surveillance est simplement maintenue.»
«Pas de mauvaise volonté, mais des blocages»
Le dossier est clos. Ou presque. De quoi créer bien des malentendus. Les familles, les proches sont désarçonnés. Le disent. Et se rassemblent, donc. Pour l’ancien directeur de Santé publique France, François Bourdillon, l’équation à résoudre n’est pas simple : «Il n’y a pas de mauvaise volonté, mais il y a des blocages et des insuffisances de moyens évidents.» Et ce professeur de santé publique de lancer quelques pistes. «En termes d’épidémiologies, la problématique est complexe, car nous sommes face à de petits effectifs. On manque de puissance d’analyse et c’est frustrant. Plus on cherche, moins on trouve. Il faut aller vers des approches inverses.» Certes, mais quand et comment ? «Santé publique France souffre d’un manque cruel de moyens», insiste cet expert. Et, dans ce contexte, le professeur Bourdillon n’est pas loin de considérer comme une bonne idée la création de l’Institut citoyen de recherche et de prévention en santé environnementale. «Vu qu’il ne se passait rien, on s’est lancé. On a beaucoup travaillé, réfléchi, raconte ainsi Marie Thibault. Et c’est ainsi qu’est né ce projet de faire ses propres recherches, de partir du terrain, en se reposant sur des expériences vécues, tout en travaillant avec des chercheurs prêts à travailler ensemble et à changer leurs habitudes. C’est ce que l’on appelle de la science participative.»
Et voilà, ce projet est là, tout beau, tout frais. «Nous sommes confiants. Avant de lancer des appels à projet, nous avons un budget de fonctionnement pour trois ans de 100 000 euros, 60% viennent du département de Loire-Atlantique. Le reste provient des dons et des mutuelles. Des chercheurs de renom sont avec nous. Et nous terminons la constitution d’un conseil de citoyens pour sensibiliser et faire remonter l’information.» Un institut qui reste unique en France. «Dans les rapports complexes et souvent opaques, confus, entre environnement et santé, c’est vraiment une magnifique histoire de mobilisation», conclut le documentariste Jean-François Corty, reprenant alors sa casquette de vice-président de Médecins du monde.
(1) Contrepoisons, un combat citoyen, documentaire signé Valéry Gaillard et Jean-François Corty, est diffusé le 25 avril sur France 3 Pays de Loire.
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