par Clémence de Blasi publié le 5 mai 2024
Nuages noirs, accalmies, franches éclaircies : la conversation de Gilbert Bou Jaoudé tient du ciel breton. C’est tout de même étonnant, cette capacité à passer aussi vite du grave au léger. Graves, les années d’adolescence, en pleine guerre du Liban. L’obus tombé sur la maison, les destructions. L’enfant rêve de devenir prêtre, comme son oncle, depuis tout petit : n’a-t-il pas remporté sans forcer ce concours de théologie organisé autour de l’existence des anges ?
Il n’est âgé que d’une douzaine d’années quand retentit, non loin de leur habitation, une gigantesque détonation. Dans le salon, sa mère, institutrice, allume la télévision pour tenter de savoir si le père de ses quatre enfants, éducateur sportif et entraîneur de volley-ball dans l’armée libanaise, est mort ou vivant. «A l’écran, on voyait des gens déchiquetés. Je me suis approché d’elle, et je lui ai dit : “Viens, on va prier pour eux.” Elle m’a répondu : “Dieu les voit déjà, ce qu’il nous faut, c’est des gens qui puissent les sauver”, se souvient Gilbert Bou Jaoudé, la gorge encore serrée à cette évocation. C’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais plutôt faire médecine.» Il baisse le nez sur sa tasse de café, en avale une gorgée, se rencogne dans le canapé de cuir taupe d’une bicoque toute simple dans un quartier résidentiel lillois. Il faut finir les derniers œufs de Pâques, posés sur la table basse. «Certes, je fais de la santé sexuelle, reprend-il. Mais on n’imagine même pas toute la souffrance qu’il peut y avoir derrière ça.»
Lycéen prometteur, il est envoyé en France à 16 ans, via une association d’aide aux chrétiens du Liban. Son frère aîné, Jean-Marie, est avec lui. L’aîné ne tarde pas à rentrer au pays ; lui restera dans le Nord, scolarisé dans le privé à Beaucamps-Ligny, un village proche de Lille. Pas de téléphone, pas de courrier. Internet n’en est encore qu’à ses balbutiements. Pendant un an, l’élève brillant n’aura aucune nouvelle de ses parents. «Ce baptême du feu l’a sans doute renforcé», soupire son frère Joe, qui a pris la décision de le rejoindre et de se reconvertir dans la restauration après les explosions du port de Beyrouth en 2020.
Gilbert Bou Jaoudé se jette à corps perdu dans ses études, médecine générale, puis andrologie, urgences et sexologie. S’il le pouvait, il prendrait toutes les spécialités. En mars 2003, le jeune homme doit soutenir sa thèse à l’université de Lille. Pour assister à sa soutenance, sa mère prend l’avion pour la toute première fois. Sujet : les techniques de mesure des érections nocturnes. «Je n’ai pas osé lui dire de quoi il retournait, j’ai préféré attendre qu’elle arrive», glisse-t-il, penaud. A l’époque, les professionnels de santé sont peu nombreux à s’intéresser à la sexualité : pas assez sérieux. «Pendant longtemps, mes potes m’ont appelé “le Zizologue”, pour eux, ce n’était pas de la médecine. Depuis, je les ai tous soignés – ils ont compris que c’était de la vraie médecine.»
Dans l’Hexagone, il est de ces pionniers à avoir planché sur le Viagra et autres comprimés sexuels sur le marché. Le médecin sexologue s’adonne à la recherche, participe à des études cliniques pré-commercialisation ou de repositionnement de médicaments aux effets possiblement érectiles («il y en avait un issu d’un vomitif pour chiens, on ne l’a pas sorti, car il faisait vomir les humains aussi…»). Naturalisé français en 2005, il ouvre son cabinet de sexologie dans un quartier populaire de la capitale des Flandres la même année. Epouse une infirmière, devient père d’une petite fille, Nell («ça veut dire “éclat du soleil”, en grec»), divorce.
Appelé pour remplacer au pied levé un copain, psychiatre à Tourcoing, qui devait répondre en direct aux questions des auditeurs de France Bleu Nord, il découvre la radio en 1998. Elle le révèle. Bientôt les émissions s’enchaînent : Comment ça va bien !, le Magazine de la santé, les Pouvoirs extraordinaires du corps humain…Beau mec, télégénique et perpétuellement souriant, Gilbert Bou Jaoudé est à l’aise sur tous les sujets. Il sait trouver les bons mots, simples et rassurants. Les bonnes comparaisons, celles qui collent au cerveau. «Quand on éjacule, le sperme qui sort est plus rapide que Mbappé, mais moins rapide qu’Usain Bolt.» OK, on voit.
«Je suis tout, sauf moralisateur. Je ne juge pas, c’est comme ça que je peux exiger qu’on ne me juge pas», déroule le tout juste quinqua, resté très croyant. Avec deux associés, le médecin a lancé en 2019 une clinique numérique, Charles.co, pour proposer des solutions – santé sexuelle, poids, sommeil, cheveux – à tous ces hommes tourmentés qui n’oseraient jamais pousser la porte d’un cabinet. «On disait alors qu’on ne pouvait pas faire de médecine dématérialisée, qu’il fallait voir le patient. Mais ils allaient où, tous ces gens-là ? Ils n’allaient nulle part ! Sur une centaine de personnes qui ont des problèmes sexuels et auraient besoin d’aide, il y en a seulement vingt qui consultent», regrette Gilbert Bou Jaoudé. Le pendant féminin de Charles, Mia.co, existe depuis 2021.
Ces dernières années, le médecin sexologue, qui vote mais n’en peut plus d’être déçu, s’est largement consacré à l’information grand public. Avec un certain succès : plus d’un million de personnes suivent la chaîne YouTube Charles.co. Sa vidéo de quatorze minutes sur la masturbation masculine totalise 2,5 millions de vues, suivie de peu par une autre dans laquelle il délivre des techniques pour retarder l’éjaculation. «Pourtant, il n’y a rien à voir, je ne fais pas le mariole, je suis assis et je parle. Comme ça, je suis sûr que les gens viennent seulement pour écouter ce que j’ai à dire», explique celui qui s’astreint à trois vidéos par semaine, tournées dans un ministudio artisanal aménagé au premier étage de son domicile. «Plutôt que de dire aux jeunes de ne pas écouter les conneries qui circulent sur les réseaux sociaux, il faut les inonder de bonnes infos.» C’est donc sans une seconde d’hésitation qu’il se lance dans des explications sur le gland de lait. Cette légende urbaine circule chez les adolescents qui voudrait que l’extrémité du pénis tombe à la puberté, remplacée par un «gland de sagesse».
En intervenant comme expert dans Mariés au premier regard, l’émission de télé-réalité de M6 (plus de deux millions de téléspectateurs chaque lundi soir), à laquelle il participe depuis deux saisons, il espère atteindre un autre public. «Je ne veux pas être connu, je veux que mes idées soient connues», jure (et on le croit !) celui qui file le parfait amour depuis huit ans avec une grande et jolie brune, commerciale dentaire pour une boîte américaine. Souple mais sérieux, lumineux mais discret, le plus médiatique des sexologues français a su trouver son créneau. «Si j’avais un problème sexuel, c’est lui que j’irais voir», jure Michel Cymes. Avant de préciser immédiatement – avec un zeste d’inquiétude dans la voix – qu’il n’en a jamais eu besoin jusqu’à présent.
11 avril 1974 Naissance à Zalka, près de Beyrouth (Liban).
3 septembre 1990 Arrivée à Lille.
Mars 2003 Devient médecin.
Avril 2019 Première téléconsultation sur Charles.co
Depuis mars 2023 Sexologue dans l’émission Mariés au premier regard (M6).
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